De la montagne et de la fin
Marina Tsvetaeva
Mise en scène de Nicolas Struve
Avec Stéphanie Schwartzbrod
Maison de la Poésie, Paris
Du 4 au 28 juin 2009
par Nicolas Cavaillès
Montage de lettres et de poèmes de Marina Tsvetaeva (1892-1941) autour de son histoire d’amour de quelques mois avec Constantin Rodzevitch, en 1923, De la montagne et de la fin donne à entendre le tourbillon d’une de ces passions à partir desquelles la vie antérieure ne semble plus avoir été vraiment la vie (seulement son pâle reflet), et la vie postérieure ne plus pouvoir être qu’impossible fadeur. Nicolas Struve met en scène un amour confiné dans l’espace exclusif de l’intime et débordant du désir de se déverser sur l’univers tout entier, à commencer par Prague la ténébreuse. Une passion totale, ingérable, magnifiée dans des lettres toute d’étouffement jouissif et drolatique ; une très belle partition russe, à laquelle la comédienne Stéphanie Schwartzbrod offre une diction sauvagement précise, très particulièrement juste.
Cette correspondance amoureuse, cette poignée de lettres enflammées, cette passion n’a ni passé ni avenir, selon la magnifique exigence de Marina Tsvetaeva : « se souvenir c’est déjà oublier », elle ne veut, elle, que du présent. Pas de distance ; ce qui n’est pas immédiat n’est pas : comment s’aimer au café, par exemple, quand une table nous sépare encore ? La poétesse de L’offense lyrique rêve et crie un vaste temple où les deux intimités mêlées se répandraient ensemble sans frein, qu’elles empliraient dans la plus parfaite insouciance, libres, libérées des errances noires et blanches dans Prague. Respectueux des bienfaits du travail et de la solitude (le jour, pour mieux le soir venu se retrouver), cet amour diablement, joliment envahissant, porte avec lui l’immensité incontrôlable d’une sensibilité poétique des plus ferventes, véritable défi à l’existence, comme au couple (« ne me laisse pas seule avec mes vers »). Serait-il donc tragiquement voué à l’échec ? Il le serait s’il se pliait à la plate linéarité temporelle des histoires ordinaires (linéarité narrative, romanesque, bonne pour l’ironie d’une prose, pas pour l’explosion pure d’un poème) ; mais, on l’a dit, cet amour-ci n’est que présence, sans hier ni lendemains, absolu et fou : l’échec n’entre pas dans sa métrique autarcique. Le temps et la séparation viendront bien ajouter leur couche épaisse au limon de désespoir qui tapisse déjà les tréfonds de l’âme mouvementée de Marina Tsvetaeva, mais cet amour, l’amour, son amour, y reste précieusement étranger.