Babyfaces
Marie Desplechin
L’école des loisirs (neuf), 2010
Violences scolaires, enfants en non-lieux
par Anne-Marie Mercier
Comme ses personnages, le livre au premier abord séduit peu : phrases brèves, notations sèches, vues en surface. Puis, petit à petit, les angles s’adoucissent, le narrateur, Freddy, se permet des phrases plus longues, des réflexions plus poussées. Et au bout du compte, se révèle un beau roman, tendre et violent, vrai et fantaisiste, plein de désespoir et d’humour.
Petit, solitaire et perdu, nommé de son vrai prénom Rajanikhant, Freddy est le fils d’une mère exubérante et chaleureuse ; il est le voisin de Nejma et son seul ami, amitié « de voisinage » plus que d’élection. Tout cela dans une banlieue grise et sinistre, dont les deux moitiés sont reliées par une passerelle, et dont la seule issue de secours est la route nationale.
C’est autant le quartier et ses conditions de vie que le personnage de Nejma qui retient l’attention. Nejma, anti-héroïne, anti-enfant et anti-fille même, est une enfant à l’abandon, enfermée dans sa solitude, avec une mère qui l’élève seule et travaille au loin, dans une autre banlieue (ce livre est publié au moment où le décret sur la suspension des allocations familiales est voté). Ses seuls contacts humains sont ceux qu’elle a avec Freddy (alias Raja) et sa famille, si on peut appeler cela des contacts.
« A l’école, personne ne l’aimait. Tout le monde avait ses raisons. Elle était moche, elle était mal habillée, elle était grosse, elle était violente, elle était méchante, elle était nulle. Et elle crachait par terre. Ça, c’était pour les élèves ». Pour les professeurs, les raisons sont les mêmes mais dans un ordre différent. Autant dire que Nejma est taillée pour être accusée de tout lorsque des problèmes arrivent, problèmes très graves où des vies sont en danger.
Le livre est le récit de combats. Combats de Nejma qui ne sait pas s’exprimer autrement. Combats de groupes ou d’individus dans la cour du collège où la violence s’est installée avec de lourdes conséquences, combats de la société contre ses pauvres, de Freddy contre la passivité de Nejma, et d’autres encore (beaux personnages secondaires que ceux de la directrice et du vigile). La dédicace du livre montre certaines sources : les enfants de Bagneux et Cécile Rossard qui ont sans doute inspiré ce livre pour le côté français, Radhika Jha, romancière indienne et Pravina Nallatamby (pour la langue ?).
Le titre, « Babyfaces », dont il faut noter le pluriel, est une merveille de significations légères : à méditer, de même, l’espoir que Marie Desplechin offre en cadeau à Nejma, comme on offre un ticket pour un nouveau départ.