Sous haute dépendance
Ursula Poznanski
Traduit (allemand) par Sylvie Roussel
Bayard Jeunesse, 2013
Pour la horde !
Par Christine Moulin
Encore un ! Un livre inspiré de l’univers des jeux video. A priori, le message est le même que celui souvent véhiculé par les romans à destination des adolescents: les jeux video sont dangereux, ils provoquent une addiction qui fait qu’on s’isole, qu’on laisse tomber les parents et même les copains, qu’on néglige le travail à l’école, tout cela pour le plus grand profit de sinistres manipulateurs. Ne manquent même pas les nombreuses allusions à la mythologie grecque, qui dispensent, en passant, quelques éléments culturels…
Mais ce propos un peu trop moralisateur est ici tempéré par deux facteurs: le premier, et non des moindres, c’est que, visiblement, l’auteur connaît l’univers des MMORPG (1) . Elle en décrit bien les phases, les règles, les usages (par exemple, le mépris affiché par certains joueurs experts pour les débutants) et surtout, (c’est d’ailleurs ce qui rend son propos convaincant) le plaisir qu’ils procurent. Elle arrive notamment à présenter le jeu en tant que tel, là où d’autres racontent ce qui arrive à l’avatar du joueur, faisant du jeu une histoire dans l’histoire, sans les distinguer l’une de l’autre. Par ailleurs, loin d’être stigmatisée, l’addiction (le terme est-il exact? on peut en douter) est finement analysée: le héros, Nick, se prend à penser à Erebos, à se demander ce qu’il s’y passe pendant son « absence » ; quand il doit se déconnecter, il ressent comme une impression de vide, si bien que la vie réelle et la vie « en ligne » sont inversées, la deuxième, plus intense, prenant le pas sur la première : » Je récuse la réalité. Je lui refuse mon concours. Je me soumets aux tentations de la fuite hors du monde et me voue corps et âme à l’éternité de l’irréel » (citation qui permet de vérifier, encore une fois, que lecture et jeu peuvent être perçus comme finalement assez proches…!).
Le deuxième facteur qui fait sortir ce roman du lot, c’est que le thème, souvent décliné, des risques que font courir les jeux video aux adolescents laisse place, dans la deuxième partie, à un thriller bien mené, à un suspense bien tenu, dont le dénouement n’est pas décevant. Thriller qui, mine de rien, amène à réfléchir sur la place du choix et de la liberté dans les décisions que chacun peut être amené à prendre et ce, dans un monde où les adultes, comme souvent aujourd’hui dans les ouvrages pour la jeunesse, sont dans l’ensemble défaillants, impuissants ou absents.
(1) l’acronyme en anglais de « Massively Multiplayer Online Role-Playing Game »