La mort préfère Ava
Maïté Bernard
Syros, 2013
Consolatrice tu seras
par Christine Moulin
Depuis Harry Potter, le lecteur apprécie que le héros d’une série évolue, grandisse, mûrisse. C’est le cas pour Ava, et c’est tant mieux car la maturation de l’écriture accompagne celle de l’héroïne.
D’abord changement d’île. Nous voici à Guernesey, ce qui nous permet de visiter la demeure de Victor Hugo, Hauteville House, ou plutôt, dans un premier temps, de ne pas la visiter, les horaires étant confidentiels (ce qui correspond assez bien à la réalité!) pour ensuite apprendre ou retrouver toutes sortes d’anecdotes sur le célèbre écrivain, bien amenées et bien choisies, en accord avec le cadre fictionnel: c’est ainsi que l’auteur insiste sur l’inscription gravée sur un mur, Absentes adsunt (les absents sont présents), ce qui fait écho au destin d’Ava, sans cesse confrontée à des fantômes. Dans le même ordre d’idées, l’auteur donne une explication toute personnelle du phénomène des Tables tournantes. C’est une des connaissances d’Ava, Joséphine, qui répondait, en fait, au grand homme: « pendant que Victor Hugo croyait parler avec Chateaubriand, Dante, Racine, Marat, Charlotte Corday, Robespierre, Louis XVI, Napoléon 1er, Mahomet, Jésus, des animaux bibliques et les fantômes de sa maison, il a parlait à Joséphine qui avait la culture, l’imagination, la versatilité et l’à-propos nécessaires pour tromper un des esprits les plus brillants de son temps ». Voilà un mystère d’éclairci!
Mais de façon moins périphérique, le roman développe deux dimensions qui lui donnent tout son intérêt : la dimension sentimentale, Ava ayant du mal à concilier sa « vocation » de consolatrice et ses histoires d’amour, ce qui, mutatis mutandis, ne la distingue guère des jeunes femmes d’aujourd’hui; la dimension politique: Ava essaye toujours d’organiser le système d’aide à apporter aux âmes errantes et se heurte à des factions et des luttes pour le pouvoir dignes des entreprises modernes. Le côté fantastique renvoie assez « naturellement » à des faits de société actuels. Maïté Bernard est, en quelque sorte, notre JKR à nous, sans pour autant la plagier.
Enfin, comme dans les tomes précédents, un mystère est au cœur du livre: le projecteur éclaire progressivement le passé de Cécilia, le mentor d’Ava.
On a donc affaire à une véritable série, qui n’est pas artificiellement divisée en plusieurs tomes, tous plus épais les uns que les autres, pour obéir aux nouvelles lois du « marketing », une série qui progresse véritablement, prend de l’ampleur et de l’épaisseur.