Voyage
Elena Selena
Gallimard Jeunesse, 2021
Voyager en oiseau
Par Matthieu Freyheit
On sait la valeur poétique des grues, souvent convoquées dans le haïku en particulier. Très récemment, chez Véronique Gentil, leur cri résiste à l’interprétation autant qu’à l’appropriation, renvoyant la poète à elle-même : « Si je pleure quand passent les grues c’est peut-être sur moi que je pleure, de n’avoir pas osé devant le ciel ouvrir ma poitrine ni comprendre que leur cri n’est pas un salut mais un cri pour elles-mêmes – me tenir seule » (On construit des maisons et on ne les finit pas, 2021). Le cri lancé par la grue qui ouvre cette suite de 5 doubles-pages en pop-up n’est pas non plus un salut, mais une question lancée à la genèse voyageuse du poussin : « Maman, papa, comment suis-je arrivé là ? »
Une interrogation d’apparence banale, mais aux implications hautement géographiques, comme l’indique le titre de l’ouvrage : Voyage, ainsi se nomme le nom du pays d’origine du poussin. Le récit des parents n’a guère besoin de beaucoup de mots : les formes et les couleurs fournissent toute la profusion nécessaire à l’éclat de la vie et de la joie.
Le lecteur est habitué peut-être aux prouesses du pop-up, qui s’est désormais imposé comme une forme incontournable des recherches esthétiques menées dans le champ de la production pour la jeunesse. L’auteure elle-même a réalisé plusieurs albums sur le même modèle. L’habitude ne suffit cependant pas à émousser l’enchantement, et Elena Selena parvient dans cette proposition à associer la luxuriance et la profusion à une poésie de la quiétude que favorise, sans doute, la discrète monochromie rose qui accompagne la présence des grues dans leur périple, qui n’a véritablement ni début ni fin. La jeune grue est d’ailleurs désormais en âge de partir à son tour : Voyage, ainsi se nomme aussi bien le pays de son avenir.
(voir également la chronique de Michel Driol, ci-dessous)