Olympia Kyklos

Olympia Kyklos
Mari Yamazaki
Traduit (japonais) par Ryoko Sekigushi et Wladimir Labaere
Casterman, 2021

L’important c’est de participer ?

Par Anne-Marie Mercier

Publié au Japon en 2018, ce petit manga anticipait largement sur les Jeux Olympiques, de cet été 2021. On se tromperait si l’on pensait qu’il s’agissait pour l’auteure de mobiliser par avance l’enthousiasme de ses compatriotes : elle n’aime pas le sport, et ça se voit.
On rit beaucoup des situations ridicules, de la compétition et du regard très distancié qu’elle porte sur les épreuves : le premier épisode montre une course à l’oeuf, inspirée de compétitions de village modernes, très drôle.
Comme dans ses ouvrages précédents (voir Thermae Romae), l’intrigue associe monde antique et monde moderne. Démetrios, peintre sur céramique médiocre, est projeté à plusieurs reprise de sa Grèce du IVe siècle avant J.C. à l’année en 1964, pendant laquelle se sont déroulés les  premiers Jeux de Tokyo. Il est amoureux en secret d’Apollonia, la fille du chef du village, et n’aime que batifoler avec un dauphin. Ses capacités physiques font qu’à plusieurs reprises les autorités du village le forcent à concourir, ou à se battre en tant que champion. Il est sauvé par ses incursions dans le monde moderne où il découvre la course à l’œuf, la barbe à papa, les brochettes de poulet, la beauté de la course et du dépassement de soi pour le seul amour de l’effort.
Le scenario tient essentiellement par l’humour des situations mais on trouve tout de même une réflexion intéressante sur le sport de compétition. Les dessins sont, comme toujours avec cette auteure, l’atout principal de l’ouvrage, mais on est amusé par la pudeur qui fait que les sexes masculins, présents sur les oeuvres antiques, sont absents lorsqu’elle représente ses personnages : voilés par des pans de vêtements ou parfois inexistants, comme sur les poupées d’autrefois… pudeur japonaise ou adaptation française ?

Idiss

Idiss
Richard Malka, Fred Bernard, d’après le livre de Robert Badinter
Rue de Sèvres, 2021

Par Anne-Marie Mercier

Richard Malka et Fred Bernard ont mis en images le livre de Robert Badinter consacré à sa grand-mère, Idiss, rescapée des pogroms de Bessarabie, morte en France en 1942 pendant l’occupation allemande, assez tôt pour ne pas voir ses fils et son gendre partir en déportation et y mourir. L’Histoire « avec sa grande H » accompagne la vie de la famille, de la Bessarabie à la France, avec les guerres du Tsar, la guerre de 14-18, le Front populaire et la montée du nazisme. Malgré la noirceur de l’horizon historique final, l’album est lumineux, les couleurs gaies dominent, les roses, les jaunes, les verts mettant en valeur les pages plus sombres.
C’est aussi une manière, pour l’auteur, de ne raconter qu’indirectement la vie de ses propres parents et de ses oncles massacrés : pudeur ou impossibilité à la Georges Pérec de dire la « disparition ».
Cet album a ainsi, paradoxalement, une part joyeuse : on y voit l’amour qui unit Idiss à son mari, à ses enfants et petits-enfants, les moments de bonheur dans les temps de paix, et notamment à Paris. Sa façon de s’adapter, alors qu’elle vient d’une autre culture et est illettrée. On voit aussi l’itinéraire de ses enfants, leurs études, leur mariage, les réunions familiales autour d’Idiss, les vacances…
C’est une belle vie, racontée avec tendresse et humour, dans laquelle Idiss apparait comme une héroïne ignorée : une mère prête à tout pour protéger ses enfants, son mari, une femme consciente de la fragilité du bonheur, toujours prête à l’accueillir.
C’est un beau modèle de vie de femme de ces temps et de l’intégration d’une famille dans la société française du XXe siècle, de la grand-mère illettrée au petit fils avocat et ministre.

Folklords

Folklords
Matt Kindt, Matt Smith, Chris O’Halloran
Delcourt, 2021

Personnages en quête de temps

 

Par Anne-Marie Mercier

Si la couverture peut faire penser à une énième histoire de voyage dans le temps, avec la représentation d’un jeune homme en costume de notre temps dans un décor médiéval, le contenu est tout autre. Ansel vit en fait dans cette époque moyenâgeuse et le costume qu’il porte est de sa fabrication, comme d’autres objets qu’il a vu en rêve (comme son sac à dos, un briquet, etc.). Il est à l’âge où chaque adolescent doit choisir une quête et la présenter lors d’une cérémonie. Ansel a choisi d’aller chercher les « maitres peuples » (traduction de folklords qui gomme le sens pluriel et le rapport au folklore) ; mais cette quête est interdite par la secte des bibliothécaires, sorte de police de la pensée très inquiétante et armée : Ansel et ses amis vont au-devant de bien des dangers.

Leurs aventures sont multiples, les pièges, redoutables, le suspens garanti. Le récit est parfaitement rythmé, les couleurs sombres à souhait, les cases déstructurées, comme l’univers de cette bande dessinée : elle mêle les temps (différentes époques se télescopent), les contes (on retrouve celui d’Hansel et Gretel, celui du Roi grenouille, de La Belle et la Bête…) la fantasy (avec un elfe appelé Archer, un troll amateur de tourte, une femme appelée laide qui cherche à se métamorphoser avec un baiser d’amour, et d’autres monstres divers). Mais au-delà de cet imaginaire, c’est le début – il y a déjà plusieurs tomes publiés en anglais – d’une réflexion sur la quête d’identité de jeunes gens qui ne se sentent pas adaptés à leur temps ni acceptés pour ce qu’ils sont, et une réflexion sur les pouvoirs de la fiction, avec une rencontre et un duel entre un écrivain et ses personnages.

 

Le Château des étoiles, t. IV : Un français sur Mars

Le Château des étoiles, t. IV : Un français sur Mars
Alex Alice
Rue de Sèvres, 2018

Plus fort que Thomas Pesquet !

Par Anne-Marie Mercier

Le quatrième volume des aventures de Séraphin est tout aussi riche en événements que le premier (La conquête de l’espace) et les suivants : on retrouve le combat des Français et des Prussiens autour de l’éther, cette substance qui permet à la matière de voler, la quête du professeur Dulac, père de Séraphin, qui a été enlevé, et la poursuite de Louis II de Bavière, disparu en suivant son rêve aérien dans les volumes précédents.

La planète Mars est belle sous les crayons d’Alex Alice, il y pleut et ses canaux aériens sont autant de passages liquides sur lesquels filer à travers des paysages chaotiques. Mars est aussi un lieu d’illusions où un horrible monstre peut prendre les traits d’une princesse, et vice-versa, où l’on donne à ceux que l’on rencontre le visage de ce que l’on craint ou de ce que l’on cherche, où la télépathie est tantôt une chance, tantôt un piège.
Tout cela fait que les variations graphiques y sont plus riches encore, avec davantage d’ampleur que dans les tomes précédents : les paysages et l’architecture de Mars se déploient dans de grandes cases, des pleines pages, des incrustations, toute une gamme de formes pour décrire à la fois l’immense et le détail.
Poésie, action, politique de la conquête spatiale et de la recherche scientifique, aventures, tout cela est magnifiquement servi par un univers graphique subtil, riche et cohérent où les incroyables machines volantes font rêver. On pense à Philippe Druillet et à Jean-Claude Mézières (Valérian) aussi bien qu’à Hayao Miyazaki ou à Jules Verne.

On en trouve un joli décryptage sur le site de la Fnac.

 

 

 

 

 

 

Crevette

Crevette
Elodie Shanta
La Pastèque, 2019

A l’école des sorciers/ de la vie

Par Anne-Marie Mercier

Une petite fille nommée Crevette est orpheline et pleure tout le temps : elle est seule dans sa petite maison des bois, malgré le fait que sa mère défunte lui parle depuis l’urne où sont placées ses cendres, et en plus on l’a refusée à l’examen d’entrée à l’école de sorcellerie, alors qu’elle voulait être sorcière comme sa mère.
Heureusement, elle est recueillie par des voisins un peu bizarres : Gamelle qui ressemble à un chat gris, Joseph le diablotin rouge, Mistigriffe le chat (un vrai, mais qui a été mordu par un vampire et a des petites ailes sur le dos). Gamelle l’aide à préparer son examen et à planter les graines de plantes à potions, Joseph est un peu moins présent (il travaille à l’extérieur – curieux comme ces êtres, mâles, non humains, ont des comportements genrés. Elle finit par intégrer l’école, viennent les cours (assez drôles), la rencontre de l’amie et de l’ami…
L’histoire est découpée en courts épisodes, ce qui donne à ce livre assez épais (114 pages, très aérées) beaucoup de lisibilité. Les dessins sont esquissés à gros traits et très simplement mis en couleurs, ce qui donne à l’ensemble une allure enfantine et maladroite (la dernière page laisse penser que c’est Crevette l’auteure).
L’ensemble est charmant et parfois un peu acide, souvent drôle : les cours de runes et de potions sont cocasses. Il propose une vision de toute sorte d’initiations à travers l’épreuve de la solitude et des différents stades du deuil, des examens qu’on réussit ou pas, de la jalousie, de l’amour, de la perte, mais aussi les pouvoirs de l’amitié et de l’entraide, et la nécessité de la confiance et du dialogue.

La Pierre de lune

La Pierre de lune
Rémy Simard
La Pastèque, 2019

Sortie scolaire intersidérale

Par Anne-Marie Mercier

Madame Ginette, institutrice, emmène ses élèves au Cosmodôme. « Échappant à sa vigilance » comme on dit, et rusant avec les gardiens, deux de ses élèves volent une fusée et débarquent sur la lune, pour aider leur amie Lucie qui, dit la maitresse, est toujours dans la lune…
Le propos est mince, les situations classiques (pluie de météorite, rencontre d’un monstre, etc.), mais les illustrations sont explosives et drôles. Pour les élèves du Québec qui ont l’occasion de visiter ce lieu (situé à Laval) où l’on cherche à les mettre en immersion cela doit être un joli souvenir.

 

ethel & ernest

ethel & ernest
Raymond Briggs
Grasset jeunesse, 2019

 

« Le tourbillon de la vie »

Par Anne-Marie Mercier

Éthel et Ernest sont d’abord un couple d’amoureux touchant. Elle est femme de chambre, lui livreur de lait ; ils se rencontrent avant la deuxième guerre mondiale (plus précisément, en 1928 – le livre donne régulièrement des dates précises) ; ils se marient, achètent une petite maison en brique avec un jardinet. Ils ont un enfant, Raymond, l’auteur de cette BD, qui livre ici à travers le portrait de ses parents une autobiographie indirecte.
Éthel et Ernest écoutent la BBC (on est en Angleterre), ils s’inquiètent de l’attitude de l’Allemagne, et illustrent la vie quotidienne des Anglais pendant la deuxième guerre mondiale : ils voient leur fils partir à la campagne pour éviter les bombardements, leur maison est touchée par une bombe ; Ernest construit des abris anti-aériens dans le jardin, il devient pompier pour aider les victimes, tous deux sont effarés par l’annonce de l’explosion de la bombe d’Hiroshima.

Ils se disputent un peu à propos de politique (lui est travailliste, elle aime bien Monsieur Churchill), et à propos des évolutions de la modernité (lui croit au progrès et s’enthousiasme pour les changements, elle a des doutes : une page très drôle montre leur dialogue sur la mode de la mini-jupe, une autre sur le premier homme sur la lune, ou sur le téléphone, la légalisation de l’homosexualité). Une machine à laver entre dans leur maisonnette, puis une télévision ; Raymond achète une voiture, Éthel obtient un emploi dans un bureau, son rêve ultime. Ils meurent la même année, en 1971, au moment où l’Angleterre adopte le système décimal.

Le regard porté sur le couple est celui, tendre et parfois agacé, de leur fils. Sa propre vie est esquissée pour montrer le caractère de ses parents, notamment de sa mère, fière de voir son fils faire des études, déçue qu’il ne soit pas officier quand il fait son service militaire – et la guerre de Corée. Elle s’inquiète , comme Ernest, lorsqu’il s’oriente vers des études d’art qui n’amènent pas selon eux à un vrai métier ; il sont rassurés quand il devient professeur (un métier « plus normal »). Elle a toute la dignité d’une femme du peuple qui refuse la vulgarité et le laisser-aller (elle reprend Raymond sur son langage, ne s’habitue pas aux cheveux longs de son fils, ni à sa camionnette) et se préoccupe du regard des voisins. Elle a toute la rigidité qui va avec cette posture, parfois insuportable. Mais malgré ce qu’on devine des tensions entre son fils et elle, le regard porté sur elle comme sur son mari reste tendre et amusé, parfois pathétique au moment de sa mort et de celle d’Ernest, qui la suit de près.

On retrouve l’art de l’auteur du merveilleux Bonhomme de neige, de Lili et l’ours, ou de Sacré Père Noël. Le récit fait alterner de petites vignettes carrées et d’autres plus grandes, ou des pleines pages, présentant tantôt une adhésion au monde, un élan, tantôt un retrait, une absence, ou un enfermement. Presque partout, les dialogues dominent (dans le cas contraire, cela fait sens) et les paroles débordent des cadres. Le dessin et les couleurs, globalement réalistes, s’affranchissent de cette esthétique dans certaines scènes, au profit de l’émotion.
ethel & ernest est à la fois une réflexion sur l’époque (1928-1971), sur la manière d’affronter les épreuves et de vivre les changements, mais surtout une belle et admirable histoire d’amour, aussi bien l’amour qui unit le couple que celui que l’auteur a pour ses parents. La réédition de ce texte, paru en langue anglaise en 1998, est une belle initiative des éditions Grasset qui republient par ailleurs de nombreux classiques. Un film d’animation en a été tiré, réalisé par Roger Mainwood et sorti en 2016.

Folk, épisode 1

Folk, épisode 1
Iris
La Pastèque, 2018

 Western faustien

Par Anne-Marie Mercier

Jug est un raté, un soulard, un nul répugnant dont personne ne veut, même dans le village perdu de l’ouest américain où il vit. Il y est un pilier du saloon et le concierge de l’unique hôtel. Un spectre lui propose un pacte : il lui accorde le don de la musique et du chant ; s’il arrive à réunir d’autres excellents musiciens et à parvenir au grand studio d’enregistrement, il deviendra riche et pourra réaliser tous ses rêves…
Le parcours est jalonné de rencontres loufoques et Jug s’avère être un héros de plus en plus anti-héros. Le résultat est un mélange curieux et drôle, mais aussi un hommage aux débuts du folk américain, né sur la route, pour ce premier épisode (à suivre…).

Jake le fake à l’assaut du collège

Jake le fake à l’assaut du collège
Craig Robinson, dam Ma,nsbach, Keith Knight
Seuil, 2018

Impostures collégiennes

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce roman graphique (dans la lignée des aventures de Greg de Jeff Kinney), nous suivons les aventures de Jake, inscrit grâce à un subterfuge à l’Académie d’art et de musique, un collège pour enfants doués. Pour continuer à faire illusion il multiplie les stratagèmes, gestes d’esbroufe, contre-pieds et se forge une réputation d’artiste indépendant et imprévisible tout en sachant in petto que cela ne vaut rien.

C’est à la fois un peu dérangeant dans la volonté de ridiculiser les avant-gardes artistiques, décapant dans la dérision face aux pseudo génies de la création, et émouvant dans le portrait d’un élève somme toute ni bon ni mauvais, mais qui se sent en position d’imposture et tente de comprendre qui il est et quel pourrait être son talent, s’il en a un. Les dessins en rajoutent dans l’excès et font que rien n’apparait comme trop sérieux.

Persée. Vainqueur de la Gorgone

Persée. Vainqueur de la Gorgone
Yvan Pommaux
L’école des loisirs, 2018

Oh le joli conte, oh le joli héros, oh le bel album !

Par Anne-Marie Mercier

L’histoire de Persée est un joli conte qui finit bien (enfin, pour les héros…), contrairement à la plupart des histoires de la mythologie. Mais comme dans bien des histoires elle avait mal commencé : un oracle sombre délivré à son grand-père (qu’il tuera par hasard sans le savoir) fait que celui-ci enferme sa fille, Danaé, dans une tour. La belle princesse est repérée par Zeus et honorée (!) de la pluie d’or (jolie image) ; puis elle est enfermée dans un coffre et jetée à a mer avec son fils, etc. À la fin, le bon fils sauve sa mère, tue le monstre (la Gorgone) et épouse la princesse (Andromède).
Aussi les pages de Pommaux dans cet ouvrage sont-elles parfois proches de ce qu’on attend d’un conte pour enfants : couleurs pastel, beaux gris-bleu, vert tendre, rose pâle… Les personnages ont des visages d’enfants, et les petites ailes qu’Hermès fixe aux pieds de Persée sont mignonnes à souhait. En contraste, le sang  de la Gorgone et du monstre marin, celui dont jailli Pégase, est d’un beau rouge qui tranche sur toute cette douceur, comme les bruns et les noirs des scènes angoissantes et le gris des humains pétrifiés par le monstre.

Encore un beau récit en images, qui mêle mythe et enfance, comme le faisait l’histoire de Thésée, avant et après les récits plus sombres et âpres des autres albums, Troie, Œdipe, Ulysse