L’Étrange Boutique de Viktor Kopek

L’Étrange Boutique de Viktor Kopek
Anne-Claire Lévêque, Nicolas Zouliamis
Saltimbanque éditions, 2023

Un nécessaire pour la vie

Par Anne-Marie Mercier

Dès le titre, on est attiré par une ambiance qui évoque les légendes des pays de l’Europe de l’est. Dans ce grand format, l’image, teintée de kitsch, nous plonge dans une ville nocturne sous la neige, puis dans une boutique où la narratrice perdue est attirée par une odeur de gâteau aux pommes à la cannelle (un strudel ?) et un chat noir. La pièce est remplie de valises ; les murs sont couverts de portraits photographiques en pied sur lesquels chaque personne porte une valise. Arrive le propriétaire du magasin, photographe et fournisseur en « panoplies » : la jeune fille est priée de choisir une valise parmi celles qu’il lui propose. L’une d’elle aurait la « panoplie » idéale pour l’aider à affronter la vie, d’après celui qui est décrit comme un « magicouturier » : « vêtements inspirés ou accessoires futés […] pour s’adapter parfaitement aux circonstances, parfois étranges, parfois délicates, de la vie ». Comme un couturier, il prend les mesures de la jeune fille, mais comme c’est un « magicouturier », cela se fait de manière fantastique, à l’aide d’un piano et d’un mètre-ruban immense et animé. Quelle sera l’issue de ce qui ressemble à un pacte, mais ne demande aucune contrepartie ? On songe à la boutique d’antiquaire de La Peau de chagrin de Balzac, au Livre sans fin de Ende…
À l’issue de cette exploration de sa personnalité et de son corps, cinq valises lui sont proposées : panoplie de curieuse invétérée, de plus-que-parfaite, d’insatiable, d’effrontée, de princesse ? Le choix sera lui aussi imaginatif, comme tout l’album.
Les images, cadrées comme dans un film expressionniste, tantôt à fond perdu pour mieux nous absorber, tantôt sur fond blanc comme dans un catalogue d’objets bizarres, surréaliste, sont superbes, pleines de détails curieux, hors du temps.

Nicolas Zouliamis, scénariste et auteur de BD, s’est fait une spécialité de l’étrange et on voit ici qu’il l’illustre superbement (voir La maison en thé, paru au Seuil en 2019).

 

Il y a des monstres dans ma chambre

Il y a des monstres dans ma chambre
Fanny Pageaud
À pas de loups, 2023

Brrrr….

Par Anne-Marie Mercier

Drôle de livre… Dès la couverture : sur un fond noir, deux découpes blanches évoquent les yeux d’un animal (un chat ? une chauve-souris… ?). Il nous regarde, et le titre remplace les pupilles.
Mystère encore, quand on l’ouvre : les pages sont blanches et le texte est inscrit de manière très aérée sur ce fond blanc, comme un poème. Il nous dit la terreur d’un enfant, la nuit, chaque page ajoutant au suspense et à l’angoisse. Quel beau rythme !

Mais que l’on se rassure : la deuxième moitié de l’album évoque un adoucissement et une victoire contre les monstres et donc contre la peur.
Enfin, quand on a compris ce que cachent ces doubles pages blanches (se munir d’une lampe), on en découvre d’autres, et brrrrr… !  Fanny Pageaud sait non seulement évoquer les monstres mais elle sait aussi les invoquer à l’encre de chine.
Voir l’animation sur son site, qui vous révèlera le mystère.

note de l’auteur: « Après deux versions sérigraphiées aux éditions de La Nef des Fous en 2009 puis aux InÉditions en 2012, puis une version éditée  aux éditions du Poisson Soluble en novembre 2016, puis une seconde fois aux Inéditions en 2019…Voici une toute nouvelle version 2023 aux éditions À pas de loups! »

La Sorcière Panaris et l’enfant-navet

La Sorcière Panaris et l’enfant-navet
Isaac Lenkiewicz
Sarbacane, 2023

Un navet contre une citrouille

Par Anne-Marie Mercier

Une petite sorcière un peu trop farceuse au goût des habitants du village, sa bouilloire chien (qui la suit partout), une réunion de sorcières à la pleine lune où elle se rend en fauteuil volant (modernité et confort obligent) pour préparer le concours de légumes annuel, une alliance entre trois enfants et Panaris contre un cultivateur de légumes grognon, un pont qui parle, un chat-copieur, une voiture à pattes…
Les enfants font un sortilège pour créer un enfant-navet qui devra gagner le concours… mais ils s’attachent à cet enfant légume, ce qui fait qu’ils doivent lutter contre tous ceux qui veulent le manger, comme la cheffe des sorcières et son cochon géant, une belle pagaille !
Et tout cela se termine avec un banquet de fête de la moisson, sans navet au menu.
Le récit, porté par Panaris et accompagnés de dialogues dans des bulles, est horrifique à souhait, comme les dessins qui jouent sur les contrastes de couleur et les échelles de manière originale.
Joyeux Halloween !

 

Le Secret des sables

Le Secret des sables
Levi Pinfold
Traduction (anglais, UK) par Claire Billaud
L’école des loisirs, 2023

Nouveau classique, beauté pure

Par Anne-Marie Mercier

L’album s’ouvre sur un poème : « Roses blanches nous vous suivons vers l’Oracle du Vallon/ Désert de mort puis la fontaine d’une demeure souveraine / Au calice ayant goûté, nous entrons dans le palais / Rompons le pain pour le Gardien, descendons toujours plus loin / En plongeant dans le bassin, nous tombons entre ses mains / Loin de tout ce qui est, prisonniers à jamais. »
Pour l’héroïne de l’histoire, une fillette qui roule avec ses trois grands frères (Bill, Dany et Bob) dans une vieille voiture à travers le désert, « c’est juste une chanson stupide ». Ils la connaissent tous ; on apprend par la suite que leur mère la chantait. Négligeant l’avertissement qu’elle contient et contre l’avis de leur sœur, les garçons en accompliront toutes les étapes : arrêt pour cueillir des fleurs blanches pour leur mère – elles fleurissent curieusement au milieu du désert – rafraichissement à la fontaine qui se trouve devant un hôtel gigantesque et apparemment abandonné, collation sur la table magiquement dressée pour eux, bain dans la piscine intérieure de l’hôtel, et disparition : les garçons sont-ils devenus les dauphins que l’on voit évoluer dans la page qui suit leur entrée dans l’eau ?
La fillette restée seule les cherche partout et finit par rencontrer un grand lion, l’Oracle. Il lui révèle que ceux qui se sont nourris et ont bu chez lui doivent rester sous sa loi (comme dans le mythe de Perséphone, ou l’Odyssée et La Belle et la Bête. Si elle veut sauver ses frères, elle doit rester prisonnière pendant trois jours dans ce paradis (le titre original est « Paradise Sands ») ; si elle mange ou boit quoi que ce soit, elle restera avec ses frères. On retrouve ici le thème d’une sœur qui doit subir des épreuves pour sauver ses frères métamorphosés (comme dans « Les Cygnes sauvages » d’Andersen », Le Tunnel d’Anthony Browne…).
« Le premier jour un banquet avait été dressé ». Si les images du bâtiment avaient déjà un air de déjà-vu (L’Île des Morts (Die Toteninsel) d’Arnold Böcklin, Chirico… des architectures italiennes des années 30 et 40 ?), la scène du banquet est à rapprocher d’un tableau représentant la Cène (celui de Ghirlandaio ? un peu de Vinci ?). La blancheur et la rectitude des plis de la nappe et de la colonnade en arrière-plan contrastent avec la noirceur des eaux d’un bassin et du bois de grenadiers en arrière sur lequel se détachent les colonnes (rappel : la grenade symbolise la mort, c’est le fruit que Perséphone a mangé et qui l’a condamnée à passer la moitié de son temps avec Hadès, le Dieu des enfers, qu’elle a dû épouser). La sa robe bleu pâle de la fillette fait contraste avec l’apparence des autres convives, des animaux blancs ou noirs (mouton, chat, cheval…). Le deuxième jour, le ciel s’est éclairci et d’autres animaux apparaissent (éléphants, girafes, singes). Le troisième jour, il n’y a plus que « la chaleur et le soleil » et des corbeaux avec la fillette, qui n’a toujours rien bu ni mangé, mais qui donne de l’eau à ses fleurs « pour les garder en vie ».
Cette erreur fait que, si elle peut quitter le gardien avec ses frères, ses propres enfants devront subir la même épreuve. L’enchantement se dissipe, tout s’évanouit, il ne reste plus que le désert, la voiture dans laquelle elle retrouve ses frères endormis, auprès desquels elle s’endort à son tour.
Un rêve ? L’interprétation reste ouverte. Les dernières pages laissent planer le doute : arrivés à destination (l’image nous fait comprendre que la mère est à l’hôpital), il semble que la mère, voyant les fleurs, devine quelque chose de toute l’histoire, sans doute parce qu’elle-même l’a déjà vécue. Au fait, la famille est d’origine amérindienne ; un talisman est accroché au rétroviseur. Et Perséphone et sa mère Céres (ou Proserpine et Déméter), c’est encore une histoire mère-fille.
Le style de Levi Pinfold est proche de celui de Van Allsburg, par cette façon de laisser l’interprétation en suspens (par exemple dans L’Épave du Zéphyr, Boréal Express, L’Etranger, etc.) mais aussi par la délicatesse du trait et l’art de jouer avec différents niveaux de gris. La couleur ici est rare : robe bleu pâle de la fillette, orange des fruits du grenadier ; le reste est baigné d’une poussière grise, ocre ou beige. Les multiples références littéraires et picturales font de cette œuvre un carrefour de sens, mêlant les genres et les époques. De nombreux traits réalistes coexistent avec un ancrage fort dans le fantastique. Enfin c’est superbe et mystérieux, à lire et à relire.

Levi Pinfold est l’illustrateur de la série Harry Potter en édition collector ; il est sur la liste  Yoto Carnegie Shortlist en 2023 pour The Worlds We Leave. Il est l’auteur de La Légende du chien noir (Little Urban , 2015) et a illustré Le Barrage de Davis Almond (D’Eux), 2020). Un auteur illustrateur à suivre !

 

 

Le Chemin

Le Chemin
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2023

Un chemin peut en cacher deux autres : Claude Ponti sur les routes d l’expérimentation

Par Anne-Marie Mercier

« Un chemin ne s’arrête jamais ».
Claude Ponti excelle dans les histoires de chemins, les bons qui amènent à bon port, ou les mauvais qui font exprès de perdre les gens. Jusqu’ici ils n’étaient qu’un élément de ses albums. Dans ce grand leporello, le chemin est le personnage principal, celui qui porte la narration et les évènements, favorise la découverte d’êtres étonnants (un gobe-pluie, l’éléphant montagne, des poussins, Robert le robot rutilant…), le passage sur des ponts, les bifurcations… Ce leporello coloré impose un ordre que l’on peut s’amuser à interpréter.
Dans le beau coffret cartonné dans lequel il est présenté on trouve aussi un jeu de cartes proposant une reproduction de chacune de ses images au même format mais de façon détachée. Ceci offre au lecteur la possibilité de construire son propre chemin avec les mêmes étapes, que l’on choisira ou pas et que l’on placera dans l’ordre de son choix: c’est un exemple de lecture aléatoire (un peu comme des la série des livres dont vous êtes le héros, mais ici le lecteur est maître du jeu).
Sur un petit livret joint à l’ensemble, on peut lire un texte de Claude Ponti exprimant sa philosophie du chemin : ses définitions et ses qualités, variées et surtout variables.
Au dos du leporello, des dessins en noir et blanc poursuivant l’aventure du chemin alternent avec des faces blanches : le lecteur peut colorier l’existant et inventer la continuité entre les pages vides et les pages pleines.
Quel boulot, la lecture !
Tout cet ensemble apporte une pierre à la connaissance de l’univers de Claude Ponti, dans lequel la linéarité ne rime pas avec la régularité et où domine la variabilité. Pierre à l’édifice, ou caillou sur le chemin ? C’est comme on voudra.

La Fille de la forêt

La Fille de la forêt
Judith Drews
La Martinière jeunesse, 2023

Une amie imaginaire

Par Anne-Marie Mercier

Une fillette, Anna, se sent attirée par la forêt au-delà du lac au bord duquel elle vit. Un jour, elle saute le pas et plonge pour se rendre sur l’autre rive. Elle y rencontre une autre fillette portant des bois de jeune cerf, qui l’emmène avec elle pour lui faire découvrir les merveilles de la forêt, particulièrement ce qui lui faisait peur : les ours, les sangliers, les loups. Initiée par son amie, elle a aussi la vision de la terre-mère qui lui transmet un message : il faut qu’elle soit elle-aussi la gardienne de la nature.
À la fin , Anna se réveille de son rêve, mais a-t-elle seulement rêvé ?
Il y a dans cet album beaucoup de bonnes intentions, mais les personnages peinent à exister, les procédés sont un peu usés. Les images manquent parfois de relief, mais c’est peut-être un élément à porter au crédit de l’album : sa dimension onirique est renforcée par les brumes qui traversent ses pages.

Le Jardin secret du dernier comte de Bounty

Le Jardin secret du dernier comte de Bounty
Philippe Mignon
Les Grandes Personnes, 2023

Lecture -voyage dans un jardin

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un autre album étonnant au catalogue des Grandes Personnes qui nous avaient déjà ravis avec de multiples chefs-d’œuvre. Celui-ci ne ressemble à aucun autre et il a s’inscrit dans différents genres : encyclopédie imaginaire, livre-jeu, traité de l’histoire des jardins, histoire d’un personnage…
« Nous sommes en 1842 » … Henry Blackwood est le dernier comte de Bounty : il a perdu son fils unique, un savant naturaliste, mort dans le naufrage de son bateau en mer de Chine. Henry Blackwood, sachant sa fin proche, fait venir un ami, savant comme lui, pour lui faire visiter son jardin, l’œuvre de toute sa vie, avant de disparaitre et faire disparaitre son jardin avec lui. En effet, cette visite d’un lieu plein de vie, de sève et d’eau est aussi un chant funèbre, un testament.
Nous visitons, comme l’ami, avec Henry pour guide. On suit leur progression. On admire les statues. On passe d’un ruisseau à un étang, puis à une fontaine, un lac, une île… Henry explique comment il a procédé et où il a trouvé les matériaux. On dévoile de nouvelles perspectives en soulevant des rabats, on se perd dans le labyrinthe (oui, il y a un vrai labyrinthe). Notre gondole passe sous une bouche de monstre. On découvre le gigantesque poisson des abysses qui servira de tombeau au comte. L’album est un livre à systèmes : le poisson surgit au milieu d’une double page, ouvrant sa gueule devant nous. C’est une expérience de lecture étonnante qui mime celle d’une promenade dans un jardin spectaculaire (l’auteur s’est inspiré de jardins existants : Méréville, Bomarzo, Ambras, le parc Querini de Vicenza, le jardin de la perspective de Nanjing).
Le livre a une dimension historique et encyclopédique : on y trouve différentes techniques imaginées par les grands jardiniers pour donner une impression d’espace, créer de la surprise, déformer le réel. Le jardin est situé en Irlande, vers Killarney, avec un climat qui autorise tous les rapprochements ; des jardins italiens et français y côtoient un jardin chinois et des pagodes.
Des oiseaux exotiques s’y sont multipliés et le comte élève des espèces rares dont on comprend vite que la plupart sont fantaisistes. Mais là encore, le livre à système autorise de multiples variations. Les illustrations délicates imitent les aquarelles des naturalistes classiques, avec une finesse de trait et une délicatesse de couleurs superbes. Une quadruple page (la page de droite se replie en trois) développe une imitation de planches de zoologie, pour nous présenter des animaux fantastiques à l’allure sage et aux noms latins, mis en relation avec Linné, le grand naturaliste suédois : le Kamichi tête d’euphorbe (qu’on peut voir sur la couverture), l’Ibis Rococo, etc. Mêlant règne animal et règne végétal, jouant avec les espèces, ce dépliant fait face à une page dans laquelle un disque permet de faire varier le bec d’un oiseau : le lecteur pourrait lui-aussi inventer des animaux et leur donner des noms…
En somme l’album nous entraine dans un jardin fantastique (on songe au Jardin d’Abdul Gasazi de Van Allsburg) qui nous apprend beaucoup sur les jardins réels et nous fait voir des animaux proches des plus étranges qui existent, et plus étranges encore. C’est aussi une promenade qui ouvre sur un temps long : à la mort du comte, selon ses volontés, le jardin sera fermé à tous les visiteurs et abandonné pendant cent ans. Le palais de la belle au bois dormant connaît ici une version végétale paisible : après cent ans, il n’y aura personne à réveiller et sans doute plus de jardin autre que dans nos rêves, suscités par cet  album fascinant.

Feuilleter ici

 

 

La Flaque d’eau bleue

La Flaque d’eau bleue
Guillaume Chauchat, Manuel Zenner
La Partie, 2023

Le doudou du robinet

Par Anne-Marie Mercier

Tout surprend dans cet album : son format, haut et étroit, son graphisme, fait de cadrages orignaux, d’aplats bleus, blancs ou noirs, son beau bleu, ses grands traits noirs épais et son histoire.
Le doudou de l’enfant est tombé dans une flaque et y a disparu.
L’enfant, perplexe devant cette flaque sans fond, n’ose pas en parler mais tente d’agir. Ses préparatifs nocturnes pour une enquête sur place échouent heureusement, ses parents s’étant réveillés et l’ayant renvoyé se coucher. Le lendemain, le mystère est résolu et reste entier cependant…
Mystère, beauté, l’ensemble est magique, comme toute l’histoire.

Monsieur Remarquable

Monsieur Remarquable
Olga Tokarczuk, Joana Concejo
Traduit (polonais) par Margot Cartier
Format, 2023

Le Remarquable à l’ère de sa reproduction industrielle

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois un homme remarquable »… Ainsi commence cet étrange récit, entre la science-fiction et la fable philosophique.
Le héros est une icône, tout le monde le remarque, le photographie ; lui-même s’admire et se photographie aussi souvent que possible. Un jour, il se rend compte que son image devient floue. Il finit par comprendre qu’elle s’est usée. C’est apparemment le cas de beaucoup d’autres, et il découvre un vaste trafic de faux visages, garantis « résistants aux clics », clandestin et ruineux.
On ne dévoilera pas la fin.
Ce récit alerte sur les dérives d’un monde numérique qui use jusqu’à la corde la représentation, met les individus en compétition, et pousse ses consommateurs à des excès dangereux. Il nous pousse à nous interroger sur notre rapports aux images, celles des êtres que nous aimons, les nôtres, celles que nous produisons, témoins de nos vie.
Les illustrations de Joana Concejo, crayonnés reprenant d’anciennes photos de famille, cartes postales touristiques détournées, images de vies solitaires ou de mondes disparus dont ne restent que des clichés, vues pixelisées…  donnent une perspective poétique et historique à cette fiction philosophique.

L’Etranger

L’Étranger
Chris Van Allsburg
Traduction (anglaise, USA) de Chrisitane Duchesne
D’Eux, 2022

            Allsburg solaire

Par Anne-Marie Mercier

Un nouvel album de Chris Van Allsburg est un tel événement qu’on ne va pas se priver de le célébrer plutôt deux fois qu’une (et n’est-il pas publié par les éditions D’Eux ?). Je renchéris donc sur la belle chronique de Christine Moulin dans lietje qui célébrait sa beauté et sa générosité. C’est un album solaire, aussi bien par ses couleurs (magnifiques, aux crayons de bois, qui rappellent un Allsbug coloriste que l’on connaissait depuis Boréal express et surtout L’Epave du Zéphyr), que par son histoire. C’est aussi comme la plupart de ses albums, une énigme à laquelle chaque double page semble donner un fragment de réponse sans que jamais le puzzle ne soit complet.
Tout se passe en fin d’été, dans une belle lumière rasante, même lorsque l’automne semble avoir gagné tous les bois avoisinants : l’étranger amnésique et muet, recueilli par la famille Bailey après un accident, aurait-il le pouvoir, par sa présence, d’arrêter le temps ? ou bien le cycle des saisons ? D’autres pouvoirs semblent l’habiter : il est infatigable, il a un contact particulier avec les animaux, un souffle qui est comme le vent, une température anormale… Mais sa présence est une bénédiction pour tous. Qui est-il ? et d’où lui viennent ces vêtements étranges, en cuir brut ?
Devant ces belles images parfois étranges, le temps s’arrête en effet et on aimerait rester encore un peu avec cet étranger, ou du moins y revenir souvent, comme le suggère la dernière double page. Un automne trompeur est bien là, pour un perpétuel recommencement, invitant à reprendre la lecture au début.