Dulcinée

Dulcinée
Ole Könnecke
L’école des loisirs, 2021

 Promenons-nous dans les bois…

Par Anne-Marie Mercier

Dulcinée (rien à voir avec don Quichotte) est une petite fille qui vit seule avec son père, près d’une forêt. Comme bien des contes, cela commence par une interdiction : ne pas aller dans la forêt car, dit-on, celle-ci est hantée par une sorcière. Mais cela dérape vite car Ole Könnecke ne se contente pas des vieilles recettes : c’est le père qui enfreint l’interdit ; il est transformé en arbre par la sorcière et la fillette doit le sauver avant qu’un bucheron ne fasse une terrible erreur… Elle y court, accompagnée par son canard…
Dessins simples et charmants, humour léger à toutes les pages, c’est un petit régal, avec tous les ingrédients du conte mais un peu bousculés : une sorcière qui transforme les gens à son gré (la fillette est menacée de devenir une flûte à bec), différents monstres, un grimoire magique, et au bout du conte une flopée de myrtilles.

 

La Princesse Ortie

La Princesse Ortie
Frédéric Maupomé et Marianne Barcilon
Kaléidoscope, 2021

 

La Princesse pas coquette

Par Anne-Marie Mercier

À première vue on pourrait croire que cet album appartient à la célèbre série de la Princesse coquette de Christine Naumann-Villemin et Marianne Barcilon, publié également chez Kaléidoscope, avec la même illustratrice, dans le même format et avec une couverture visuellement  proche, présentant un personnage de petite fille vêtu d’une robe, en pied, seule (voir ma chronique précédente, consacrée au nouveau volume de la série).
Mais  non : la princesse Ortie est une peste capable de proférer des grossièretés (heureusement elles ne sont pas précisées) alors qu’Éliette est juste une petite fille dotée d’un fort caractère ; Ortie est une vraie princesse et nous emmène dans un univers merveilleux (carrosse, trolls, château et dragon) alors qu »Éliette reste dans un décor réaliste enchanté par sa seule imagination. Autre différence : le point de vue légèrement féministe adopté par Christine Naumann-Villemin dans La Princesse coquette, ou politiquement conscient que l’on retrouve dans La Princesse réclame est ici ambigu. Il y est dit qu’une princesse doit se marier, qu’elle doit aller au bal pour danser avec les princes, etc. (ce sont les propos des parents qui désespèrent de trouver quelqu’un qui veuille bien de leur fille). Certes, ces stéréotypes sont battus en brèche par le personnage, certes, c’est elle qui sauve le prince enlevé par un dragon, il n’empêche que la doxa reste bien présente, tout en étant confrontée à des contre-stéréotypes forts dont on sait qu’ils sont rejetés par les plus jeunes. Ces deux albums ne s’adressent donc pas à la même tranche d’âge.

Pour apprécier pleinement La Princesse Ortie, qui a bien des qualités au demeurant, il faut connaitre l’univers des contes pour comprendre au moins une partie des multiples allusions (manger des pommes, filer la laine, embrasser une grenouille, etc.) qui renvoient à des contes bien connus. Cela permet aussi de rire de l’inversion de la situation (la princesse sauve le prince) et de prendre des distances avec les affirmations sur la nécessité de se marier. Ces bases étant posées, on ne peut que se réjouir des dessins extrêmement drôles de Marianne Barcilon et de l’humour des situations développées par Frédéric Maupomé.

Hagrildur le valeureux et la brigade du renne

Hagrildur le valeureux et la brigade du renne
Sandrine Bonini
Grasset jeunesse, 2022

 

« toute notre vie n’est qu’une suite de quiproquos
plus ou moins héroïques »

Par Anne-Marie Mercier

Il manquait peut-être au roman héroïco médiéval pour la jeunesse une équipe de bras cassés dans le style des Poulets grillés de Sophie Hénaff, ou de la série Slow Horses. C’est une belle compagnie qui se constitue dans ce roman, sans doute pour faire également série, autour d’un balourd, amateur de bière, rêveur, passablement stupide et vaniteux, Hagrildur, qui un beau matin décide de s’appeler Hagrildur le valeureux. Il se fait passer pour un chevalier afin de rencontrer la confrérie des chevaliers et de sauver au passage la belle comtesse Hulda. Chemin faisant, il recrute deux jeunes gens assez benêts et entêtés de leur collection d’autographes, tombe sur la confrérie des voleurs, etc. et si les aventures progressent c’est rarement grâce à lui ; mais tout cela avance dans un bon train et l’ensemble est réjouissant.
C’est aussi un joli petit livre à couverture cartonnée. Les illustrations en orange et gris sur fond blanc pastichant légèrement la veine médiévalo-viking sont de l’auteure dont on avait admiré l’imagination et le trait de plume dans Le Grand Tour (Thierry Magnier)

Le Club du Calmar géant, t. 1 :

Le Club du Calmar géant, t. 1 : l’incroyable équipage du Poisson-globe
Alex Bell, ill. de Tomislav Tomic
Traduit (anglais) pas Faustina Fiore
Gallimard jeunesse, 2022

Jules Verne 2.0 rigolo

Par Anne-Marie Mercier

Incroyable, cet équipage l’est de bien des façons : réunir Max, l’apprenti explorateur rebelle, Jay, l’explorateur modèle couvert de médailles et scrupuleux observateur des règlements, Ursula, 12 ans, élève ingénieure en maintenance de sous-marins, et enfin Jennie, sœur de Jay, douée d’un talent de chuchoteuse qui lui permet d’avoir avec elle un animal totem fantôme, cela fait déjà beaucoup. Mais lorsqu’on apprend plusieurs détails cela relève de l’exploit :  Max, fou de robots, semble avoir vendu ses talents aux ennemis de leur Club, aux pirates et à la Collectionneuse qui s’empare de morceaux du monde pour les mettre dans des boules à neige dans sa collection privée. Ursula, créature hybride et monstrueuse aux yeux de ceux qui le découvriraient, est fille de sirène et d’humain ; elle devient sirène lorsqu’elle plonge dans l’eau et doit s’en cacher, les sirènes étant les ennemies jurées des explorateurs. Officiellement orpheline, elle espère entrer dans l’école des explorateurs où elle est hébergée, mais ces études sont interdites aux filles. L’animal totem de Jennie est un kraken, cela fait fuir beaucoup de gens ; pourtant, elle porte hardiment des tenues à paillettes et des chapeaux extravagants. Enfin, Jay, gardien de la règle, devra s’assouplir pour garder son équipage, le seul disponible après la disparition de leur Club, enfermé dans une bulle à neige.
Les quatre jeunes gens parviendront-ils à délivrer les cités prisonnières ? Pourront-ils libérer les enfants otages de la Collectionneuse ? Ursula découvrira-t-elle son pouvoir ? Toute l’aventure est pleine de rebondissements. Elle est aussi riche en péripéties comiques, en bricolages ingénieux (surtout grâce à Max, roi de la robotique et de la fabrication de pop-corn en milieu hostile), en rencontres merveilleuses (comme l’île tempête, la méduse géante atchoum…) en visites éblouissantes (sous l’océan, on découvre une bibliothèque, un hôtel, un palais des glaces …).
C’est le début d’une série, sur le modèle de la précédente (Le Club de l’ours polaire), inventive et drôle, qui ne se prend pas au sérieux tout en en mettant plein les yeux.
Les couvertures confirment le fait que Gallimard jeunesse sait choisir de bons illustrateurs pour ses séries (voir celle de La Passe-miroir)

Feuilleter sur le site de l’éditeur

 

Londinium, t. 2 : Sous les ailes de l’aigle

Londinium, t. 2 : Sous les ailes de l’aigle
Agnès Mathieu Daudé
L’école des loisirs, medium +, 2022

Arsène Lapin, espion de la reine

Par Anne-Marie Mercier

Londinium est un régal. Son héros, un lapin nommé Arsène (Arsène lapin, donc, ha, ha !), porte monocle et montre de gousset : on aura reconnu un hommage appuyé à Alice de Lewis Carroll, avec le héros de Maurice Leblanc, voila un drôle de mélange. Il n’aime rien tant que fumer un bonne pipe de lucernum dans la tranquillité du foyer confortable, c’est donc un genre de Hobbit aussi.
Le monde de Londinium est un univers où cohabitent plus ou moins bien humains et animaux, avec de nombreux détails sur la géographie de la ville, les habitudes humaines reprises ou on par certains animaux, les lois et la façon de les faire appliquer par tous, etc. C’est une belle utopie imparfaite sur un avenir ans lequel l’espace serait partagé entre les espèces.
Comme Frodon, voilà Arsène embarqué malgré lui dans une aventure effrayante et inconfortable : il doit se rendre en Allemagne pour comprendre ce que manigancent Hitler et le prince héritier anglais. Enquêtant sur le sort des animaux en Allemagne, il découvre le sort des juifs et l’ampleur de la catastrophe future sans vraiment la comprendre. Il offre sur la période un regard naïf tout à fait intéressant. Il rencontre même des figures qu’on n’aurait pas imaginées voir dans un livre pour la jeunesse, celles d’Abby Warburg, avec sa fameuse bibliothèque et de son frère.
C’est drôle, sauf lorsque ça ne peut pas l’être. Le voyage d’Arsène est ancré dans la géographies des villes européennes (Londres, Berlin, Hambourg), plein de rebondissements et d’énigmes. Bonne nouvelle : le tome trois arrive bientôt !

Le Livre coquin, Le livre qui a bobo

Le Livre qui a bobo
Le Livre coquin

Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2021 et 2022

Jouer avec le livre ou être joué ?

Par Anne-Marie Mercier

Voici les 7e et 8e de la série.

En effet, « Le » livre a eu bien des aventures. Ramadier et Bourgeau ont eu le talent de lui faire vivre beaucoup de moments qui font de lui un miroir de l’enfant : avoir peur, s’endormir, être en colère, aller à l’école… toutes ces expériences ont été vécues par le  livre – et par son lecteur.

Et voilà que celui-ci se rebelle… un peu : le coquin se cache, il faut l’appeler, il joue à faire peur, le voilà devenu le compagnon de jeu de l’enfant… accompagné de l’adulte.
Dans le livre qui a bobo l’enfant est conduit à imiter les adultes qui le soignent quand il est malade : on joue au docteur pour soigner ce pauvre livre.

Toutes ces propositions qui demandent au lecteur d’agir avec le livre et suggèrent une interaction sont portées par le graphisme minimal et très expressif du « visage » enfantin attribué au livre, sur un fond de couleur tramée, couleur presque constante dans chaque volume : bordeaux pour l’un, vert maladif puis jaune soleil pour le deuxième. Un livre gai et en bonne forme !

Théo Toutou / Orphée

Les Enquêtes de Théo Toutou
Yvan Pommaux
L’école des loisirs, 2019

Orphée et la morsure du serpent
Yvan Pommaux
L’école des loisirs (« neuf »), 2021

Un cador chez les privés, un musicien chez les morts :
on révise les classiques (3)

Par Anne-Marie Mercier

Depuis quelques temps, L’école des loisirs publie des recueils de plusieurs récits qui permettent de mieux saisis l’art et la manière d’un auteur et assurent la longévité de certaines séries. Ici, Yvan Pommaux, qu’on a beaucoup vu avec des chats (notamment le fameux détective John Chatterton) propose une reprise de 16 récits courts en bande dessinée, publiés auparavant au début des années 2000 par les éditions Bayard (d’abord dans J’aime Lire, puis en albums séparés, puis en recueils en 2012 : autant dire que Théo a la vie dure.
Il est aussi coriace, venant à bout de toutes ses enquêtes. Il est moins solitaire que John Chatterton (qui lui-même était une copie de Humphrey Bogart), épaulé par la fidèle Natacha (une chatte, bien sûr), et admiré par le commissaire Duraton dont il feint de n’être qu’un témoin alors qu’il résout pour lui tous les mystères (de nombreux modèles possibles, ici).
Les enquêtes se déroulent dans des milieux divers et partent de situations et de personnages en crise multiples : collectionneurs fous du monde de l’art, psychopathes, savants déjantés, ravisseurs de peluches, riches héritières capricieuses, voleurs de livres, tous mènent le héros à travers la ville à toute allure et la dynamique du récit de Pommaux est ici encore magistrale, aussi bien par le scenario que par l’enchainement et la composition des cases, très cinématographiques. Enfin, comme toujours, la couleur est superbe et Théo est aussi bien mis en valeur qu’un héros épique.

À l’intérieur de l’album consacré à l’histoire d’Orphée et Eurydice (dont on a ici une reprise en poche dans la collection « neuf »), les couleurs sont pourtant pâles, comme si le sujet y invitait : seul le monstre Cerbère est vif. Cette pâleur fait contraste avec l’ombre des enfers, celle des bois où pleure Orphée, superbes.
On retrouve tout l’art de Pommaux, appliqué à un tout autre genre, et son talent pour actualiser les vieux mythes (l’histoire commence par une histoire de jalousie, à l’époque contemporaine). Son Orphée est touchant, son Eurydice évanescente, encore un petit chef-d’œuvre.

 

Caca Boudin

Caca Boudin
Stephanie Blake
L’école des loisirs, 2022

On révise les classiques (2)

Par Anne-Marie Mercier

Comme le temps passe : Caca Boudin a 20 ans !

Paru en 2002, ce petit album mettant en scène le héros récurrent de Stephanie Blake, Simon le lapin, a gardé son pouvoir de fascination sur les enfants, de même que l’expression qui a donné son titre à l’album. Ce titre, bien mis en valeur sur la couverture de l’album, montre que l’auteure s’amuse comme les enfants. Cette expression semble s’être maintenue de façon remarquable dans le folklore enfantin – qui l’a inventée ? – Caca boudin n’a pas pris une ride (!).
Le titre a gardé sa charge provocatrice : les jeunes parents adultes trentenaires sont restés sensibles à cette expression de leur enfance. Mais c’est aussi un sujet sérieux : la question des tabous sur la scatologie et sur les mots qui l’évoquent est délicate et difficile à traiter, de manière autoritaire ou pas.
Stephanie Blake a choisi d’aborder la question avec humour : « il était une fois un lapin qui ne savait dire qu’une chose… ». Toute la journée (et celle-ci est représentée avec ses différentes étapes, matin, midi et soir, il répond la même chose à tout ce qu’on lui dit. Jusqu’au jour où, un loup lui demande : « Je peux te manger mon petit lapin ? »

On ne divulgâchera pas la suite pour ceux qui ne la connaissent pas. Disons tout de même que les bienséances sont restaurées… provisoirement, et c’est bien normal tant le folklore de l’enfance aime la subversion.

Un Monde de cochons (la totale)

Un Monde de cochons (la totale)
Mario Ramos
L’école des loisirs (Pastel), 2021

On révise les classiques (1)

Par Anne-Marie Mercier

Ce recueil posthume de Mario Ramos réunit l’histoire-titre (publiée en 2005), qui montre l’entrée d’un petit loup dans une école peuplée uniquement de cochons (maitres comme élèves), L’École est en feu et Le Trésor de Louis dans lesquels on retrouve le duo constitué de Louis (le petit loup) et Fanfan (son ami, un petit cochon), qui s’est constitué dans la première histoire.
Le monde de cochons, c’est celui de l’école avec tout ce qui l’entoure (les trajets où on peut faire de mauvaises rencontres, comme celle des trois grands cochons pour Louis), le refus d’école et ce qui peut l’adoucir, les récrés et la solitude, parfois partagée… et le dessin volontairement un peu cochonné et drôle.
Le volume s’achève avec les croquis préparatoires pour un autre récit, qui aurait pu être intitulé « La pirate ». Cette dernière partie est tout à fait passionnante et montre comment Mario Ramos travaillait, elle illustre son style rapide et les hésitations qui le nourrissent.

C’est un régal, comme d’habitude avec les histoires de Ramos, pleines de clins d’œil, d’humour et de justesse.

Dans la forêt sombre et profonde

Dans la forêt sombre et profonde
Delphine Bournay
L’école des loisirs, 2021

L’avez-vous eue, les p’tits loups ?

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, tout est là : le décor avec le titre, l’ambiance avec les couleurs sombres, et ce qui fait peur, avec ces yeux grands ouverts qui nous guettent à travers les branches.
Donc, il y a la forêt, et il y a des loups, et dès les premières pages on les entend : ils grognent et ils hurlent.

Mais ce sont des louveteaux. Et ils ne guettent pas le voyageur égaré. Ce sont des petits qui ne veulent pas dormir. Ils réveillent par leurs cris un grand loup (on apprend ensuite que c’est leur mère), un peu excédé, qui leur demande ce qui leur manque pour dormir.
Toutes les stratégies y passent et c’est assez drôle : ils réclament le bisou, le soin d’un bobo, l’histoire, rituels qui tous ont déjà été effectués, et enfin, la chanson… qui manquait.
Le dessin est très efficace, drôle, on voit juste ce qu’il faut.
Et c’est un bon livre à lire avant l’endormissement, à condition d’être prêt à chanter une chanson… mais c’est la dernière, hein ?