Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !
Nick Bromley, Nicola O’Byrne
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassallo
Flammarion (Père Castor), 2024

Action ! (1)

Par Anne-Marie Mercier

La version en format poche de cet album, paru en 2013 et novateur à l’époque, est la bienvenue (même si le grand format permettait davantage de jeu) : l’auteur feint de vouloir nous raconter l’histoire du « Vilain petit canard » quand un crocodile vient s’introduire dans son histoire. Le lecteur doit être sur ses gardes car l’animal est affamé. Mais en réalité celui-ci mange le livre lui-même, les lettres, les phrases, les pages.
Le lecteur doit intervenir. On lui propose d’endormir l’animal en le berçant et en bougeant le livre, de le crayonner, de le secouer… Il finira par sortir à la manière de l’Histoire de la Petite souris qui était enfermée dans un livre (1980) de Monique Félix.
C’est un bel exemple de livre qui cherche à faire agir son lecteur et anime pages et mots. Depuis, Hervé Tullet a fait plus, Ramadier et Bourgeau aussi.
Après avoir inspiré ce livre à Nick Bromley, l’illustratrice a repris son crocodile dans Qu’y a-t-il derrière cette porte?: Ouvre-la pour voir! (2018), chroniqué sur lietje.

 

Qu’y a-t-il derrière cette porte ?

 

Je plante des radis

Je plante des radis
Kate Petty Axel Scheffler
Gallimard Jeunesse, mars 2024

Livre pour jardiner, tendre et instructif

Par Edith Pompidou-Séjournée

Dès la première de couverture, on reconnaît le coup de crayon d’Axel Scheffler, le célèbre illustrateur de « Gruffalo ». Si le petit lapin, personnage principal de l’histoire, aurait bien pu rencontrer son autre héros, il ne s’agit pas cette fois de ruse ou d’amuser les enfants mais plutôt de leur donner le goût du jardinage. L’anthropomorphisme du personnage prénommé Charlie comme celui des autres sert, en fait, de support à cet album à mi-chemin du documentaire. En effet, si Charlie adore les radis et qu’il cherche à en faire pousser, le lecteur l’accompagne dans ses expériences et surtout dans les différentes étapes de la graine au légume en prenant conscience des éléments nécessaires pour la naissance du radis, comme le soleil, la chaleur et l’eau.
Des rabats ingénieux permettent même de voir ce qui se passe sous terre pendant que le petit lapin patiente. Ce sont les petits animaux du jardin qui renseignent Charlie en lui fournissant des éléments scientifiques mis en valeur dans des bulles de dialogue se détachant du reste de l’histoire : le ver de terre explique, par exemple, la nécessité de séparer les graines pour leur laisser la place de bien grandir, la coccinelle l’importance du soleil et celle de la pluie.
Finalement tous les radis ont poussé et Charlie en retire un géant de terre qui surgit du livre avec un immense rabat pop-up, il est ravi et réalise aussi, grâce à l’aide de la coccinelle que, si on ne les ramasse pas, les plantes donneront des graines et comprend ainsi le cycle de la germination. À la fin du livre, coccinelle et ver de terre redonnent des astuces au futurs petits jardiniers qui auront lu le livre. Un album tendre et ludique pour susciter l’envie de jardiner aux plus petits tout en leur faisant comprendre le cycle des végétaux.

 

 

Aujourd’hui on danse et demain on recommence

Aujourd’hui on danse et demain on recommence
Marie Poirier
Les grandes personnes, 2024

Invitation à danser sous forme de paysage en leporello

Par Edith Pompidou-Séjournée

Un livre cartonné en accordéon, c’est assez rare pour un grand format à la française comme celui-ci et d’autant plus exceptionnel qu’il est réversible totalement au service de l’album. Ce dernier comporte aussi une couverture noire sur laquelle se détachent deux enfants dont les corps sont ondulés et comme imbriqués tout en se répondant par symétrie. Petit clin d’œil au tableau « La danse » de Matisse, avec de telles silhouettes aux couleurs orangées ? Peut-être, mais ce qui surprend le plus ce sont leurs yeux fermés, à découvrir par la suite…
La couverture semble simuler comme un coffret pour le livre : sur ses rabats, on retrouve les légendes des deux phrases dansées de chacun des côtés du leporello. Derrière les rabats sont prodigués des conseils d’échauffement et différentes manières d’utiliser le livre pour bien danser. Celles-ci sont imagées sur le haut des deuxième et quatrième de couverture. Enfin, sur la partie basse, les mouvements correspondant aux illustrations sont dessinés et expliqués.
À l’intérieur de l’album, chaque image est entièrement sur fond bleu avec un sol orangé, les graphismes sont simples, les couleurs vives et saturées. Les illustrations sont constituées d’éléments de la nature (soleil, vague, rocher, arbre, …) ou du monde de l’enfance (ballon, cabane, joues, …) et si on déplie le livre entièrement, les différentes pages forment une seule et même grande scène pour chaque côté de l’accordéon.
Presque toutes les pages s’accompagnent d’un court texte descriptif, écrit en lettres majuscules noires. Chaque phrase nominale commence par « comme … » et invite à bouger telles les vagues de la rivière, les gouttes de pluie ou encore « le bateau qui glisse sur l’eau ». En outre, certains énoncés incitent plutôt à revenir au calme à la façon d’un « rocher posé dans le sable » ou d’une « cabane pour s’abriter » pour finalement arriver à la détente totale du « sommeil au début de la nuit » qui explique sans doute les yeux clos des deux personnages de la première de couverture. Véritable paysage à danser offrant des pistes ludiques, accessibles à tous, stimulantes pour un bon moment de partage entre petits et/ou avec les grands… !

 

 

Le Livre Jaloux

Le Livre Jaloux
Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2024

Le livre en thérapie

Par Anne-Marie Mercier

Après Le Livre qui a bobo et Le Livre coquin, voici un nouvel opus du duo Ramadier et Bourgeau, qui explore sentiments et émotions à travers un personnage récurrent et étonnant : le livre lui-même. Le lecteur se doit d’être actif et il lui faut aider le livre à surmonter sa difficulté. Pour commencer, on explore le sentiment à travers le symptômes puis le diagnostic. Ici, la jalousie se voit à travers la bouderie. La petite souris interlocutrice devine l’origine de la contrariété : elle a un petit livre dans la main et celui-ci est, d’après le livre, « petit, mignon, tout le monde a envie de le câliner. » On devine qu’il s’agit ici de proposer un miroir à un enfant qui sans doute vient d’avoir un petit frère ou une petite sœur. Le lecteur, cet enfant, va devoir traiter ce livre tout en se soignant lui-même, bel emboitement de soins : il faut le rassurer, le faire rire, et lui donner envie d’aller à la rencontre de ce petit autrui.

 

 

Il y a des monstres dans ma chambre

Il y a des monstres dans ma chambre
Fanny Pageaud
À pas de loups, 2023

Brrrr….

Par Anne-Marie Mercier

Drôle de livre… Dès la couverture : sur un fond noir, deux découpes blanches évoquent les yeux d’un animal (un chat ? une chauve-souris… ?). Il nous regarde, et le titre remplace les pupilles.
Mystère encore, quand on l’ouvre : les pages sont blanches et le texte est inscrit de manière très aérée sur ce fond blanc, comme un poème. Il nous dit la terreur d’un enfant, la nuit, chaque page ajoutant au suspense et à l’angoisse. Quel beau rythme !

Mais que l’on se rassure : la deuxième moitié de l’album évoque un adoucissement et une victoire contre les monstres et donc contre la peur.
Enfin, quand on a compris ce que cachent ces doubles pages blanches (se munir d’une lampe), on en découvre d’autres, et brrrrr… !  Fanny Pageaud sait non seulement évoquer les monstres mais elle sait aussi les invoquer à l’encre de chine.
Voir l’animation sur son site, qui vous révèlera le mystère.

note de l’auteur: « Après deux versions sérigraphiées aux éditions de La Nef des Fous en 2009 puis aux InÉditions en 2012, puis une version éditée  aux éditions du Poisson Soluble en novembre 2016, puis une seconde fois aux Inéditions en 2019…Voici une toute nouvelle version 2023 aux éditions À pas de loups! »

Le Chemin

Le Chemin
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2023

Un chemin peut en cacher deux autres : Claude Ponti sur les routes d l’expérimentation

Par Anne-Marie Mercier

« Un chemin ne s’arrête jamais ».
Claude Ponti excelle dans les histoires de chemins, les bons qui amènent à bon port, ou les mauvais qui font exprès de perdre les gens. Jusqu’ici ils n’étaient qu’un élément de ses albums. Dans ce grand leporello, le chemin est le personnage principal, celui qui porte la narration et les évènements, favorise la découverte d’êtres étonnants (un gobe-pluie, l’éléphant montagne, des poussins, Robert le robot rutilant…), le passage sur des ponts, les bifurcations… Ce leporello coloré impose un ordre que l’on peut s’amuser à interpréter.
Dans le beau coffret cartonné dans lequel il est présenté on trouve aussi un jeu de cartes proposant une reproduction de chacune de ses images au même format mais de façon détachée. Ceci offre au lecteur la possibilité de construire son propre chemin avec les mêmes étapes, que l’on choisira ou pas et que l’on placera dans l’ordre de son choix: c’est un exemple de lecture aléatoire (un peu comme des la série des livres dont vous êtes le héros, mais ici le lecteur est maître du jeu).
Sur un petit livret joint à l’ensemble, on peut lire un texte de Claude Ponti exprimant sa philosophie du chemin : ses définitions et ses qualités, variées et surtout variables.
Au dos du leporello, des dessins en noir et blanc poursuivant l’aventure du chemin alternent avec des faces blanches : le lecteur peut colorier l’existant et inventer la continuité entre les pages vides et les pages pleines.
Quel boulot, la lecture !
Tout cet ensemble apporte une pierre à la connaissance de l’univers de Claude Ponti, dans lequel la linéarité ne rime pas avec la régularité et où domine la variabilité. Pierre à l’édifice, ou caillou sur le chemin ? C’est comme on voudra.

Onigiri Koro Koro

Onigiri Koro Koro
Aya Yamamoto, Yoshiko Noda
Cotcotcot, 2023

Pique-nique nippon

Par Anne-Marie Mercier

Vos enfants ne mangent pas sainement ? vous vous inquiétez de les voir se nourrir de sandwichs et de pâtisseries ? Vous ne savez pas quoi leur faire faire les jours de pluie ?
Les autrices vous proposent un petit livre parfait : des recettes d’Onigiri (prononcer oniguiri) faciles, avec de nombreuses illustrations rigolotes de ces boules de riz que les japonais emportent partout pour leur pique-nique, le goûter, etc.
Elles vous proposent plusieurs saveurs : nature, aux algues, au saumon, aux petits pois, au jambon, etc. Une mini fiction à la fin du livre n’ajoute pas grand-chose mais fera sourire les plus petits.
Alors, vive l’atelier de cuisine japonaise rapide, pas salissant, avec des ingrédients pas trop difficiles à trouver (elles proposent des alternatives si vous n’avez pas d’épicerie asiatique à portée) et je l’espère (pas encore testé) un bon résultat !

Le Jardin secret du dernier comte de Bounty

Le Jardin secret du dernier comte de Bounty
Philippe Mignon
Les Grandes Personnes, 2023

Lecture -voyage dans un jardin

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un autre album étonnant au catalogue des Grandes Personnes qui nous avaient déjà ravis avec de multiples chefs-d’œuvre. Celui-ci ne ressemble à aucun autre et il a s’inscrit dans différents genres : encyclopédie imaginaire, livre-jeu, traité de l’histoire des jardins, histoire d’un personnage…
« Nous sommes en 1842 » … Henry Blackwood est le dernier comte de Bounty : il a perdu son fils unique, un savant naturaliste, mort dans le naufrage de son bateau en mer de Chine. Henry Blackwood, sachant sa fin proche, fait venir un ami, savant comme lui, pour lui faire visiter son jardin, l’œuvre de toute sa vie, avant de disparaitre et faire disparaitre son jardin avec lui. En effet, cette visite d’un lieu plein de vie, de sève et d’eau est aussi un chant funèbre, un testament.
Nous visitons, comme l’ami, avec Henry pour guide. On suit leur progression. On admire les statues. On passe d’un ruisseau à un étang, puis à une fontaine, un lac, une île… Henry explique comment il a procédé et où il a trouvé les matériaux. On dévoile de nouvelles perspectives en soulevant des rabats, on se perd dans le labyrinthe (oui, il y a un vrai labyrinthe). Notre gondole passe sous une bouche de monstre. On découvre le gigantesque poisson des abysses qui servira de tombeau au comte. L’album est un livre à systèmes : le poisson surgit au milieu d’une double page, ouvrant sa gueule devant nous. C’est une expérience de lecture étonnante qui mime celle d’une promenade dans un jardin spectaculaire (l’auteur s’est inspiré de jardins existants : Méréville, Bomarzo, Ambras, le parc Querini de Vicenza, le jardin de la perspective de Nanjing).
Le livre a une dimension historique et encyclopédique : on y trouve différentes techniques imaginées par les grands jardiniers pour donner une impression d’espace, créer de la surprise, déformer le réel. Le jardin est situé en Irlande, vers Killarney, avec un climat qui autorise tous les rapprochements ; des jardins italiens et français y côtoient un jardin chinois et des pagodes.
Des oiseaux exotiques s’y sont multipliés et le comte élève des espèces rares dont on comprend vite que la plupart sont fantaisistes. Mais là encore, le livre à système autorise de multiples variations. Les illustrations délicates imitent les aquarelles des naturalistes classiques, avec une finesse de trait et une délicatesse de couleurs superbes. Une quadruple page (la page de droite se replie en trois) développe une imitation de planches de zoologie, pour nous présenter des animaux fantastiques à l’allure sage et aux noms latins, mis en relation avec Linné, le grand naturaliste suédois : le Kamichi tête d’euphorbe (qu’on peut voir sur la couverture), l’Ibis Rococo, etc. Mêlant règne animal et règne végétal, jouant avec les espèces, ce dépliant fait face à une page dans laquelle un disque permet de faire varier le bec d’un oiseau : le lecteur pourrait lui-aussi inventer des animaux et leur donner des noms…
En somme l’album nous entraine dans un jardin fantastique (on songe au Jardin d’Abdul Gasazi de Van Allsburg) qui nous apprend beaucoup sur les jardins réels et nous fait voir des animaux proches des plus étranges qui existent, et plus étranges encore. C’est aussi une promenade qui ouvre sur un temps long : à la mort du comte, selon ses volontés, le jardin sera fermé à tous les visiteurs et abandonné pendant cent ans. Le palais de la belle au bois dormant connaît ici une version végétale paisible : après cent ans, il n’y aura personne à réveiller et sans doute plus de jardin autre que dans nos rêves, suscités par cet  album fascinant.

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24 heures de la vie d’une fourmi

24 heures de la vie d’une fourmi
Delphine Chedru
Hélium, 2023

La vie, l’amour, le temps… et une petite fourmi

Par Anne-Marie Mercier

Avec un clin d’œil aux Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig, voici un album qui montre les émotions d’une jeune fourmi, Fourmiguette, avant le vol nuptial annuel des fourmis, alors qu’elle ignore au début de sa journée qu’elle y participera.
On admire avec elle sur son trajet les beautés de la nature et les dangers qui guettent les petites fourmis comme elle. Chaque double page indique une heure précise ; il faut qu’elle arrive à temps pour ne pas rater le spectacle. Le lecteur peut inscrire l’heure sur le cadran présent dans le trou de la page en tournant les aiguilles. Les enfants peuvent ainsi apprendre à lire l’heure. On y apprend aussi des détails sur différents insectes, leurs métamorphoses, leurs habitudes.
Selon l’heure, le rythme est à la hâte, à la fuite ou à la flânerie ; la fin se fera au galop. Arrêt au bord de la mare pour admirer les libellules ; de fait, que cette image est belle ! Enfouissement dans les fleurs, sous la menace de jeunes coccinelles qui ne l’ont pas reconnue ; au coucher du soleil, c’est le règne des abeilles dans le rosé du soir. La nuit est mauve et noire, sur fond de fleurs et de papillons de nuit ; l’aube est jaune dans les maïs, le jour est jaune puis bleu… Fourmiguette finit son voyage accompagnée par ses récents amis, papillons et coccinelles. A l’arrivée, elle sent que des ailes poussent sur son corps : elle ne sera donc pas spectatrice du vol des fourmis mais actrice.
La vie, l’amour, le temps, et la mort qui rôde… quel beau mélange.
Les images sont magnifiques. Le texte, court et précis, parfois drôle, est rythmé par une formulette.
Il est rare qu’un documentaire soit aussi délicat et riche tout en restant extrêmement simple, et en racontant une histoire avec un personnage attachant.

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Dessus, dessous, devant, dedans

Dessus, dessous, devant, dedans
Fanny Pageaud
(Les Grandes Personnes), 2022

Joujou expérimental

Par Anne-Marie Mercier

Pyramide, canard de bain, train en bois, maracas, pots de pâte à modeler, crayon… Chaque jouet a droit à deux doubles pages. La première est une énigme : la page consacrée au crayon de bois le montre par-dessus et par-dessous : qu’est-ce que c’est ? On découvre que malgré la familiarité il y a toujours de la surprise dans ce qui nous entoure. La troisième page le montre par devant mais aussi en dedans : un rabat cache l’intérieur de l’objet : on découvre la mine du crayon, le sable des maracas, etc.  La dernière page invite au jeu : mettre tout sens dessus dessous, empiler, composer, décomposer…
C’est plein d’inventions et cela fonctionne en ribambelle : le canard en pâte à modeler imite le canard de bain, le maracas écrase le canard en pâte à modeler, et à la fin tous se retrouvent en un joyeux méli-mélo avant de servir d’inspiration à des crayons curieux.
La fin invite à rejouer encore et encore.

C’est un album sans mots ou presque qui invite magnifiquement au jeu. On peut lui trouver une parenté de fonctionnement avec le bel Alboum de Christian Bruel (éd. être, 1998 ; Thierry Magnier 2013) qui lui, a un texte, et en remplaçant le principe d’accumulation par une exploration poussée de chaque objet.