Les étoiles seront les mêmes

Les étoiles seront les mêmes
Céline Claire – Valérie Michel
Saltimbanque 2025

Une histoire à quatre voix

Par Michel Driol

Lou et son grand-père vivent dans un quartier que des bulldozers détruisent. Ils sont obligés de partir, et se retrouvent dans deux barques différentes, que le fleuve sépare. Lou arrive dans une ville où il est recueilli par 3 enfants qui l’hébergent dans une grange, et se débrouillent pour faire publier ses dessins dans le journal local, ce qui permet à son grand père de le retrouver.

Quatre voix qui se relaient pour raconter cette histoire dans un ordre non chronologique. Le récit commence avec l’arrivée de Lou dans la ville, et les réactions diverses du groupe d’enfants, moquerie de Nils et Hans, compréhension de Galia qui permet d’établir la communication, malgré l’obstacle de la langue. Quatre voix qui sont celles de Nils et de Galia d’une part, de Lou et de son grand-père d’autre part. Cette polyphonie permet de rendre compte à la fois des différents aspects de l’histoire des deux réfugiés, que le lecteur découvrira lorsque la communication sera établie entre les enfants, à partir de dessins, mais aussi permet d’illustrer la différence de perception des choses, de la langue, inconnue et nouvelle pour Lou. L’originalité de l’ouvrage est de parler de migrants au rebours de certains stéréotypes et hors de toute géographie.  En effet, Lou est un garçonnet blond, sur l’illustration, dont les yeux bleus sont soulignés dans le texte. Il arrive dans un pays enneigé dont les habitants sont plutôt bruns de cheveux. Le voyage se fait non pas en traversant la mer, mais en suivant le cours d’un fleuve. Le danger qui menace les habitants du pays de Lou et de son grand-père est matérialisé par des bulldozers qui détruisent les maisons… Un lecteur adulte transposera, verra des images de différents conflits, des maisons détruites par des colons, des traversées périlleuses sur des barques. Le lecteur enfant se laissera porter par cette géographie imaginaire et très parlante. Le récit dit les dangers, dit la douleur du départ, dit les séparations, dit la perte involontaire des adresses indispensables. Là est l’essentiel pour faire ressentir le drame de l’exil et de la perte de repères et de famille. Là est aussi l’essentiel pour dire à quel point l’élan vers l’autre et l’amitié sont possibles en tous lieux.

Le texte, qui entrelace les différents points de vue, est très attentif au regard de chacun sur l’autre, à sa tentative de comprendre au-delà des mots et exprime les sentiments, les impressions de chaque personnage. Le titre du livre, qui revient comme un leitmotiv dans l’ouvrage, est la phrase dite par le grand père au moment du départ,  phrase qui relie les deux personnages sous le même ciel. Les illustrations, très fouillées, ont un côté très réaliste dans la représentation des lieux, des objets, des personnages. Elles opposent la nuit du départ, couleurs froides et sombres, au blanc de la neige du nouveau pays, à la lumière du printemps et de l’été. Les visages, en particulier celui du grand-père, y sont très expressifs.

Un album poétique, humaniste et émouvant sur l’exil, sur les migrants, sur l’amitié montrant la nécessité de l’entraide et de la générosité.

En vadrouille

En vadrouille
Daniel Carlsten
Helvetiq 2025

La vie secrète des chats

Par Michel Driol

Dès l’incipit, la question est posée : les chats vadrouillent souvent plusieurs heures, voire plusieurs jours. Que font-ils durant ce temps ? Le livre apporte une réponse quelque que peu décalée, en montrant une quinzaine de chats dans des activités à la fois familières et surprenantes. Celui-ci a attrapé un poisson, celle-là voulait voir un oiseau, tel autre a trouvé place au soleil, et, quant au dernier il n’est jamais parti bien loin… Si la légende évoque souvent des activités bien félines, elle part parfois dans un imaginaire où il est question de la buvette du coin, de suivre un cours, ou encore de faire une virée au musée d’art…

Mais ce qui fait l’humour et la valeur de cet album, c’est le décalage entre ces légendes, en bas de page, bien sages, et les illustrations qui font des chats des créatures plus humaines que félines. Ainsi, c’est en poussant un caddy au supermarché que Poppy a attrapé son poisson, et c’est en se servant de longues vues que Luka recherche un copain. Luna part découvrir le monde dans un scaphandre, clin d’œil à celui de Milou dans On a marché sur la lune, et contemple la terre de loin. Des chats attablés au restaurant, des chats au cinéma, des chats dont les pratiques et les attitudes très humaines ne peuvent que faire sourire les lecteurs. Les illustrations, à la fois minimalistes, géométriques, avec leurs grands aplats de couleurs vives contribuent à cette vision d’un monde figé que les chats animent et dont ils sont maitres. Transposées dans un univers fantaisiste, on reconnait bien leurs pratiques habituelles, leurs attitudes fréquentes, leurs méfaits ordinaires : le coup de griffe sur les murs par exemple, converti ici en geste artistique dans un musée… C’est bien cet écart entre ce qu’on sait des chats et les prétendues révélations de l’album qui fait le sel de l’album. La chute, qui prend la forme d’une page à rabats, rend hommage au caractère imprévisible des chats, à leur totale liberté…

Un album qui séduira sans doute les amateurs de chats, mais dont le regard sur le monde plaira à tous les lecteurs friands d’un humour percutant et pince sans rire.

Vent du Sud

Vent du Sud
Véronique Foz – Cécile Basecq
Editions Voce Verso – Collection Hisse ho ! 2025

Une traversée

Par Michel Diol

Nita, qui n’a jamais vu la mer, va prendre un bateau avec ses parents. Bien sûr, il faut quitter la grand-mère, les oncles et les tantes, mais, promis, on reviendra.  Le bateau qu’ils vont prendre n’a rien des voiliers des histoires que son père lui racontait, c’est une barque chargée d’une vingtaine de migrants.  Après la mer calme de l’après-midi, Nita se réveille en pleine tempête.  Un homme passe par-dessus bord… Au petit matin, le bateau accoste sur une plage, au milieu des parasols, où un garçon lui tend un coquillage « aux couleurs de l’aurore ».

Dans la collection Hisse ho ! les textes et les illustrations se relaient pour proposer un récit dans lequel les deux médias jouent leur rôle à part entière. Le texte adopte le point de vue de Nita, tandis que les illustrations – un noir et blanc épuré rehaussé d’une touche de rouge – font avancer l’histoire, ou la complètent, tantôt sur un mode réaliste, tantôt dans l’imaginaire. Ce dispositif permet d’être au plus près des émotions, des espoirs, des peurs de Nita. On apprécie les effets de dévoilement progressif de l’histoire : quel est ce voyage que la famille va entreprendre ? La chambre de Nita sur l’illustration, avec ses peluches,  son lit, sa commode semble bien confortable. Les premières illustrations nous ont placés dans un univers de rêve, dans le monde merveilleux des poissons, de la mer. Puis avec subtilité les illustrations entrainent le lecteur vers un autre paradigme de lecture,  avec cette famille serrant dans ses bras une grand-mère devant une porte très orientale, avec ce groupe humain entassé  à l’arrière d’un pickup… avec cette famille, pauvres valises en main, devant l’immensité de la mer, valises et bagages que l’on voit ensuite abandonnés tandis qu’un bateau surchargé s’élance vers le large. Le texte et l’illustration s’accordent ensuite pour dire et montrer, à travers les yeux de la fillette, à partir de petits détails, la réalité de cette traversée, la chaleur, la nourriture qu’on a préparée et qu’on économise, les chansons qui rassurent. Autant de petits faits, vus à travers les yeux de la fillette, partagée entre cette promiscuité et le désir de voir la mer dans ce qu’elle a de magnifique, de féérique, et d’enchanteur. Et c’est à nouveau  l’image qui donne à voir la suite, avec cette splendide et terrifiante illustration d’une barque sur une mer rouge sang se détachant sur un ciel d’encre. On le voit, tout au long de l’album, le texte et l’illustration dialoguent, se complètent pour raconter à part égale et complémentaire, cette histoire.

Vent du Sud fait partie de ces albums qui permettent à des enfants de mieux comprendre, de mieux sentir les dangers que les passeurs font courir aux migrants, les conditions sommaires dans lesquelles ils traversent les mers. Un album qui évoque, sans s’y appesantir, les raisons du départ, pour trouver la sécurité ailleurs, loin de cris et des coups de feu.  Sa force est de montrer les liens familiaux, peut-être un peu stéréotypés, le père comme un phare solide, la mère comme celle qui protège. Deux parents aimants ne voulant que le meilleur pour leurs enfants, quitte à leur faire courir de grands risques pour échapper à des dangers, non montrés, que l’on imagine encore plus énormes.  Il y a là une belle façon de parler des espoirs et des rêves de ceux qui sont obligés de quitter leur vie, leur pays, sans pathos, mais sans naïveté non plus. La réalité n’est pas édulcorée, ni celle de la traversée, ni celle de l’arrivée sur cette plage paradisiaque, au milieu de gens parlant une langue inconnue, dont l’autrice montre, de façon assez allusive, les comportements face à cette barque qui dépare leur univers. Il est question de cris dans une langue inconnue… On imagine les sentiments de la fillette qui voit, de surcroit, ses parents épuisés. Pour autant, et il y a là quelque chose de magique, c’est sur l’espoir, le partage, le don d’un coquillage que se clôt le récit. Belle façon de suggérer que les enfants ne connaissent pas le racisme, l’exclusion, et sont prêts à accueillir l’autre.

Un récit et des illustrations à hauteur d’enfant qui savent à la fois dire et montrer le réel dans ce qu’il a de brutal,  mais aussi laisser une place à l’imaginaire, à la poésie pour évoquer le tragique destin des migrants embarqués sur des barques de fortune et l’espoir fragile d’une vie et d’une humanité meilleures.

A pas de loup

A pas de loup
Christine Schneider – Hervé Pinel
Seuil 2025

Une nuit chez Papi et mamie

Par Michel Driol

Claire et Louis, dans le même lit chez Mamie et Papi, ont une petite faim nocturne. A pas de loups, ils descendent dans la cuisine, traversant ainsi la vaste maison au multiples tableaux et bibelots. Lequel des deux renverse le chandelier ? Aux yeux de Mamie, c’est coco, le perroquet. Qui fait tomber le masque africain ? Aux yeux de Papi, c’est Grangrogris, l’éléphant. On découvre ensuite dans cette maison en apparence si tranquille un tigre, un boa… Pour les grands-parents, ce ne peuvent être leurs petits-enfants, sagement endormis dans leur chambre, au milieu de leurs peluches, les responsables de tous ces désordres !

Amateurs d’histoires sages et de rationnel, passez votre chemin ! Par ici, c’est la nuit, et la nuit tout est permis. Où commence l’imaginaire, où s’arrête le réel ? La ménagerie qui peuple la maison de Mamie et Papi est-elle le fruit de l’imagination des enfants, qui donne vie aux peluches que l’on voit sur leur lit, ou la propriété de grands-parents moins conformistes  qu’ils paraissent ? Tout est à l’image de la couverture, une seule image, qui montre, en première, deux enfants dans la nuit, mais, si l’on suit l’espèce de boudin oranger vers la 4ème de couv’, on découvre qu’il s’agit de la queue d’un tigre.

Le texte fait la part belle aux dialogues, aux onomatopées, autour de phrases courtes accompagnant l’expédition des deux enfants. Il insiste sur leur légèreté, sur le fait qu’ils glissent, qu’ils filent, comme aériens dans cet univers si surchargé d’objets et d’animaux divers. Il joue subtilement sur les mots, au grand plaisir du lecteur, comme une façon aussi de montrer que rien ici n’est bien sérieux. Mais on est, avec le texte, récit ou  discours direct, dans une façon de dire, au travers des paroles des personnages, que tout est ici absolument normal.  Mais où se situe la normalité ? Au lecteur d’interpréter cette double réalité, d’accepter d’assumer – ou pas – le passage dans le fantastique, dans l’onirisme, d’y voir la marque des frayeurs nocturnes, ou de l’imagination des enfants…

Les illustrations sont des tableaux sublimes, dans des dominantes froides de bleu lorsqu’il est question des enfants, chaudes et orangées pour montrer les grands-parents. Il faut se perdre dans les détails de cette maison bourgeoise, aux longs couloirs, aux multiples photos, aux nombreux bibelots, pour ressentir la peur que peuvent éprouver ces deux minuscules enfants montrés dans des plans expressifs, tandis que les grands parents, lisent tranquillement, l’un une encyclopédie quelque peu surannée sur les animaux d’Afrique, l’autre un livre à la couverture rouge. L’illustration, ici, est de celles qui en disent plus que le texte, et cela contribue à la création de l’atmosphère bien particulière de cette maison emplie à la fois de souvenirs familiaux et de la présence de l’Afrique.

Un riche album, plein de trouvailles, superbement illustré, qui abolit autant qu’il montre la frontière entre le rêve et la réalité, comme une métaphore de la création.

Histoire d’un œuf

Histoire d’un œuf
Mamiko Shiotani

Traduit (japonais) par Sophie Bescond
La Partie, 2025

Sortir de sa coquille

Par Lidia Filippini

Dans la cuisine, un œuf est soudain las de rester sans bouger sur le plan de travail. Il est temps pour lui de partir à l’aventure ! Il découvre alors le plaisir de se déplacer librement et veut partager ce bonheur avec ceux qui l’entourent. Malheureusement, les autres œufs ne semblent pas comprendre. Le seul qui accepte d’ouvrir les yeux se met à rouler et finit sa course, brisé, contre un mur. Notre héros prend alors pleinement conscience des contradictions de son espèce : un œuf, c’est dur et fragile à la fois…
Heureusement, l’œuf rencontre un marshmallow qui veut bien lui pardonner de l’avoir croqué et devenir son ami. Grâce à lui, il prend la décision de parler – chose à laquelle il n’avait jamais pensé auparavant. Les deux compères se mettent alors en devoir de parcourir la cuisine, puis, ayant pris confiance, la maison tout entière. Coiffés des somptueux chapeaux qu’ils se sont fabriqués, ils croisent toute une galerie de personnages – un pot de fleur sévère, un coussin anxieux, une horloge qui rêve de liberté et surtout des noix belliqueuses qu’ils tentent de réconcilier.
Cette aventure est l’occasion pour l’œuf de méditer sur sa vie – les jours de pluie surtout, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. « Quelle sorte d’œuf suis-je donc ? », « Un bon œuf ? Un mauvais œuf ? Un œuf banal ? Un œuf idiot ? » se demande-t-il. Et d’ailleurs comment être sûr d’être réellement un œuf tant qu’on n’a pas vérifié si on a bien un jaune et du blanc à l’intérieur ?
L’humour de cet album tient à l’écart entre la banalité des personnages (un œuf, un marshmallow, un coussin…) et la profondeur de leur réflexion. L’œuf évoque le Humpty Dumpty de Lord Tenniel que rencontre Alice dans De l’autre côté du miroir. Tout comme lui, il est pourvu de longs membres et doté de petits yeux, d’un nez rond et d’une bouche. Il fait preuve, en outre, de la même arrogance que son célèbre modèle. Au coussin qui dit s’inquiéter pour lui et son compagnon le marshmallow, il déclare : « Puisque c’est comme ça, nous aussi nous allons nous inquiéter pour toi (…) Tu es intrusif et cela m’inquiète. » Le lecteur, à qui il s’adresse directement, lui pardonne pourtant volontiers sa suffisance puisqu’il partage avec lui ses doutes et ses questions existentielles.
Mais Histoire d’un œuf n’est pas seulement drôle, l’album ouvre aussi une vraie réflexion sur le monde et sur l’identité. L’œuf philosophe évoque bien sûr l’enfant qui grandit. Il marche, puis parle et devient alors libre de découvrir un monde que, sans cesse, il cherche à questionner.
Tout comme pour L’Ami dans le grenier, le premier album de Mamiko Shiotani traduit en français, Histoire d’un œuf est illustré au fusain, avec quelques touches de couleurs. Les objets du quotidiens, ornés de visages, évoluent dans un univers ultra réaliste, assez proche de la photo, dans des tons doux et peu contrastés. C’est un vrai plaisir pour les yeux !

A l’eau, les pirates !

A l’eau, les pirates !
Didier Lévy – Caroline Hüe
Casterman 2025

Aquaphobiques !

Par Michel Driol

Le narrateur, un jeune garçon, bouée canard autour du ventre, monte sur le Dragon noir, le bateau des pirates. C’est qu’il voudrait bien devenir pirate, mais qu’il a peur de l’eau. Est-ce compatible ? Après avoir découvert que, tout comme lui, aucun des pirates ne sait nager, il les entraine à la piscine municipale où, sous l’instruction de la maitre nageuse, seule personnage féminin de l’album, ils apprennent enfin !

Voilà un album très drôle qui joue sur les contrastes et les stéréotypes pour mieux évoquer les peurs et les façons de les surmonter. Contraste entre ce mignon petit blondinet et les pirates, baraqués, tatoués, édentés, hirsutes… Contraste entre leur activité – la piraterie – et le fait de ne pas savoir nager. Contraste entre ces gros malabars au comportement puéril à la piscine et la svelte maitre nageuse. Contraste aussi entre ce petit garçon bien propre sur lui et son envie d’apprendre les pires injures de la bouche des pirates… Tous ces contrastes sont d’abord portés par les illustrations, qui jouent avec les détails parfois inquiétants, parfois amusants, qui font de ce bateau de pirates un espace hors du temps (bateau à voiles, bottes de cow-boy, six-coups à la ceinture et chapeau très ancien régime !). Mais ils sont aussi portés par le texte qui oppose la  langue de l’enfant et celle du chef des pirates, mais qui surtout permet de développer la thématique de la peur. Peur d’abord niée par les pirates, qui affirment de prime abord être pirates par ce qu’ils n’ont peur de rien, peur de l’eau déclarée par le chef, qui affirme que c’est l’attention à tout qui fait le chef, et non la témérité, peur d’avouer son ignorance et de reconnaitre qu’on ne sait pas nager : ce sont donc différentes sortes de peurs qui sont évoquées, et la façon de les reconnaitre pour mieux les dédramatiser, les surmonter et pouvoir apprendre. Au passage, l’album égratigne aussi les stéréotypes masculinistes: même les hommes peuvent reconnaitre leurs peurs. Il n’y a pas de honte à cela. Et c’est une femme qui leur apprend à nager. Tout un symbole !

Un album plein d’humour pour suggérer qu’il ne faut pas prendre au sérieux ses peurs afin de réaliser ses rêves !

Les Lapins peintres

Les Lapins peintres
Simon Priem – Illustrations de Stéphane Poulin
Sarbacane 2025

Peindre les reflets du temps qui passe et des jours heureux

Par Michel Driol

Le jour, Lapin peintre jour dessine les reflets sur l’étang, et la nuit, c’est au tour de Lapin peintre nuit.  Si l’un peint vite, l’autre aime prendre son temps.   Un jour, un gros nuage vient obscurcir le ciel. Au bout de plusieurs jours, ils décident d’aller voir l’origine de ce nuage. L’ayant trouvée, ils font que tout rentre dans l’ordre, et tout se termine autour d’un festin, au bord de l’étang.

Les personnages de ce magnifique album, tout en douceur onirique, sont des animaux anthropomorphises. Si Lapin jour est vêtu d’un tee-shirt, l’autre, avec sa fraise et son chapeau, semble sorti d’un tableau flamand. On croisera aussi un ours pêcheur, une oie repartant pour le marché, une taupe avec son carnet, et une pie mécanique. Tous sont représentés avec une grand précision dans un univers qui fait souvent penser à celui d’Antony Brown pour la façon d’être à la fois hyperréaliste et surréaliste. Les illustrations entrainent donc dans une univers féérique, fabuleux, fantaisiste, bien en accord avec le texte, qui ouvre sur une fonction éminemment poétique des deux lapins : peindre les reflets du ciel, peindre ce qui varie sans cesse, peindre l’impossible, peindre la vie et les nuages qui passent sur une surface mobile… Beau symbole et belle situation pour ces deux lapins complémentaires, menant une vie bien réglée et bien tranquille.  Le texte établit un lien entre la pie, son mécanisme rouillé, et le nuage qui s’installe, sans préciser la nature de ce lien, simple coïncidence, ou lien de cause à effet. Cela fait entrer le lecteur dans une ère du mystère, mystère que les deux lapins, sur une drôle de machine, entre vélocipède et montgolfière, entre ciel et terre, vont chercher à résoudre. Et c’est à nouveau par l’art, par une peinture, qu’ils vont libérer le monde. Belle façon de dire – et de montrer – la nécessité de l’art de la représentation comme reflets du monde dans leurs fonctions libératrices.

L’album est une fable extraordinaire, un conte merveilleux, une belle invitation à rêver, à profiter du moment présent, dans un voyage aux coloris subtils, à la magie envoutante, entre Lewis Carroll, Chagall et Magritte.

Pleine nuit

Pleine nuit
Antoine Guilloppé
Gautier Languereau 2024

La nuit de Mère Ourse

Par Michel Driol

C’est la nuit. Le soleil s’est couché. Dans la forêt, les animaux se donnent rendez-vous autour de l’eau lorsqu’une étrange cérémonie commence, l’arrivée de Mère Ourse que tous, viennent honorer, chacun à sa façon. A la fin de la nuit, le soleil se lève.

Pas de découpe laser cette fois ci dans cet album de très grand format d’Antoine Guilloppé, mais un usage de deux fers à dorer, argent et or. Le résumé seul ne rend pas compte de la beauté et de la magie de l’ouvrage, de ses dominantes sombres, nuances de bleu variées et noir. Tout d’abord s’installe une atmosphère de calme, le calme de la tombée de la nuit, où les seuls êtres animés sont d’abord les oiseaux, sombres silhouettes dans le ciel ou découpées sur les champs. Mais, en fait, on suit une rivière jusqu’à la forêt, rivière que les dorures argentées font miroiter, et autour de laquelle toute une troupe d’animaux vient s’abreuver, des plus petits, les grenouilles, aux plus gros, le cerf. A la tache dorée du reflet de la lune dans l’eau correspond, page suivante, la lune dans le ciel, au milieu d’étoiles. Arrive alors la magie, avec une masse de petits points dorées, montant vers le ciel. Est-ce un feu ? Est-ce autre chose ? Tout cela marque l’arrivée de Mère Ourse, entièrement représentée en transparence, avec des contours dorés. Toute l’image montre qu’elle est autre, sans que rien ne vienne dire qui elle est. Fantôme ? Puissance protectrice ? Esprit de la forêt ? Force oubliée ? Lien entre terre et ciel, figure de la grande Ourse ? A chacun d’interpréter comme il l’entend la proposition poétique faite par l’album, qui évoque ce bref passage comme un instant de grâce et de beauté pure, de merveilleux,  de féérie absolue au sein d’une nature calme et apaisée.

Magique album tout en contraste, entre le bleu sombre des pages et la brillance des dorures, argentées ou dorées, entre la force qui se dégage de des animaux et le calme absolu qui règne, un album esthétiquement réussi d’où se dégage une grande impression de sérénité.

La Grande Aventure de Brindille

La Grande Aventure de Brindille
Matthew Cordell
Traduit (anglais, USA) par Anna Le Clezio
Gallimard jeunesse, 2024

Leçon d’indépendance

Par Anne-Marie Mercier

Comme son nom l’indique, Brindille est une petite chose fragile. Cela ne tient pas seulement au fait qu’elle est un petit écureuil : elle est habitée par un sentiment de fragilité et elle a peur de tout, « Peur des grands bruits. Peur de rencontrer des gens nouveaux, peur du vide, peur de nager, peur des microbes. Et des orages »… Alors, quand sa mère lui demande d’aller apporter de la soupe à Grand-mère Chêne, de l’autre côté du bois, elle enfile avec courage sa petite cape rouge bien usée (eh oui, tant de chaperons, ça use !) et s’en va en tremblant.
Les peurs de Brindille énumérées plus haut sont programmatiques : elle sauvera un lapin paniqué hurlant dans le pré, sera emportée par une buse, échappera de peu à la noyade, etc.
Brindille démontre ainsi son nouveau courage, portée essentiellement par une de ses qualités, l’altruisme : c’est parce qu’il est urgent qu’elle agisse pour sauver d’autres créatures aussi fragiles qu’elle et même d’autres qui ne le sont pas en général, qu’elle trouve ce qu’il faut d’énergie pour surmonter ses peurs et devenir ce qu’elle n’était pas. Le courage, en effet, comme bien d’autres qualités, appartient à tous : il se construit et se découvre en avançant sous la contrainte de l’action, c’est une belle leçon.
Les dessins crayonnés et aquarellés de verts et bruns doux, tout juste réveillés par la cape rouge, sont comme autant de vignettes imitant les gravures d’autrefois. Avec leurs personnages animaux vêtus de quelques vêtements sommaires (cape, écharpe, sarrau rapiécé…) et leurs décors charmants de petites chaumières, de bois et de rivières, ils évoquent l’esthétique des images d’Ernest Howard Shepard dans Le Vent dans les saules.
Tout cela fait de Brindille un album intemporel, avec un écureuil chaperonné de rouge plus conscient des dangers que son illustre devancière et donc plus courageux. La fin de l’album, ouverte, laisse le lecteur lui imaginer bien d’autres aventures.

 

Un abri

Un abri
Adrien Parlange
La Partie 2024

Partager l’ombre

Par Michel Driol

Par un jour de canicule, une fillette se réfugie à l’ombre d’un rocher. Arrivent alors un serpent, un renard, un lièvre, un hérisson, un sanglier, une petite bique et une volée d’oiseaux qui se serrent à l’ombre, avant de partir ensemble, lorsque la fraicheur est revenue.

 Format à l’italienne, très large, pour cet album minimaliste tant dans le texte que dans les images. Un cadre unique pour toutes les pages, avec, au centre, le rocher, sorte de pyramide dont l’ombre tourne progressivement au fil du temps, rétrécit puis s’allonge, tandis que la couleur de fond varie également, dans les jaunes tandis que monte la chaleur, puis dans les orangers, les roses et les violets à mesure que décroit la chaleur. C’est toute une atmosphère qui est ainsi donnée à voir, juste commentée par un texte concis en bas de page.

Reprenant un personnage emblématique du Petit Prince, le renard, reprenant la structure en randonnée du célèbre conte la Moufle, l’album évoque le partage d’un lieu à l’abri, la solidarité entre les espèces, et la façon de s’arranger pour survivre ensemble, En effet, ce bestiaire hétéroclite associe des animaux bien différents : le souple serpent, capable de se loger à la pointe effilée de l’ombre de la pyramide, ou le massif et encombrant sanglier, tous s’organisent pour que tous profitent du seul point d’ombre, dans une disposition graphique très composée, un jeu d’équilibre, de façon à profiter au mieux de l’ombre qui change heure après heure. Quand la fraicheur revient, tous se déploient, s’observent, semblent discuter avant de partir vers le futur, ensemble et unis, dans une dernière illustration comme en ombre chinoise où les oiseaux emportent le serpent dans les airs, où le lièvre est sur le dos du renard, et la petite bique dans les bras de la fillette. C’est, graphiquement, très réussi, pour évoquer ce partage nécessaire des ressources naturelles, l’ombre ici, pour dire qu’il faut surmonter les antagonismes et les peurs : personne n’a pas peur du serpent, et le renard n’attaque pas le lièvre. Il y a là comme un moment poétique de grâce, une allégorie de l’union et de la solidarité face aux menaces, condition nécessaire à la survie de tous, exprimée avec une grande sobriété de moyens.

Un album qui, avec peu de mots, avec une structure très maitrisée tirant sa force de la répétition et des variations, promeut des valeurs de partage et d’union, au-delà des différences, des rivalités, des peurs potentielles. Un album bien utile par les temps qui courent !