Rose Valland, l’Espionne du musée

Rose Valland, l’Espionne du musée
Emmanuelle Polack – Emmanuel Cerisier
Gulf Stream Editions – Louvre éditions 2023

Sauver le patrimoine artistique

Par Michel Driol

Les éditions Gulf Stream ont la bonne idée de rééditer cet album paru en 2009, en le modernisant. Pour celles et ceux qui ne connaitraient pas son nom, Rose Valland est cette attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume dans lequel les nazis stockent les œuvres d’art spoliées avant de les envoyer en Allemagne. Résolue à sauvegarder la trace de ces œuvres, Rose Valland prend le risque de faire la liste clandestine de tout ce qui transite par ce lieu, parvient à alerter la Résistance pour que le train qui devait, lors de la débâcle, les évacuer en Allemagne ne soit pas bombardé. Puis, engagée dans différentes troupes, elle se rend en Allemagne  sur la trace de ces trésors, avec l’objectif de les retrouver pour les restituer à leurs propriétaires.

De facture très classique, illustrations souvent en double page très réalistes, texte documentaire historique précis retraçant les diverses situations dans lesquelles Rose Valland s’est retrouvée, cet album rend un hommage à cette forme de résistance civile au service d’un patrimoine de l’’humanité. Les jeunes lecteurs découvriront ainsi une façon de s’engager au service d’une cause, au péril de sa vie, et un personnage à la fois d’une grande simplicité (fille d’un maréchal-ferrant isérois) et d’un grand courage dans sa détermination à servir la cause de l’art, sous toutes ses formes. L’album aborde aussi l’idéologie nazie, ses théories de l’art dégénéré, ses autodafés, comme une façon d’ouvrir l’esprit de son jeune lectorat à l’acceptation de toutes les styles, de toutes les écoles artistiques.

Tout est fait pour permettre au jeune lecteur d’entrer dans cette époque désormais lointaine : galerie des portraits des protagonistes de l’histoire au début, cahier documentaire illustré de photos d’époque à la fin, sans oublier, au cours du récit, les multiples détails relatifs aux dures conditions de vie des français durant l’Occupation.

Un ouvrage important pour rendre hommage à une femme, à une Résistante, qui a consacré sa vie à l’art et à la réparation des spoliations commises par les nazis, mais aussi pour dire l’importance qu’il y a aujourd’hui comme autrefois, à se battre et à se mobiliser pour sauvegarder toutes les formes d’art et de culture.

Amis-amis

Amis-amis
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2023

« Un ami qui me ressemble » (Ami-Ami, Rascal) ?

Par Anne-Marie Mercier

Comment se faire des amis ? C’est la question que se posent tous les enfants arrivant dans un nouvel environnement, et pas seulement les enfants d’ailleurs, même si cela est affiché moins directement par les adultes. Ce petit album carré à l’allure  simple trace bien des chemins.
Une petite hérissonne part avec cette question ; elle rencontre des porcs-épics, pas trop différents d’elle. Elle leur emprunte leurs longues piques. Avec cette allure, rencontrant d’autres petits animaux avec des moustaches tombantes et presque sans poils, la voilà glabre avec les mêmes moustaches. Puis devant des chiens à poils longs, des poils lui poussent, devant un cheval, un flamand rose… à chacun elle emprunte quelque chose… Mais elle ne correspond jamais au prochain qu’elle rencontre et finit par ne plus ressembler à rien ni à personne et désespère jusqu’à ce que, miracle ! tous les animaux viennent l’appeler pour être ses amis, malgré (ou à cause de ) son allure bizarre et composite.
Quelle leçon donne cet album ? Il décrit d’abord le processus du désir d’ami : l’envie être comme lui/ elle/eux. Puis la difficulté du « comme eux » qui exclut aussi bien le « je » que le « nous » et tous les autres… La conclusion qui semble dire que du composite nait le succès est un peu discutable, tant cette petite hérissonne à l’air de s’être perdue, mais cela reste un point de vue intéressant, dédramatisé par la fantaisie du trait et le comique des situations.

Mes maisons archi zinzins

Mes maisons archi zinzins
Arthur Dreyfus – Raphaël Journaux
Editions Courtes et Longues 2023

Un carnet d’architecte…

Par Michel Driol

Un grand-père architecte lègue à sa petite fille son carnet qui renferme les projets les plus cocasses, les plus originaux qu’on lui ait commandés. Page après page, on découvrira alors une maison à l’envers,  une maison château fort, une maison invisible, ou une maison ouverte à tous les bruits… avant de découvrir que la maison la plus belle, c’est toujours celle où s’invite l’amour.

Dis moi où tu habites, je te dirai qui tu es… Le grand père architecte inverse la maxime, dis moi qui tu es, je te ferai une maison à ton image. On parcourt ainsi les professions, chanteur à succès, écrivain, couturier, acrobate… on parcourt aussi les passions et les folies : se prendre pour un dauphin, adorer faire la guerre aux voisins, avoir peur du silence, retomber en enfance… On se confronte à l’espace, manquant, ou si limité qu’on veut partir, espace aussi trop restreint de la feuille du carnet qui induit un projet architectural audacieux. On croise aussi notre réalité, comme dans un miroir grossissant, la difficulté à vivre en famille, ou la peur de la montée des eaux, notre attente de l’amour ou la façon dont l’amour transforme notre environnement.  Avec humour et poésie, cet album parle de nous, de nos folies, de nos sagesses. L’imaginaire, libéré de toute contrainte, nous conduit dans un univers plein de fantaisie, où les murs sont épais ou transparents, où les lois de la résistance des matériaux ne sont plus un problème, mais aussi où les bonheurs et les traumatismes de l’enfance ressurgissent, inoubliables sous forme de jeux de construction ou d’omniprésence de la lumière pour combattre la peur du noir. Si la maison de l’exploratrice est un microcosme du monde, cet album est aussi un microcosme dans lequel nous nous retrouvons. Si le métier d’architecte c’est de transformer de belles histoires en belles maisons, n’a-t-il pas quelque chose à voir avec le métier d’auteur, qui crée des univers et des personnages à partir de ce qu’il a pu voir, entendre, constater ?

Les illustrations, ligne claire autant que dessin d’archi coloré, sont remplies de détails pittoresques. L’improbable y rencontre le réel, la folie douce des propriétaire y croise aussi la folie aliénante des maisons, toutes pareilles, le long de rues en damiers… Quant aux textes, il continuent la dédicace du carnet par le grand-père à sa petite fille, assurant comme une transmission douce et tendre qui va au delà de la note d’intention de l’architecte.

Hommage à l’imagination, à la créativité, ce livre d’architecture, encadré par la lettre du grand-père à sa petite fille, montre que tout est possible, qu’il faut repousser les limites. Dans cette perspective, il offre une dernière page vierge pour  créer la maison de nos rêves. Mais il nous invite aussi à nous interroger sur les fonctions d’une maison, sur les liens que nous entretenons avec la nôtre… Pas si zinzin que cela, au bout du compte, ce livre, ou alors éloge très érasmien de la folie !

Couleur Colère

Couleur Colère
Emmanuelle Trédez, Amandine Piu
Flammarion, Père Castor, 2023

Explosions

Par Anne-Marie Mercier

La colère est rouge, c’est bien connu ou du moins c’est ce que l’on trouve très habituellement dans les albums (voir Le Livre en colère, Nina en colère, Rouge de colère, etc.)  qui évoquent cette émotion (et même en BD (par exemple dans la série « Largo Winch » (t. 18, Colère rouge, 2012).
On voit aussi apparaitre dans cet album (paru la première fois en 2018) certains traits que l’on retrouve dans Grosse Colère (L’école des loisirs, 2000) de Mireille d’Allancé,  montrant la colère comme un monstre qui sort de l’enfant et sème la destruction dans sa chambre, sans épargner ses jouets préférés. L’originalité de Rouge Colère tient en partie au fait que l’enfant est une fille, chose assez rare dans ce domaine, la colère ayant été le plus souvent représentée sous des traits masculins (quand la tristesse était conjuguée au féminin… voir dans La Nouvelle Robe de Bill (Bill’s new Frock, 1989, L’école des loisirs (neuf), 1997)).
La liste des effets (rougeur, traits déformés, étouffement) et des bruits (cris, hurlements, mots durs) déclinent les temps de colère et ses effets sur le corps, les objets et l’entourage. La référence aux animaux allège un peu le propos en créant des effets comiques qui revitalisent des comparaisons usées grâce aux images (le caractère de cochon, par exemple). Si les illustrations montrant la petite fille sont remarquablement dynamiques, celles qui représentent les parents, en arrière-plan, sont au contraire statiques : Ils apparaissent désemparés et incapables de faire quoi que ce soit.
La chute montre une enfant honteuse et repentante. Le rouge passe au bleu, retour au calme, jusqu’à la prochaine fois (verte). Il n’y a pas de solution proposée, mais c’est une description dans laquelle certains et certaines se reconnaitront.
Le thème des émotions est bien rebattu, souvent sans grande originalité depuis quelques années, notamment depuis la parution du livre animé d’Anna Llenas, La Couleur des émotions (Glénat, 2014), et de son entrée dans les écoles maternelles qui en ont fait un ouvrage repère et l’ont exploité jusqu’à la corde. L’éditeur a suivi et l’on a vu se succéder album, cahier de coloriage, peluches…, les produit dérivés et ouvrages annexes se sont multipliés.
Signalons la parution chez Amaterra, de l’original  Rue de la peur, par la même illustratrice, Amandine Piu, avec un scénario de Gilles Baum, chroniqué sur lietje par Michel Driol. Le même duo avait réalisé Tout noir, (encore une chronique de Michel Driol sur Lietje). Et, on peut revoir sur la colère Le Jour où Vicky Dillon Billon n’a pas bu son bol de lait de Véronique Seydouxet Hélène Georges (Rouergue, 2022) ou l’Abécédaire de la colère d’Emmanuelle Houdart (Thierry Magnier, 2008).

 

 

L’œuf

L’œuf
Émilie Chazerand, Christine Roussery
Sarbacane, 2023

Je, tu, nous, on : une grammaire de l’amitié

Par Anne-Marie Mercier

Du côté de l’histoire, c’est simple : un enfant trouve un œuf ; une autre arrive, qui suggère de lui faire un nid, puis un autre qui dit qu’il faut le mettre à l’abri. Une quatrième a une idée, un autre une autre… jusqu’à la conclusion.
Œuf de varan ? œuf de tortue des Galapagos ? Ce qui importe ici c’est la création d’une micro-communauté qui réunit des enfants qui se connaissent à peine, n’ont pas le même âge, dont certains ne s’intéressent d’ailleurs pas tellement à cet œuf et qui arrivent pourtant à se rapprocher.
La communauté se crée par le langage : le premier enfant utilise un « on » :

« Quelle chance on a d’avoir trouvé un œuf de varan ici, s’exclama la petite fille. Sam nota que Zora avait dit « on ». On, c’était elle + lui. Sam adora ce « on ».

Chaque rencontre répète la magie du « on » qui réunit. Si bien qu’à la fin de l’histoire, après bien des étapes, la plus jeune pourra conclure que cet œuf était un « œuf d’amitié ».
Ces enfants dotés de grands yeux par l’illustratrice évoluent dans un monde simple et coloré : herbes sur lesquelles s’asseoir, barrière où ne pas poser son vélo, chemins qui relient les maisons, ballon qui rebondit, cabanes, mer au loin, îles…

 

À l’aventure !

À l’aventure !
Davide Cali, Daniela Costa
Sarbacane, 2023

Embarquement immédiat

Par Anne-Marie Mercier

L’aventure commence dans la salle de bains où l’enfant se dessine une moustache de pirate devant le miroir ; les perroquets sortent des papiers peints ou des cadres pour envahir la maison. Une île, une carte à trouver ou dessiner, un trésor, un gardien féroce qu’il faudra combattre (un très gentil toutou qui adore les chatouilles), des tunnels à creuser… jusqu’à ce que la réalité fasse obstacle à travers les limites de ce qui est ou non permis.

Cet enfant s’amuse très bien tout seul, emporté par son imagination, elle-même nourrie par ses lectures et on voyage agréablement avec lui… « jusqu’à la prochaine aventure », nous dit-on ! et cela se vérifie immédiatement.

Allons voir la mer

Allons voir la mer
Mori
HongFei 2023

Un voyage imaginaire

Par Michel Driol

De dos, on voit un enfant qui dessine. Dans un tiroir de son bureau, une souris et un ourson. Sur une étagère, un éléphant. Dans un panier un chat noir. Derrière lui un ventilateur. Puis on passe à un autre univers. Petite souris et Ourson décident d’aller voir la mer. Et les voilà partis, bravant les obstacles, attendant le bus, emmenés par un chat noir géant. Malgré la pluie ou la canicule, ils découvrent la mer. Et nous retrouvons l’enfant endormi à son bureau, et voyons quelques-uns de ses dessins, un éléphant, un parapluie…Ses parents le mettent au lit, où il embarque pour un nouveau voyage.

Dédicacé à tous les enfants, grands et petits, qui ne boudent pas leur plaisir à jouer seuls, cet album évoque bien sûr l’imaginaire enfantin, et sa façon de (se) raconter des histoires à partir d’éléments concrets qui se mettent à prendre vie. La magie de l’album est de nous y faire croire, de nous faire oublier qu’on est dans les dessins et l’imagination de l’enfant pour vivre aussi, « pour de vrai », cette aventure de deux doudous pleins d’optimisme, de courage, et d’allant. Se croisent les fils du réalisme, liés à la connaissance du monde (par où passer, l’attente du bus, les bouchons, la plage…) et ceux de l’imaginaire (le transport à dos de chat, la pomme géante ou le dragon aidant). Il y a donc là comme une métaphore de la création littéraire, œuvre solitaire, épuisante, liée à la fois à l’environnement (ce qui est dans la chambre) et à sa sublimation par l’imaginaire et les désirs profonds, qui en font autre chose, la création d’un univers personnel. Cet hommage au pouvoir créateur de l’enfance est montré pour l’essentiel à travers le dialogue savoureux entre les deux doudous, pleins de prévenance l’un pour l’autre, et par des illustrations empreintes de naïveté, d’humour et d’exagérations (très enfantines).

Mori, jeune et prometteur auteur-illustrateur taïwano-parisien, a le don pour capter un moment particulier de l’enfance, une histoire minuscule de dessin, pour faire vivre au lecteur un moment plein de poésie et de tendresse, et le faire entrer à la fois dans les mécanismes de l’imaginaire enfantin et de la création artistique.

Petit Museau parmi les mots

Petit Museau parmi les mots
Gilles Tibo – Soufie Régani (illustrations)
D’eux 2023

Les nuits de la lecture

Par Michel Driol

Se rendant à la bibliothèque où il travaille comme gardien de nuit, M. Laliberté découvre un petit chien qui sait se faire adopter et se rendre utile en ramassant tout ce qui traine. Lorsqu’il trouve une paire de lunettes, il se lance dans l’exploration des livres, découvre le rayon jeunesse et ses albums. Et lorsqu’il pousse un livre vers M. Laliberté pour qu’il le lui lise, celui-ci avoue ne pas savoir lire, mais jure d’apprendre !

Rien de très original dans le thème abordé par les premières pages : l’amitié d’un homme et d’un animal, mais un traitement, dans le texte, dans les illustrations tout à fait touchant. La solitude de M. Laliberté n’est jamais dite, mais elle est montrée partout : dans sa cuisine, où il fait la vaisselle, dans la rue, où il débat contre le vent et la pluie avec son parapluie, dans la bibliothèque où il est seul encore. On comprend dès lors que Petit Museau devient son seul ami, le seul à qui il parle. Quant à Petit Museau, il devient vite la figure dans l’histoire de l’enfant lecteur : petit, sympathique, joueur, curieux… Le thème de l’analphabétisme, que la seconde partie de l’album aborde, est plus original et traité avec une grande sensibilité. L’aveu s’accompagne de larmes, par une nuit pluvieuse. Puis tout s’éclaire lorsque la décision d’apprendre à lire est prise.  Apprendre à lire non pas pour soi, car, visiblement, M. Laliberté s’en tire très bien, est intégré, a un métier… mais pour l’autre, fût-il un chien. La lecture devient ainsi un moyen de partage autant que de découverte. Les illustrations de Soufie Régani, tout en douceur campent deux personnages attachants, avec un petit clin d’œil, parmi les livres lus par les deux amis, à Petit Museau parmi les mots, dont on voit la couverture.

L’histoire d’une rencontre qui parle de l’intérêt d’apprendre à lire et de la souffrance que cela représente de ne pas le savoir, racontée avec beaucoup d’empathie pour ses deux personnages positifs, un homme bien seul et un petit chien bien curieux. A noter que cet ouvrage est sélectionné dans la catégorie 0-5 ans du Prix des libraires du Québec.

La Visite

La Visite
Marie Boisson
Rouergue 2022

C’est une maison extraordinaire

Par Michel Driol

La famille Papillon va s’agrandir. Ses membres – père, mère et fillette, la narratrice –  doivent donc chercher une nouvelle maison. Monsieur Roger leur fait visiter la sienne, rue des Petits Pois. Etrange propriétaire qui les accueille avec des pirouettes, a préparé un en-cas dans la cuisine, s’endort dans la chambre à coucher et prend un bain parfumé, tandis que les visiteurs découvrent des pièces de plus en plus grandes et de plus en plus bizarres : une écurie, une salle de conférence, un théâtre…  Conquis, les Papillon ne peuvent que confirmer à M. Roger que sa maison est parfaite ! Et ce dernier les met à la porte, ravi de les entendre, et préparant déjà, au téléphone, la visite du lendemain…

Voilà un album aussi loufoque que réjouissant ! D’abord par son personnage principal, Monsieur Roger, étrange guide  dont le comportement, au cours de la visite, intrigue le lecteur, qui n’en percevra les motifs qu’à la fin, chute inattendue et cruelle pour la famille Papillon.  C’est le portrait d’un oisif, dilettante et décadent, qui n’a d’autre chose à faire pour se distraire que de faire visiter, jour après jour, sa maison. Ensuite par le graphisme et les illustrations, qui regorgent d’une foule de détails à observer finement : cafetières variées, objets décoratifs de tout style, plantes foisonnantes… Enfin par le texte, et, plus particulièrement, les propos tenus par Monsieur Roger, qui empruntent à l’agent immobilier son lexique emphatique qu’agrémentent quelques figures de style : zeugmas, comparaisons, jeux de mots…

La Visite a un petit côté surréaliste et parfois inquiétant qui tient autant du cabinet de curiosités que d’une esthétique de l’accumulation désordonnée qui procure le plaisir de la surprise et de l’inattendu

Le Goût du temps

Le Goût du temps
Seoha Lim
D’Eux, 2022

Douceurs du temps (passé, présent, goûté)

Par Anne-Marie Mercier

Associer notions et sensations permet de mieux les explorer. Ainsi, Anne Herbauts dans son bel album sur la cécité, De quelle couleur est le vent ?, avait-elle essayé de faire « sentir » la couleur à des non-voyants et de faire comprendre à ceux qui ne l’étaient pas la nature de leur monde.
Ici, l’ambition est plus générale : il s’agit d’associer un plat, des saveurs, avec « le temps qu’il fait ». Deux lapins invitent leurs amis (écureuils, cochons, ourson…) à venir fêter un anniversaire en apportant chacun une évocation du temps qu’ils aiment : une soupe d’automne à la cannelle et aux nuages avec des odeurs de fleurs et d’herbes, et un soupçon d’extrait de brume pour les uns, lié au souvenir de leur grand-mère ; pou d’autres, ce seront les biscuits des jours de neige (aux amandes, bien sûr) préparés par leur mère.
Le temps qu’il fait est ainsi associé au temps qui passe et à la recherche de ce qui a été perdu mais qui revient, à la manière proustienne, dans des sensations aussi subtiles que puissantes : odeurs, goûts, atmosphères… Les images suaves et simples nous introduisent dans un joli monde enfantin, fait de partage, de découvertes et d’extase à travers de charmantes inventions de plats, mêlant l’imaginaire et la cuisine, l’impalpable au solide.
On retrouve la douceur de La Bibliothèque de la forêt, du même auteur, avec plus de profondeur, mais toujours avec des petits lapins.