Le Tablier de Tomio

Le Tablier de Tomio
Delphine Roux, Mickaël Jourdan
HongFei, 2024

Salade japonaise

Par Anne-Marie Mercier

Tomio est un petit japonais gourmet. Il a aussi la chance d’avoir un grand-père qui cherche à lui transmettre la tradition familiale : cahier de recettes ancestrales, tablier blanc à sa taille, ustensiles… Il a tout ce qu’il faut pour se livrer à sa passion. Lorsque son grand-père meurt, il a reçu aussi de lui un talent pour la broderie et l’idée d’un destin.
Les jolies aquarelles simples accompagnent cette histoire en donnant aux jeunes lecteurs amoureux du Japon des images de la vie dans un Japon idéal : petites maisons dans la verdure, repas en famille, marchés. Tout cela est à peine assombri par le deuil.  En prime (ne serait-ce pas le vrai but de ce livre ?) quatre recettes clôturent l’album : Omelette au riz, onigiri, glace au matcha, cake aux kakis.

 

Les Chasseurs de glace

Les Chasseurs de glace
Séraphine Menu, Marion Duval
La Partie, 2024

Désir de Sibérie

Par Anne-Marie Mercier

Si la Sibérie est souvent associée à des images négatives, il y a dans cet album de quoi chasser cette noirceur, sans mièvrerie, tout simplement avec la beauté de la nature et le regard d’un enfant.
Dès la première page de texte, on sait : « là où vit Youri, on ne s’installe pas. On y nait et on y vit, ou bien on s’enfuit ». Youri y est né, son père aussi sans doute. Pour ces pêcheurs du lac Baïkal, le monde se réduit à ces rives, mais quelles rives ! Immense (20 pour cent de l’eau douce du globe, nous dit-on), une eau pure, et une nature qu’on pourrait croire intacte (seuls de légers indices disent un changement), de grands oiseaux, des poissons inconnus et des phoques uniques (les nerpas), des animaux à fourrure et des élans, des arbres aux superbes couleurs d’automne, des légendes, des histoires qu’on se raconte pour combatte le vent, beaucoup d’amour et d’amitié.
Si l’on aperçoit à la fin un peuple aux maisons et aux costumes un peu exotiques (les Bouriates) et si l’on évoque rapidement la figure du chaman, cet album évite de placer une distance entre les personnages et nous : Youri et son père semblent proches de nous, même s’ils vivent dans un cadre autre et s’ils pratiquent en hiver un métier qui peut sembler étrange : ils découpent de gros blocs de glace pour fournir de l’eau aux habitants. C’est ce qui a donné le titre de l’album, un bon choix puisqu’il introduit une interrogation et une dynamique. Youri et son père, comme la petite fille bouriate de la fin, apportent à ce qui pourrait être considéré comme un documentaire une belle humanité et de l’espoir, dans un monde que les humains fuient.
Le format de cet album, inhabituellement large et presque carré, permet le déploiement de grandes doubles pages pour représenter l’immensité. On y voit de multiples techniques (aquarelle, gouache, effets de sérigraphie…) se fondre dans une belle harmonie. L’ensemble est beau, simple, délicat et profond.

 

Francoeur. A nous la vie d’artiste !

Francoeur, À nous la vie d’artiste !
Marie-Aude Murail et Constance Robert-Murail
L’école des loisirs (Médium+), 2024

Fiction biographico-historique,
ou roman historique inspiré (librement) d’une biographie?

Par Anne-Marie Mercier

J’avais signalé dernièrement la lignée des Lecaye-Solotareff, qui enrichit la littérature de jeunesse de beaux albums depuis plusieurs générations. Voici, dans le domaine du roman un nouveau duo, celui que forme Marie-Aude Murail avec sa fille, Constance. Elles ont récemment, avec leur dernier roman, Francoeur, participé à l’émission animée par Augustin Trapenard, La Grande Librairie, en décembre 2024 (à l’occasion des 40 ans du Salon du livre et de la presse jeunesse). Francoeur y était présenté comme inspiré des vies de George Sand, Rosa Bonheur, et de l’actrice Sarah Bernardt.
Francoeur est né d’une écriture à quatre mains. On ne sait qui a davantage travaillé au scenario, qui à l’écriture, ce serait très intéressant d’avoir la genèse de l’ouvrage. On y retrouve des thèmes chers à Marie-Aude Murail – qui sont aussi très présents en roman pour la jeunesse : une fratrie disloquée ou unie, des enfants maltraités, une marâtre, un apprentissage de la vie, l’éveil amoureux, une interrogation sur la féminité et les figures ambivalentes, sur l’égalité entre hommes et femmes, sur la révolte, et enfin et surtout sur la naissance d’une vocation artistique à l’intérieur d’une famille (« trois artistes célèbres » dans une même famille, p. 35). On retrouve avec plaisir la veine de son roman, Miss Charity, dont le personnage était inspiré, librement, de la vie de Beatrix Potter. Ici, on aborde le roman historique, presque la biographie, j’y reviendrai.
Le dispositif narratif est particulier. Il prend peu à peu, après un début quelque peu tâtonnant. Au XIXe siècle, une admiratrice entame une correspondance avec une écrivaine féministe qui écrit sous le pseudonyme de Francoeur. Le roman est constitué uniquement des réponses de l’écrivaine à la jeune fille, c’est l’un des aspects intéressants de ce roman épistolaire. Dans ses lettres elle tente de répondre à ses questions, qui portent essentiellement sur la naissance de sa vocation et sur son féminisme, tout en racontant sa vie en commençant par le début.
L’épistolière, née au début du 19e siècle, nommée Anna Dupin (tiens, tiens…), est la fille d’un peintre qui n’arrive pas à percer. Un départ à Paris met fin à une enfance heureuse dans le Berry (tiens, tiens…) ; la mère meurt et la famille plonge dans la misère. Anna est sœur de deux garçons, l’un qui suivra la vocation de son père, l’autre qui écrira de la poésie, et d’une sœur dont je ne dirai rien pour éviter de dévoiler de futurs rebondissements romanesques. Depuis son plus jeune âge, Anna invente des histoires, pour sa famille d’abord, puis pour un plus large public, mais toujours sans plan : on entre dans les coulisses de l’écriture, celle d’Anna, celle des Murail ou celle d’une écrivaine du dix-neuvième siècle qui se cacherait derrière Anna/Franoeur ? On voit ses efforts, ses échecs, son passage par le journalisme, son amitié avec de nombreux jeunes artistes réunis dans un groupe qu’ils appellent le « Cénacle » (tiens…) et son engagement politique lors des révolutions du siècle, particulièrement en 1848.
Francoeur est un joli nom, c’est celui d’une lignée de violonistes du XVIIIe siècle, et aussi le pseudo d’une chanteuse qui a obtenu le prix Georges Moustaki. Mais il est surtout proche du nom de Dupin de Francueil, ami de Rousseau et de Voltaire, ami des arts aussi, et grand-père d’Aurore Dupin, plus connue sous le pseudonyme de George Sand. George Sand est partout dans ce roman et Aurore Dupin se superpose souvent au personnage d’Anna Dupin : dans l’enfance berrichonne, les coutumes paysannes et les récits de sorcellerie, les titres de ses romans (Mélanie la Champie, pour François le Champi, La Mare aux fées pour La Mare au diable). On retrouve des traces de ses personnages (Landry dont rêve l’héroïne est le nom du héros de La Mare au diable, c’est aussi un autre jumeau contrasté), son goût pour le théâtre de marionnettes (p. 264), ses débuts difficiles pour écrire dans un monde dominé par les hommes (p. 205), son costume d’homme et la pipe, son travail de journaliste, son implication dans le mouvement qui a conduit aux journées de juin 1848 et son exil provincial à la suite de la réaction qui suivit. Tout cela est plutôt bien fait et on a une belle plongée dans le Paris artistique du XIXe siècle. Mais les choses sont un peu plus retorses.
On peut certes s’inspirer d’une vie de personnage célèbre et en faire la trame d’une fiction. Mais à quoi bon, si l’on y introduit des différences majeures ? Sand, pour n’en citer qu’une, est loin d’avoir vécu une enfance misérable. Quand la parenté, ou l’emprunt, ne sont pas explicités, c’est un peu gênant : de la revendication d’un titre (« Histoire de ma vie ») à une citation (un beau passage sur l’amour des chemins, tiré de Consuelo), certes avec des guillemets, mais attribuée à Francoeur, et non à Sand. Aurore colle à la peau d’Anna et vice-versa, brouillant le personnage historique sous la fiction. On pourrait répondre aussi que montrer des vies d’artistes au XIXe siècle est une bonne idée dans le cadre d’un roman historique. Mais alors, pourquoi avoir donné la carrière de Rosa Bonheur, femme et peintre animalier, à un homme ? Cela enlève en partie l’intérêt du propos.
Bref, je laisse aux spécialistes de Sand, de Rosa Bonheur et de Sarah Bernardt (oui, elle apparait à la fin) ou de Marie-Aude Murail le soin de démêler tout cela, mais j’avoue que le procédé me trouble, particulièrement avec l’effacement du nom de Sand. Me trouble également le fait que ces emprunts ne sont pas mis en avant. C’aurait été pourtant un argument : amener les jeunes lecteurs à lire Sand en commençant par Francoeur ? C’est ce que suggère rapidement l’émission de Radio France consacrée à ce roman.
La Grande Librairie proposait de débattre de la question « comment faire lire nos enfants ? « , avec Susie Morgenstern, Daniel Pennac, Zep, Timothée de Fombelle et Clémentine Beauvais. Chose significative : la littérature pour la jeunesse n’y était toujours pas traitée comme une littérature, mais davantage comme un fait de société. Enfin, les problèmes que j’évoque n’y ont absolument pas été abordés. Pourquoi ? craindrait-on que le rapport à la culture bloque l’envie de de lire ?
Cet ouvrage passionnant mais inclassable peut néanmoins se ranger dans un cadre bien connu : il est le premier tome d’une série.

 

 

6 Phares

6 Phares
Dominique Ehrard, Anne-Florence Lemasson
Les Grandes Personnes, 2024

Grands mats

Par Anne-Marie Mercier

S’il y a un sujet qui méritait d’avoir son pop-up, c’est bien celui des phares. Cordouan, Chassiron, Les Poulains, Ar-Men, Eckmühl et Les pierres noires, sont ici célébrés et déployés. C’est beau, inventif, et bien informé : chaque double page est accompagnée d’un commentaire donnant les caractéristiques du phare, en données chiffrées (dates, localisation, latitude, longitude, hauteur, portée et surtout feux, chaque phare ayant un éclairage et un rythme particulier).
Chaque phare est aussi implanté dans son sol, tantôt fixe et herbeux, tantôt mouvant et écumant, comme celui des Pierres noire et celui d’Ar-Men flanqué à sa base, en relief, d’un petit bateau de papier relié par un fil au sommet du phare. Délicatesse, précision, grandeur, couleurs vives, verts tendres, bleus océan et noirs d’encre, un régal.

 

 

La Terre rouge a bu le sang

La Terre rouge a bu le sang
Jean-François Chabas
Éditions courtes et longues, 2024

L’Australie, des premiers jours jusqu’aux derniers

Par Anne-Marie Mercier

Pour fêter le début du salon de Montreuil 2024 (auquel je ne pourrai pas me rendre cette année, le Covid ayant encore frappé), je vous propose un texte étonnant et fascinant, beau et utile aussi.

Les romans de Jean-François Chabas provoquent toujours une surprise. C’est chaque fois la même qualité, le même beau style fluide, parfois discrètement poétique, le même attachement au vivant, les mêmes qualités d’intrigue, mais il y a toujours autre chose. La première surprise tient au nombre de page du volume : 390, je pense que c’est un record chez lui (mais je n’ai pas tout lu, tant il y a de titres, plus de 90 dit la quatrième de couverture). Une autre tient au changement d’éditeur : lui qui a tant publié à L’école des loisirs se trouve maintenant aux Éditions courtes et longues chez lesquelles il n’avait jamais rien publié jusqu’ici.
Il faut dire que ce texte étonnant avait sans doute besoin de marquer sa différence. L’auteur a déjà parcouru presque tous les genres, peut-être tous d’ailleurs (sur lietje vous trouverez des chroniques d’histoires de sorcières, d’histoires d’animaux, de romans de l’ouest sauvage…), et le voilà en train d’en rejoindre un autre ou plutôt d’en croiser plusieurs autres.  Cela tient à la SF car les deux personnages principaux sont des envoyés d’une autre planète ; cela tient du roman historique car ils arrivent sur terre au début du neuvième siècle, se font connaitre sous forme humaine au seizième, et accompagnent l’humanité jusqu’au vingt-deuxième siècle. C’est aussi un roman ethnologique et écologique : tout se passe en Australie ; on y apprend beaucoup sur le continent, son relief, son climat, sa flore, sa faune (du requin au crocodile en passant par la souris, les papillons et bien d’autres, sans oublier bien sûr les kangourous de toutes sortes) ; on découvre différents peuples, ceux que l’on nomme aborigènes pour simplifier, leurs langues leurs coutumes, leur histoire et surtout leur humanité. C’est enfin un roman politique qui dénonce les méfaits (le mot est faible) de la colonisation de ce continent et l’attitude des blancs encore et toujours à l’égard des descendants des peuples autochtones. Enfin, c’est un roman écologique : les deux personnages mystérieux que sont Minga (ce qui signifie fourmi en wajarri) et Bimbarlulu (pélican) prennent tour à tour la parole, s’adressant aux humains du futur, pour raconter la vie du peuple qui est devenu le leur et la lente dégradation de leur milieu de vie, jusqu’aux incendies gigantesque du vingt et unième siècle et au-delà, jusqu’au vingt-deuxième siècle… et pour maintenir le suspense je ne vous dis pas la fin.
Malgré cette allure un peu disparate, le roman reste un roman, une histoire humaine d’amour et de violence, de fidélités et de tensions : les deux envoyés de l’espace (on ignorera longtemps la raison de leur venue) racontent, chacun avec son tempérament. C’est celui qui s’est incarné en homme en ayant pris involontairement un peu de la fourmi, Minga, qui commence. Minga est calme, doux, il n’oublie jamais pour quoi il est là. Il est aimant aussi et se prend d’une affection immense pour un petit garçon un peu étrange. Bimbarlulu créée femme est imprévisible et violente, indisciplinée (une nouvelle Eve ? mais puissante). Elle commet plusieurs choses interdites : tuer pour le plaisir, tomber amoureuse et avoir un enfant d’un humain, massacrer les premiers blancs qui attaquent le peuple de celui qu’elle aime, et ce n’est qu’un début. Minga raconte les débuts : leur croissance en tant que graines semées dans le désert (sept siècles durant) et leur assimilation des connaissances et langues locales. C’est lent, passionnant et poétique. Les relations avec le peuple du Rêve qui les protège en ne révélant pas leur présence au long des siècles sont complexes : ils sont craints, on cherche à les utiliser, on ne comprend pas pourquoi ils n’ont pas renouvelé chaque fois que cela avait été nécessaire le grand massacre du début. Leur longévité et leur mémoire infinie tissent des relations riches avec tous les descendants d’aborigènes dont ils ont connu les ancêtres.
L’auteur parvient à mener de front intrigue romanesque et aspect encyclopédique, revendication et émerveillement. Chaque étape franchie dans la connaissance de ces êtres si humains que sont Minga et Bimbarlulu nous les rend attachants, jusqu’à ce que leur mission se dévoile peu à peu. L’intrigue parfaitement maitrisée soutient un roman extrêmement ambitieux qui mêle beaucoup de thèmes avec une grande cohérence. Il met au premier plan, sans didactisme mais sans voiler la vérité, le pillage et le massacre des peuples premiers d’Australie. En postface, on peut lire un texte du navigateur James Cook (1728-1779) en anglais et en français, généreux et lucide. Il est suivi par le texte de son commentaire par un auteur du XIXe siècle qui le trahit. On y voit les mensonges des colonisateurs du dix-neuvième siècle et les origines d’une culture installée sur une culture du mépris.

Enfin, ce gros livre est aussi un beau livre. Sa couverture reprend les motifs de l’art premier de ce pays, motifs et couleurs que l’on retrouve sur la tranche : un peu de désert entre les mains…

 

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter
Jo Witek, Juliette Mas

La Martinière Jeunesse, septembre 2024

Donner la parole aux adolescents

Par Lidia Filippini

Chambres adolescentes regroupe vingt portraits littéraires et photographiques de jeunes, âgés de douze à dix-neuf ans, qui ont accepté de recevoir Jo Witek, autrice jeunesse quinquagénaire, et Juliette Mas, photographe trentenaire, dans leur chambre, pour évoquer leur vie quotidienne.
À l’origine de ce projet, un constat de Jo Witek : ces jeunes, qu’elle rencontre fréquemment dans le cadre scolaire, de par son métier d’autrice, sont des êtres curieux, intelligents qui portent un regard vif sur le monde. Pourtant, ils semblent souvent méprisés par les adultes qui les imaginent sans cesse collés à leurs écrans, incapables de vivre dans la vie réelle. Cette « génération Z » subit de plein fouet les erreurs de ses aînés : désastre écologique, social, migratoire qu’elle devra résoudre. Évoluant dans un monde ultra-connecté, elle est pourtant peu visible car personne ne lui donne la parole.
Les jeunes interviewés sont issus de milieux socio-culturels variés. Ils habitent en ville, en banlieue ou à la campagne. Certains vivent dans des familles nombreuses, d’autres dans des familles monoparentales ou encore dans des foyers d’accueil. Tous ont en commun l’envie de livrer leurs doutes, leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs et leurs coups de gueule, avec la plus grande franchise. Les sujets abordés sont variés : les inégalités sociales, la politique mais aussi les réseaux sociaux, les écrans, l’amitié ou la sexualité. Pour Jo Witek et Juliette Mas, les adolescents d’aujourd’hui ne sont pas si différents de ceux d’hier. Comme leurs aînés avant eux, ils désirent changer le monde, améliorer les conditions de vie de leurs contemporains. Ils ont des rêves à réaliser et des angoisses à apaiser.
On sent, dans chacun des portraits, le respect de Jo Witek, qui ne force pas à la confidence. Pour elle, entrer dans la chambre, et donc dans l’intimité des adolescents, est « l’inverse de l’intrusion ». C’est au contraire un levier qui permet aux jeunes de laisser libre cours à leurs pensées dans un univers familier et rassurant. L’autrice sait se mettre en retrait. On assiste alors à des discussions d’égale à égal.e qui mettent en lumière un monde adolescent riche et plein de subtilités.
Les photographies de Juliette Mas, qui a participé à tous les entretiens, saisissent Zoé, Emily, Fahad, Younig et les autres dans leur quotidien, sans mise en scène, tels qu’ils sont. On est loin des clichés publiés sur les réseaux sociaux où l’on cherche à paraître ce qu’on n’est pas.
En rendant visibles ceux qui ne le sont pas, Jo Witek et Juliette Mas posent la première pierre d’un projet en forme d’espoir : celui de développer l’écoute transgénérationnelle et, « pourquoi pas [de] rêver ensemble à un avenir commun ? »
Chambres adolescentes est un projet transmédiatique qui peut être écouté en version sonore via un QR code à flasher dans le livre (chaque podcast dure environ une heure). Les portraits donneront également lieu à plusieurs expositions de novembre 2024 à mai 2025 (au Centre Tignous d’Art Contemporain à Montreuil puis, dans diverses médiathèques).

 

 

Le Livre extraordinaire du Japon ancestral

Le Livre extraordinaire du Japon ancestral
Peter Chrisp, Eugenia Nobati

Traduit (anglais) par Emmanuel Gros
Little Urban, septembre 2024

 

Une plongée dans l’art ancien du Japon

Par Lidia Filippini

Depuis son lancement en 2016, la série « Le Livre extraordinaire » de Little Urban est devenue emblématique de la maison d’édition. Dans un premier temps consacrée au documentaire animalier, elle se diversifie désormais en s’intéressant à l’art antique. Après l’Égypte, Rome et les Vikings, le nouvel opus est l’occasion de découvrir le Japon ancestral à travers ce qu’il nous reste de son art.
Chaque double-page présente un objet illustré de manière ultraréaliste par Eugenia Nobuti. Les images, qui se déploient sur la page de droite, offrent une précision telle qu’on croirait des photographies. Elles vont jusqu’à montrer les traces d’usure et la patine du temps. C’est un travail minutieux et précis qui, tout en dévoilant le talent des artistes ancestraux, fait apparaître celui de l’illustratrice argentine.
Sur la page de gauche, le texte permet à la fois de découvrir l’œuvre et d’en apprendre davantage sur le mode de vie des japonais de l’époque. En bas à gauche, une fiche d’information indique les lieux de découverte et de conservation, la date, les matières utilisées ainsi que les dimensions de l’œuvre. Un dessin à l’échelle permet de bien visualiser la taille réelle de l’objet, qui est mis en perspective à côté d’un homme ou d’une main.
Le lecteur découvre des statues, des estampes mais aussi des objets usuels tels que les inrōs, ces boîtes magnifiquement décorées que les hommes accrochaient à leur kimono pour pallier l’absence de poches.
Le grand format cartonné (28×37,8 cm), caractéristique de la collection, de même que le papier épais donnent à l’objet livre un côté précieux. Le grand soin apporté à la mise en page (chaque double-page est entourée d’un cadre orné d’un motif de vagues, le seigaiha ; dans le texte, chaque nouveau paragraphe est précédé d’un éventail stylisé) renforce cet aspect.
Cet album documentaire peut être lu d’une traite. Il peut aussi être utilisé comme une petite encyclopédie où les jeunes passionnés de la culture nippone pourront venir piocher des informations au fur et à mesure de leurs envies.

Onomatopia

Onomatopia
Émilie Gleason
Grasset jeunesse (« lecteurs en herbe »), 2024

Grrr, plaf, woutchebam !

Par Anne-Marie Mercier

Voici une sorte d’encyclopédie d’un nouveau genre : il s’agit de montrer les lieux que nous fréquentons à travers les bruits qui s’y font entendre. Chaque page fonctionne comme une planche de documentaire, montrant les éléments clés de chaque espace en noir et blanc : bibliothèque, école, toilettes, chantier, discothèque… et le peuplant de joyeux personnages caricaturaux, également en noir et blanc, réservant la couleur pour les bruits. Ceux-ci sont traduits par des onomatopées tracées en lettres épaisses et colorées : elles ont du corps et elles sont souvent très inventives. Ainsi, si la bibliothécaire fait «chhuuteuh», l’écriture fait «skritchin skritchè», le camion lance «prôônch », et bien d’autres sons. C’est une belle cacophonie !
C’est aussi une invitation à tenter de donner une traduction à tous les bruits et à être attentif à leurs accords et désaccords autour de nous.

 

Je plante des radis

Je plante des radis
Kate Petty Axel Scheffler
Gallimard Jeunesse, mars 2024

Livre pour jardiner, tendre et instructif

Par Edith Pompidou-Séjournée

Dès la première de couverture, on reconnaît le coup de crayon d’Axel Scheffler, le célèbre illustrateur de « Gruffalo ». Si le petit lapin, personnage principal de l’histoire, aurait bien pu rencontrer son autre héros, il ne s’agit pas cette fois de ruse ou d’amuser les enfants mais plutôt de leur donner le goût du jardinage. L’anthropomorphisme du personnage prénommé Charlie comme celui des autres sert, en fait, de support à cet album à mi-chemin du documentaire. En effet, si Charlie adore les radis et qu’il cherche à en faire pousser, le lecteur l’accompagne dans ses expériences et surtout dans les différentes étapes de la graine au légume en prenant conscience des éléments nécessaires pour la naissance du radis, comme le soleil, la chaleur et l’eau.
Des rabats ingénieux permettent même de voir ce qui se passe sous terre pendant que le petit lapin patiente. Ce sont les petits animaux du jardin qui renseignent Charlie en lui fournissant des éléments scientifiques mis en valeur dans des bulles de dialogue se détachant du reste de l’histoire : le ver de terre explique, par exemple, la nécessité de séparer les graines pour leur laisser la place de bien grandir, la coccinelle l’importance du soleil et celle de la pluie.
Finalement tous les radis ont poussé et Charlie en retire un géant de terre qui surgit du livre avec un immense rabat pop-up, il est ravi et réalise aussi, grâce à l’aide de la coccinelle que, si on ne les ramasse pas, les plantes donneront des graines et comprend ainsi le cycle de la germination. À la fin du livre, coccinelle et ver de terre redonnent des astuces au futurs petits jardiniers qui auront lu le livre. Un album tendre et ludique pour susciter l’envie de jardiner aux plus petits tout en leur faisant comprendre le cycle des végétaux.

 

 

Bibabop et Bidouwa

Bibabop et Bidouwa Un voyage au pays de la musique avec la fanfare Bric-Broc
Elsa Valentin Jean Lucas
Interprété par Jean Lucas, Erika et Frédéric Guérin
Trois petits points, 2024

Album audio d’une fiction sonore sous forme de CD à écouter

Par Edith Pompidou-Séjournée

C’est un voyage, celui d’une fille qui veut apprendre la musique et part donc à sa découverte. Son aventure se construit comme une chanson avec un refrain qui sert de fil conducteur en scandant l’histoire tout en rappelant sa quête. Quant aux couplets, ils peuvent s’écouter dans l’ordre. L’histoire se déroule comme un dialogue à deux voix entre la fille et celui que l’on peut penser être son professeur, et ses rencontres avec la fanfare et les instruments.
Ce périple est ponctué de devinettes musicales sur la reconnaissance des instruments mais aussi de la recherche des éléments caractéristiques du son comme la hauteur, la fréquence, l’intensité et la durée. La ballade est entraînante car elle s’accompagne de chansonnettes pleines de jeux de mots ainsi que de chansons et musiques qui invitent à bouger et danser en rythme.
Cet album audio n’est donc pas juste une histoire entraînante et amusante mais il peut encore servir de boîte à outils pour apprendre à découvrir les instruments et les sons qu’ils produisent, à prendre conscience du rythme et à le faire vivre corporellement, à travailler sur la prononciation et à différencier les sons pour savoir mieux les écouter et les apprécier. Une ode à la musique donc, certainement avec comme mission de passionner les plus jeunes et les plus novices de manière originale et stimulante.