Les Enfants naufragés

Les Enfants naufragés
Céline Kallmann, Benjamin Muller
Flammarion jeunesse (« podcast « encore une histoire »), 2024

Restons à quai

Par Anne-Marie Mercier

C’est une curiosité de voir ce que donne la novélisation d’un podcast à, dit-on, «700 000 écoutes, une histoire plébiscitée par les enfants». Dommage pour eux : cette histoire accumule les invraisemblances – à côté, le Club des cinq relève de la littérature réaliste – bons sentiments et clichés. Les dessins n’apportent pas grand-chose, bref, rien à sauver.
Quitte à vouloir une histoire d’enfants naufragés, mieux vaut revenir à Jules Verne et ses Deux Ans de vacances (il y a un bel album abrégé chez Sarbacane).

Deux Ans de vacances

 

Au gré du vent

Au gré du vent
Mapi, Emmanuele Benetti
A2Mimo, 2024

A bas les murs !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un petit village tranquille où chacun vaque à ses occupations, quand soudain… tout simplement arrive le vent. Le vent pendant trois jours et trois nuits, avec ses bruits et ses odeurs, c’est bien fatiguant et ça dérange beaucoup d’activités. Les habitants, menés par le maire décident de faire quelque chose, de construire un mur par exemple. Et ils le font, hélas.
Cette jolie fable illustre les dangers des décisions trop radicales face au changement. Elle invite à s’adapter plutôt (belle leçon en temps de changement climatique). Elle illustre aussi les dangers de l’enfermement, de manière imagée : on ne voit pas les fleurs qui surgissent au printemps, on ne comprend que tardivement que c’est le vent qui les a apportées.
Les illustrations en noir et blanc, en style naïf, mettent l’accent sur le caractère villageois et bon enfant de cette histoire (les actualités sinistres sont ainsi éloignées). Sur ce fond monochrome les volutes vert pistache du vent se répandent et mettent une belle animation.

 

Joséphine

Joséphine
Chloé Alméras
Seuil Jeunesse, 2021

Osez, osez, Joséphine…

Par Anne-Marie Mercier

Petit album carré et cartonné, aux coins arrondis, Joséphine est parfaitement adapté aux tout petits. Le personnage de la girafe est une évidence tant la girafe Sophie fait partie du paysage de la petite enfance. Elle l’est aussi pour une autre raison : son long cou lui permet toutes les explorations, tous les essais : s’enrouler dans les nuages, explorer un terrier… mais aussi jongler avec le grand et le petit, le vert et le bleu, avec une aspiration particulière vers le ciel, diurne ou nocturne.
Les illustrations, simples en apparence, où la frontière entre le sol et le ciel est tantôt résumée d’un simple trait tantôt soumise à de nombreuses variations (le moutonnement des buissons est l’envers de celui des vagues) montrent une Joséphine orange fluo qui tranche sur les autres coloris. L’ensemble est gai et joli, plein de fantaisie, comme Joséphine.
Il existe une version avec ce personnage sur les formes et les couleurs.
En italien, Joséphine s’appelle Caterina.

Petites Merveilles

Petites Merveilles
Agnès Domergue, Clémence Pollet
HongFei, 2024

Grands bonheurs

Par Anne-Marie Mercier

Les « bonheurs pour bébé » énumérés dans ce petit album carré et cartonné, fait pour eux, se déclinent en verbes : habiter, se presser, attendre, s’amuser, rêver. Ils sont complétés par la double page suivante, souvent de manière inattendue, bien qu’elle ait été annoncée par une découpe qui en dévoilait un fragment. Ainsi, les cubes deviennent coccinelles, l’étoile devient une étendue de sable, la roue de vélo un citron…
Le petit ours bleu propose à l’enfant un miroir de sa découverte du monde. A sa fenêtre, sous un parapluie, ou semblant dormir dans un lit, il est celui qui l’y initie. Ce monde est plein de merveilles, pareilles à la perle cachée dans la coquille-coffre au trésor de la deuxième double page. Il suffit de regarder. Ce n’est pas tout à fait de la poésie, mais les jeux sur les formes et les mots, de façon discrète, s’invitent.

 

Trop de dinos, c’est combien ?

Trop de dinos, c’est combien ?
Lou Peacock, Nicola Slater
Flammarion Père Castor, 2024

Du miel pour faire passer le vinaigre

Par Anne-Marie Mercier

Le nombre des albums sur les dinosaures augmente sans cesse, mais ils nous apportent pourtant toujours de jolies surprises. On pourrait dire que c’est trop facile de flatter le goût étonnant des enfants pour ces grosses bêtes. Leur avantage, c’est qu’elles remplacent avantageusement le loup : ça fait peur mais on peut dire sans mentir « il n’y en a plus en France » (décidément les boomers ont eu toutes les chances : pas de réseaux dits « sociaux » et des loups relégués dans les Apennins, ou les Carpates lointaines…). Surtout, cela permet de faire comprendre des leçons pas toujours flatteuses pour les enfants : du miel pour faire passer le vinaigre. Les capricieux sont repris par Trop nul, les exigeants par Trop de dinos.
Un enfant obligé de jouer seul ou de lire pour ne pas s’ennuyer au parc a un jour un dinosaure (« Un jour, j’ai eu un dinosaure », c’est la première phrase du texte) ; il s’amuse follement sur la balançoire du parc avec lui. Mais les jeux à deux finissent par être lassants, il faudrait un deuxième dinosaure puis un troisième, et à quatre c’est encore mieux, etc., jusqu’à dix.
A dix, c’est compliqué… ces grosses bêtes de toutes les couleurs et de toutes les formes ont un côté exubérant de Maximonstres : on les voit engloutir des tonnes de gaufrettes, piquer la trottinette de l’enfant, prendre toute la place dans son lit, tout casser, comme le monstre de Grosse Colère. Il finit par décider que c’est trop et les chasser, pour se rendre compte que c’est triste d’être seul…
Les images simples sont éclatantes de couleur ; le grand sourire de l’enfant, placé au centre de cette joyeuse bande, ne s’estompe qu’au niveau de dix pour revenir en dernière page avec la fin heureuse (et le retour du premier dinosaure).
Moralité : il ne faut pas vouloir toujours plus. Mais aussi on peut apprendre ainsi à compter jusqu’à dix.

 

Choco train

Choco train
Adrien Albert
L’école des loisirs, 2024

Combat de mamies

Par Anne-Marie Mercier

Deux mamies voyagent séparément pour assister au gouter d’anniversaire déguisé de leur petite fille. L’enfant raconte leur voyage en fonction de ce que sa mamie George lui a raconté dit : celle-ci a pris le train pour venir et a enfilé son déguisement de clown à bord du train en suivant ses instructions, puis elle s’est rendue à la voiture bar pour lui acheter ses biscuits préférés, des Choco train, que l’on ne trouve qu’à bord des trains. Jusqu’ici tout va bien.
Mais mamie Georges, découvrant un babouin en train de voler tous les gâteaux, attaque celui-ci : poursuites, dans le train, sur le toit du wagon (comme dans un western), sur les pentes d’une montagne, en hélicoptère… jusqu’à la chute des deux mamies enfin démasquées (le babouin était mémé Lucie), en plein milieu de la fête et sous une pluie de choco train.
Les dessins sont très drôles, rendant le voyage de mamie Georges absolument épique (on suit son point de vue). Le ton de la narration, naïve, est celui d’un enfant qui ne sait ce qu’il doit croire mais sait bien qu’il est infiniment aimé. Chouchou était le personnage de Chantier Chouchou debout,  album dans lequel sa mamie Georges l’entrainait dans un grand nettoyage
Jolies images très expressives, couleurs franches, rythme endiablé, tout est drôle et charmant.

 

 

Le Livre qui peut lire dans ton esprit

Le Livre qui peut lire dans ton esprit
Marianna Coppo
Traduit (italien) par Christian Demilly
Grasset jeunesse, 2024

Ta-dam ! un livre pour faire de la magie

Par Anne-Marie Mercier

Lady Rabbit, lapin blanc vêtu d’un costume noir, fait le prestidigitateur, non pas en fiction comme c’est souvent le cas dans les livres, mais en VRAI ! Oui, ce livre est un spectacle de magie à lui tout seul, à la manière des tours de cartes : le lecteur est invité à choisir en secret un personnage parmi les spectateurs de la performance de Lady Rabbit et à donner la rangée dans laquelle il se trouve. Selon celle qu’il aura donnée, il doit se rendre dans une section particulière de l’album. Il découvre alors une autre disposition des personnages et doit à nouveau choisir la rangée où se trouve celui qu’il a mémorisé pour se reporter enfin à la page qui lui dit ce qu’il a choisi (ta-da !).
On peut refaire le jeu à l’infini, épater ses ami/es, ou tout simplement se régaler des illustrations qui jouent parfaitement le jeu de l’attente et de la merveille.
Les dernières pages révèlent l’origine de ce jeu, bolzone en italien. Ce mot désigne les tours de magie utilisant des nombres, notamment ceux de frère Luca Paciolo qui, dit-on fascinaient Léonard de Vinci. Elles montrent quels ouvrages ont progressivement conduit à l’idée de transcrire ce jeu en livre puis en images, de La Pensée gracieuse de Pietro Millioni au Passe-temps d’Andrea Ghisi (1603).

C’est grand comment l’amour ?

C’est grand comment l’amour ?
Zeno Sworder
Traduit (anglais, Australie) par Céline Delavaux
Seuil jeunesse, 2023

Hymne à l’amour parental

Par Anne-Marie Mercier

À la question du titre, l’album répond de manière assez conventionnelle : l’amour, ici celui des parents pour leur enfant, est infini. Mais la manière de traiter le sujet est originale, aussi bien par le texte que par les images qui le prennent au pied de la lettre. Le titre original résume mieux l’intrigue qui soutient cette question : « My Strange shrinking parents ».
Au centre de l’histoire, il y a la notion d’un écart entre la pauvreté financière et la richesse de l’amour. Pour illustrer cela, l’auteur-illustrateur utilise une métaphore : les parents de l’enfant rétrécissent au fur et à mesure qu’il grandit, afin de pouvoir satisfaire ses besoins. Ils donnent un peu de leur taille au boulanger pour le gâteau d’anniversaire, au directeur d’école (huit centimètres par an), etc., ce qui les amène progressivement à une taille minuscule. Claude Ponti avait déjà utilisé ce procédé pour illustrer la vie difficile de certains parents (Schmélele ou l’Eugénie des larmes), usés par le travail au point de rétrécir puis disparaitre.
Les images montrent ce processus, lent d’abord, puis de plus en plus visible, de manière adoucie. L’estompage des couleurs, les points de vue variés, le rythme qui mêle petites vignettes carrées et grandes doubles pages, séparant ainsi étapes principales et répétition du même processus, la beauté du dessin et des personnages, toujours souriants ou presque, illustre leur courage et leur stoïcisme. L’attention aux objets, aux décors et la présence de la nature en toutes saisons en font aussi un bel espace de contemplation. L’auteur rend hommage à ses modèles : Hokusai et Hiroshige, Oscar Wilde, Sheil Silverstein [L’Arbre généreux] et Stan Sakai [Usagi Yojimbo ]  : « au cours de ma vie, leurs images et leurs mots m’ont aidé à me perdre et à me retrouver » – on aimerait ajouter Chris van Allsburg.
Le ton de la narration est tendre, parfois amusé : il y a des avantages à avoir des parents petits ; quand ils sont vieux on peut les installer dans une maison de poupée. Mais il est parfois cruel ; l’enfant est moqué par ses camarades et pour cela, sa mère doit lui répéter qu’ils sont comme les autres parents, que leur amour est tout aussi grand.
Cet album est un superbe hommage aux parents immigrés qui prennent tous les risques et sont prêts à tous les sacrifices pour faire vivre leur enfant dans un monde où il pourra grandir et étudier. Les pages de garde présentant des modèles de théières issus de différentes cultures comme le texte final ouvrent la perspective à tous les immigrés, de tous les continents. C’est aussi un beau regard sur la vie de ces enfants incarnés par le narrateur et l’évolution des rapports familiaux. Et surtout c’est un superbe album, par son texte et par ses images aussi bien que par l’interaction entre les deux éléments.

 

 

 

 

Le Cerf-Volant ou l’école de Lalita

Le Cerf-Volant ou l’école de Lalita
Laetitia Colombani et Clémence Pollet
Grasset jeunesse, 2023

 

Par Anne-Marie Mercier

L’histoire de Lalita, fille de l’héroïne La Tresse, roman qui a eu un grand succès et a été adaptée par les mêmes en album, suit son cours avec toujours le même objectif : faire que cette enfant d’intouchables indiens puisse suivre une scolarité et espérer un avenir meilleur.
C’est une belle histoire de solidarité, de la jeune européenne, maitresse d’école bénévole, à l’équipe de la Red Brigade, qui s’est donné pour mission de protéger les habitantes du village et de leur apprendre des sports de combat.
C’est aussi un joli album. Les images de Clémence Pollet lui donnent une luminosité particulière. La narration est un peu plate, c’est dommage : il me semble que l’autrice a des difficultés à passer à une écriture destinée aux enfants sans la simplifier à l’excès.