Le Flocon

Le Flocon
Bertrand Santini, Laurent Gapaillard
Gallimard jeunesse, 2020

L’infini au creux de la main; le monde et le temps dans un album

Par Anne-marie Mercier

« Conte inspiré du recueil de Johannes Kepler, « L’étrenne ou la neige sexangulaire » (1610), dans lequel, après avoir badiné sur une offrande de presque rien pour un jour de nouvel an, Kepler traite de la structure du flocon de neige et de l’organisation du monde vivant, ce bel album, grand et étrange, au format atypique, marque par son ambition.
Le point de départ est le même : Kepler offre au roi « presque rien » : un flocon de neige, ce qui entraine la raillerie des courtisans. Faisant observer le flocon au roi à travers un télescope, il lui fait voir l’infini du monde et le néant de l’homme, créature parmi les autres et non roi de la Création, ce qui fait hurler les dévots et traditionalistes.
Le texte, en vers, est simple et alerte. Les illustrations, en tons de gris, sont au contraires très fouillées et sombres, sous la forme de gravures d’allure gothique. Elles présentent des architectures et des costumes de personnages typiques de l’époque, mais aussi des animaux de tous les continents, jusqu’à l’infini du cosmos et du temps, l’expansion de l’univers puis son effondrement. Elles sont souvent vertigineuses, proposant des points de vue étonnants et des perspectives infinies.
L’ensemble est superbe et donne à penser, à rêver peut-être ?

On découvre ici un autre aspect du talent de Bertrand Santini, et le magnifique travail de Laurent Gapaillard, l’excellent illustrateur des couvertures de La Passe-miroir,  du Yark, de la nouvelle édition du Prince Pipoque du très beau et du très bon!

Royale Panique à Versailles

Royale Panique à Versailles
Claire Le Meil
Sarbacane, 2020 (avec le soutien des Jeunes Amis de Versailles)

Versailles sous toutes ses coutures

Par Anne-Marie Mercier

Il fallait bien un format exceptionnel pour montrer cette poursuite dans les pièces d’un immense château, jusqu’à ses jardins et sa ménagerie. Dans cet album à l’italienne, étroit et très allongé, le cacatoès échappé de la ménagerie traverse les pages, entrant par la gauche, sortant par la droite et semant la panique : il répète partout les propos entendus dans la chambre de la reine, peu flatteurs pour son mari, le roi Louis XIV : dans le salon de la paix, dans la Galerie des glaces (où il fait tomber le peintre Le Brun de son échelle), dans la chambre du roi. A partir de là, la chasse se poursuit sur les deux doubles pages en scènes uniques, où l’on voit le roi, la reine et ses suivantes poursuivre le volatile dans un château en vue d’ensemble et en coupe, ou à travers les salons, le jardin, etc. jusqu’à la ménagerie où le cacatoès trouve en La Fontaine un avocat efficace pour se faire pardonner.
les illustrations, crayonnées sur fond blanc et rehaussées de tons pastel tantôt roses et tantôt bleus sont d’une grande efficacité narrative, des touches de noir ou de bronze et le bleu pâle et le jaune d’or du cacatoès soulignant les détails. Elles sont aussi, tout en restant très schématiques, fidèles à l’architecture des lieux : Claire Le Meil connait bien le château. Enfin, l’idée d’utiliser un personnage d’oiseau permet aussi de montrer aussi des vues aériennes.
Mais pourquoi cette date du 18 mai 1682 ? Louis XIV, sa famille et sa cour se sont installés dans le château le 6 mai de cette même année, donc une douzaine de jours plus tôt. Mystère…
Feuilleter sur le site de l’éditeur.

 

Les folles aventures d’Eulalie de Potimaron, vol. 5 : le vampire de Castille

Les folles aventures d’Eulalie de Potimaron, vol. 5 : le vampire de Castille
Anne-Sophie Silvestre
Flammarion, 2013

Mantilles et mystères

par Anne-Marie Mercier

les-folles-aventures-deulalie-de-potimaron-05Pauvre Eulalie ! Séparée de son amoureux (Philippe d’Orléans, le futur régent), elle est exilée à la cour d’Espagne pour accompagner la soeur de celui-ci, Marie-Louise d’Orléans, qui a épousé le jeune Charles II, roi d’Espagne alors qu’elle aime son cousin, le fils du roi de France (vous suivez ?).  Le vampire qui donne son titre au roman n’est ici qu’une ombre inquiétante,  le dévoilement de son identité étant sans doute réservé au prochain volume. Mais l’essentiel du roman tient à la description de la cour d’Espagne, à l’influence de l’étiquette, aux coutumes bizarres, à la présence de la religion et notamment des confesseurs. L’histoire tragique de Marie-Louise est esquissée: l’absence d’enfant, l’hostilité de la reine mère,… mais pas encore scellée. Eulalie a la chance d’être nommée écuyère de la jeune reine et à ce titre bénéficie d’une grande liberté: une grande partie du le roman se déroule à cheval, au grand galop, comme un éloge de la liberté dans un monde étouffant et menaçant où les relations avec les animaux (chevaux, lapin, faucons…) mettent un peu de tendresse dans ce monde bien cruel pour les jeunes âmes.

(voir la notice pour le volumes précédent)…
pour les tomes 1 et 2
pour le t. 3

Les Folles Aventures d’Eulalie de Potimaron, vol. 4

Les Folles Aventures d’Eulalie de Potimaron, vol. 4 : L’amazone de mademoiselle
Anne-Sophie Silvestre
Flammarion, 2013

Amour de l’Histoire – l’amour impossible des princes et princesses

Par Anne-Marie Mercier

Potimaron4L’amazone de mademoiselleRevoilà la charmante Eulalie, son lapin et son cheval. Mais cette concession faite aux plus jeunes lecteurs n’empêche pas l’héroïne de grandir, et ses soucis avec elle. Eulalie est en danger, se bat, se cache, Eulalie est amoureuse en secret. Autour d’elle, ses amis ne sont qu’innocence et fraîcheur. Le futur Régent, Philippe d’Orléans, est jeune et vertueux, l’abbé Dubois est un conseiller avisé, et le Dauphin n’est pas encore confit en dévotion… joli temps de l’enfance – ou de la fiction.

Mais toutes ces aventures, menées à un rythme soutenu mais sans précipitation, se déroulent dans un cadre historique qui n’est pas un pur prétexte comme c’est souvent le cas dans le roman historique pour les jeunes : Eulalie est au service de Marie Louise d’Orléans,  fille de Monsieur, le frère du roi. Marie Louise aime son cousin Louis, le Dauphin. Las ! tous deux sont destinés à faire des mariages politiques et le roman retrace leurs espoirs, échecs, et le sort peu enviable des princesses sous l’ancien régime, ventres à vendre et à échanger. De quoi faire méditer les adolescentes et adolescents qui rêveraient de grandeur…

51Dm8Sc912L._SY445_Le très beau roman de Chantal Thomas paru cette année également, L’Echange des princesses, évoque un autre échange franco-espagnol calamiteux, et d’autres jeunes cœurs brisés, la coïncidence est intéressante. On se demande comment Anne-Sophie Silvestre arrivera à se tirer de la suite, fort sombre, et peu adaptée au jeune public : mariée à 17 ans à Charles II d’Espagne, prince aimant mais disgracieux et taré, la pauvre Marie Louise connaîtra bien des malheurs. Mais dans la fiction Eulalie veille : saura-t-elle alléger les chagrins de l’infortunée princesse et échapper à ses propres ennemis ? La suite, parue récemment, nous le dira !

Jeanne, parfumeur du roi

Jeanne, parfumeur du roi
Anne-Marie Desplat-Duc
Flammarion, 2012

Inodore et incolore

par Anne-Marie Mercier

Malgré un titre prometteur (on s’attend à la description d’une ascension problématique d’une jeune fille dans le milieu des artisans parisiens) et son inscription dans une série célèbre, les Colombes du roi soleil, ce roman n’a éveillé en moi aucun intérêt : le passage par la maison des demoiselles de Saint-Cyr est escamoté (sujet usé, sans doute ?), l’ancrage dans le 17e siècle très sommaire (on voit passer Mme de Grignan, mais à quoi bon?), la psychologie des personnages et les dialogues sont d’une extrême pauvreté. A part cela, mystères, enlèvements, révélations, dons innés et invraisemblances plairont aux amateurs de ce genre, mais à tout prendre, pourquoi ne pas lire un BON roman qui réunit les mêmes ingrédients (Waterloo nécropolis, par exemple, ou Vango) ?

A ceux et celles qui en douteraient encore, ce volume montre que cette série est un avatar de mauvais romans sentimentaux pour jeunes filles avec un alibi culturel qui ne fait guère illusion. Voir les articles d’Anne Arzoumanov  (« Parler XVIIe : étude d’une fiction linguistique ») et de Christine Mangenot (« Jeunes filles du XVIIe siècle pour jeunes lectrices d’aujourd’hui, ou la fabrique du féminin en littérature de jeunesse ») dans un volume paru récemment, dirigé par Edwige Keller  et Marie Pérouse : Les représentations du XVIIe siècle dans la littérature pour la jeunesse contemporaine : patrimoine, symbolique, imaginaire

 

Sabotages en série à Versailles

Sabotages en série à Versailles
Arthur Ténor

Seuil jeunesse, 2011

Versailles hélas

Par Anne-Marie Mercier

sabotages en série.jpgVoilà une tentative pour mêler roman historique (pâle copie des Colombes du roi soleil, version garçons), « collège novel » (il y aurait eu une « prestigieuse école » de pages sous Louis XIV…?) et roman policier. C’est souvent des mélanges que viennent les surprises et certains succès (l’exemple Harry Potter). Ici, le résultat est bien décevant, sur tous les points. Il faut noter tout de même une originalité : le cadre des jardins de Versailles est bien utilisé et les prouesses techniques des fontaines et grandes eaux bien documentées. Hors cela, l’imitation de langue ancienne dans les dialogues est artificielle et le récit sans allant.