Un orage dans ma tête

Un orage dans ma tête
Nemo
Tom Pousse – Collection AdoDys 2024

Une éducation sentimentale

Par Michel Driol

Fils de parents divorcés, Tom découvre un matin que sa mère aime une autre femme, sa marraine qui plus est ! Profondément choqué, l’adolescent trouve refuge chez son père, policier, qui l’envoie chez son grand-père, l’Amiral, dont la sœur monarchique est catholique convaincue. Entre ses grands-parents paternels, figures de l’ordre sa grand-mère maternelle, militante infatigable contre toutes les injustices, Tom parviendra-t-il à séduire, malgré sa dyspraxie, la jolie Pam, et à se réconcilier avec sa mère et sa compagne ?

Nouvel opus de la collection AdoDys, le roman dont la typographie est adaptée aux lecteurs dyslexiques, aborde avec humour et bienveillance des problématiques auxquelles sont confrontés les adolescents d’aujourd’hui. Il s’agit de la découverte de différentes formes de sexualités dans une société qui a du mal à les reconnaitre, et le roman sait conduire Tom à accepter la nouvelle relation de sa mère. Tom est bien entouré par toute une famille haute en couleur, pittoresque, soudée malgré le divorce et les opinions politiques. C’est cet amour qui va aider Tom à grandir, à la fois dans ses relations avec les autres ados et avec sa mère et sa marraine. Grandir, c’est pour Tom se sentir capable, malgré le handicap que lui procure sa dyspraxie, son surpoids, d’inviter Pam au cinéma. Grandir, c’est pour lui accepter sa différence : quelque peu en marge, il veut devenir parfumeur, « nez ».  Tous les personnages sont attachants, bien dessinés, situés dans des milieux parfois peu représentés en littérature pour la jeunesse : ébéniste pour la mère, commandant de sous-marin nucléaire à la retraite. Originalité donc des individualités, des milieux et des décors dépeints, qui ont tous en commun d’être accueillants, sympathiques et aimants.

Un récit enlevé, agréable à lire, pour dédramatiser la dyspraxie, l’homosexualité et le divorce !

Sweet Home

Sweet Home
Nancy Guilbert

Didier Jeunesse, 2024

 Road trip en quête de vérité

Par Pauline Barge

Le Dusty Rusteze traverse les paysages d’Irlande avec à son bord Kim et ses deux enfants : Yzac, un petit garçon lumineux et Birdie, une adolescente mélancolique passionnée de musique. Lors d’une nuit pluvieuse, le van tombe en panne et la famille trouve refuge chez Siam et son grand-père. Birdie ignore alors que cette rencontre inattendue bouleversera sa vie.
Le récit alterne les points de vue, permettant de suivre l’histoire sous un angle toujours différent. Dans le présent, il y a Birdie, qui se rebelle, mais porte en elle une blessure profonde. Puis Siam, qui cherche à s’affirmer malgré son handicap. Yzac, lui, apporte un côté comique et une légèreté naïve au récit. Un personnage du passé apparaît également : Skye, une jeune femme qui cherche à fuir sa vie douloureuse, enfermée contre son gré dans un couvent. On se demande alors ce qui rassemble tous ces personnages, quelle histoire commune relie passé et présent. Il y a tant de secrets enfouis dans chacune de leurs vies. Une chose les réunit pourtant avec certitude : ils rêvent tous de leur propre « sweet home« .
Nancy Guilbert livre un récit à la fois plein de tendresse et d’humour, où amitiés naissantes et gestes d’amour captivent. Ce roman tient en haleine tout au long des pages, par ces millions de questions sur ces non-dits et les confrontations inévitables entre les personnages. L’histoire de Birdie et des autres est si pleine de rebondissements qu’il est impossible de lâcher le livre. Divers sujets délicats sont également abordés, tels que le handicap, les violences conjugales ou les atrocités des couvents de la Madeleine, qu’il aurait peut-être fallu explorer davantage en profondeur. Il y a aussi beaucoup de poésie de ce roman, que l’autrice transmet à travers les mots de Siam. Ils trouvent un écho dans toute cette beauté sauvage de la côte Irlandaise, permettant des moments de douceur dans ces mystères familiaux

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter

Chambres adolescentes, 20 portraits à lire et à écouter
Jo Witek, Juliette Mas

La Martinière Jeunesse, septembre 2024

Donner la parole aux adolescents

Par Lidia Filippini

Chambres adolescentes regroupe vingt portraits littéraires et photographiques de jeunes, âgés de douze à dix-neuf ans, qui ont accepté de recevoir Jo Witek, autrice jeunesse quinquagénaire, et Juliette Mas, photographe trentenaire, dans leur chambre, pour évoquer leur vie quotidienne.
À l’origine de ce projet, un constat de Jo Witek : ces jeunes, qu’elle rencontre fréquemment dans le cadre scolaire, de par son métier d’autrice, sont des êtres curieux, intelligents qui portent un regard vif sur le monde. Pourtant, ils semblent souvent méprisés par les adultes qui les imaginent sans cesse collés à leurs écrans, incapables de vivre dans la vie réelle. Cette « génération Z » subit de plein fouet les erreurs de ses aînés : désastre écologique, social, migratoire qu’elle devra résoudre. Évoluant dans un monde ultra-connecté, elle est pourtant peu visible car personne ne lui donne la parole.
Les jeunes interviewés sont issus de milieux socio-culturels variés. Ils habitent en ville, en banlieue ou à la campagne. Certains vivent dans des familles nombreuses, d’autres dans des familles monoparentales ou encore dans des foyers d’accueil. Tous ont en commun l’envie de livrer leurs doutes, leurs inquiétudes mais aussi leurs espoirs et leurs coups de gueule, avec la plus grande franchise. Les sujets abordés sont variés : les inégalités sociales, la politique mais aussi les réseaux sociaux, les écrans, l’amitié ou la sexualité. Pour Jo Witek et Juliette Mas, les adolescents d’aujourd’hui ne sont pas si différents de ceux d’hier. Comme leurs aînés avant eux, ils désirent changer le monde, améliorer les conditions de vie de leurs contemporains. Ils ont des rêves à réaliser et des angoisses à apaiser.
On sent, dans chacun des portraits, le respect de Jo Witek, qui ne force pas à la confidence. Pour elle, entrer dans la chambre, et donc dans l’intimité des adolescents, est « l’inverse de l’intrusion ». C’est au contraire un levier qui permet aux jeunes de laisser libre cours à leurs pensées dans un univers familier et rassurant. L’autrice sait se mettre en retrait. On assiste alors à des discussions d’égale à égal.e qui mettent en lumière un monde adolescent riche et plein de subtilités.
Les photographies de Juliette Mas, qui a participé à tous les entretiens, saisissent Zoé, Emily, Fahad, Younig et les autres dans leur quotidien, sans mise en scène, tels qu’ils sont. On est loin des clichés publiés sur les réseaux sociaux où l’on cherche à paraître ce qu’on n’est pas.
En rendant visibles ceux qui ne le sont pas, Jo Witek et Juliette Mas posent la première pierre d’un projet en forme d’espoir : celui de développer l’écoute transgénérationnelle et, « pourquoi pas [de] rêver ensemble à un avenir commun ? »
Chambres adolescentes est un projet transmédiatique qui peut être écouté en version sonore via un QR code à flasher dans le livre (chaque podcast dure environ une heure). Les portraits donneront également lieu à plusieurs expositions de novembre 2024 à mai 2025 (au Centre Tignous d’Art Contemporain à Montreuil puis, dans diverses médiathèques).

 

 

Le Soleil se lèvera demain

Le Soleil se lèvera demain
Aurélie Massé

Editions Slalom, 2024

Cinq voix, un espoir

Par Pauline Barge

Alexis, Nadia, Théodore, Camille et Jules ne se connaissent pas. Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant. Pourtant, ils se retrouvent là, tous les cinq, dans ce lieu désert et effrayant. Alors ils se posent des questions. Que font-ils là, dans cet endroit à l’allure d’un vieux réseau de métro ? Pourquoi sont-ils ensemble ? Mais surtout : qui a bien pu les réunir ? D’abord méfiants les uns envers les autres, ils finissent par se parler. Petit à petit, chacun raconte des morceaux de sa vie. Ils expriment leurs peines, leur désespoir, leur mal-être. Dans ces couloirs inhospitaliers, l’amitié s’installe se répand. Ils s’aident, s’écoutent, se pardonnent. Ensemble, ils affrontent ces douleurs qui les rongent tous différemment.

Dans cette sorte de huis clos en trois parties, Aurélie Massé explore l’adolescence et toutes ses difficultés. Elle livre une histoire bouleversante, qui touche au plus profond de soi. On s’attache aux personnages, tout aussi émouvants les uns que les autres par leurs caractères bien à eux. La narratrice ne mâche pas ses mots. Elle est percutante et franche, ce qui prend au cœur. Si on se révolte avec ces adolescents, on veut aussi les rassurer, être avec eux dans cet endroit repoussant, leur murmurer des « je suis là ». L’autrice a réussi à faire passer un message puissant, avec une plume à la fois pleine de violence et de poésie.

Les thèmes abordés sont lourds. Pourtant, il faut parler de tous ces sujets que sont le harcèlement, l’homophobie, les troubles du comportement alimentaire, les violences sexuelles… Aurélie Massé arrive à trouver les mots justes pour parler à ses lecteurs. Son récit est un roman nécessaire, qui ouvre au dialogue et à la prévention. Un roman que les adolescents peuvent découvrir, pour se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls. Pour qu’enfin ils puissent lire ces mots si justes : « Ce moment que tu traverses n’est pas l’éternité. Même si ta nuit te semble interminable, le soleil se lèvera demain. »

 

NEB

NEB
Caroline Solé, Gaya Wisniewski
L’école des loisirs (médium), 2024

Jeux vidéo en procès

Par Anne-Marie Mercier

« Changer de planète », c’est le vœu le plus cher du personnage adolescent, Alex, qui raconte sa propre histoire. Il n’a pas d’amis, sa mère est morte dans un accident de voiture auquel, tout bébé, il a réchappé. Son père ne le comprend pas. Il dessine mais personne ne s’y intéresse. D’ailleurs il ne montre à personne ses dessins. Les illustrations de Gaya Wisniewski, en noir et nuances de gris, parfois en bleu, semblent être tirées du cahier d’Alex. Très sombres, tracées nerveusement, elles reflètent son état d’esprit.
L’histoire commence lorsqu’Alex découvre un jeu vidéo en ligne tellement addictif qu’il/elle (il crée un avatar avec un sexe indéterminé, cela aura une incidence sur la suite) y passe ses jours et ses nuits : gagner à ce jeu devient le but ultime de sa vie ; la victoire semble à portée de main… jusqu’à ce que son père confisque son portable et l’envoie en stage de déconnexion et apprentissage de l’anglais, en Angleterre. Une fois sur place, Alex découvre que le jeu a été arrêté pour cause de piratage. Les pirates lui envoient des messages montrant qu’ils ont aussi volé toutes ses données et ils lui proposent de continuer le jeu avec eux. Ils lui donnent rendez-vous dans un lieu mystérieux où Alex doit se rendre seul/e, la nuit… Le roman semble vouloir tourner au thriller.
Rencontrant les autres joueurs, Alex découvre que chacun d’eux est porteur d’une pathologie : syndrome d’anxiété, schizophrénie de profil, athazagoraphobie, assombrissement. Mais chacun d’eux aura une mission : orienter le jeu vers un futur meilleur. Les millions de fans du jeu voteront pour la direction qu’ils préfèreront. Ces jeunes gens de l’ombre sont alors exposés, sans leurs avatars, en pleine lumière.
La première partie du roman est intéressante, montrant la mécanique de l’enfermement progressif vécu par de nombreux adolescents. La rencontre avec les hackers l’est encore plus, tant par le suspense que par les informations qu’ils livrent. Ils démontent la stratégie des concepteurs de jeu qui crée l’addiction et mettent en évidence le fait que « quand c’est gratuit, c’est toi qui es le produit ». Ils donnent à Alex de nombreuses explications tantôt techniques, tantôt physiologiques (sur la molécule du plaisir et celle du bonheur, la dopamine empêchant la sérotonine de se développer), etc. L’addiction est décrite non comme un effet secondaire mais comme le but recherché. Parallèlement, on revient sur le rêve des origines des jeux en ligne : gratuité, coopération, fin des barrières géographiques, politiques et idéologiques, liberté enfin…
Si la fin est un peu décevante et en contradiction avec la noirceur initiale et le tempérament d’Alex, le roman reste intéressant et explique à travers la fiction le piratage généralisé de nos vies. Caroline Solé explore ainsi une autre facette des nouvelles formes de divertissement, après avoir dénoncé, avec La Pyramide des besoins humains, les jeux de télé-réalité. On devine qu’il pourrait y avoir une suite, ce qui expliquerait l’aspect un peu expéditif de la fin.

Voir un petit documentaire, sur les traqueurs et les voleurs de données (Arte).

 

 

 

 

 

Sauver papa

Sauver papa
Blanche Martire
Le Calicot 2024

L’enfant thérapeute

Par Michel Driol

Marguerite est une brillante élève de terminale dont les parents sont divorcés. Son père est poète, à ses heures, plutôt paisible, sa mère plus active enchaine les activités. Quant à elle, elle ne sait pas où elle en est, doute d’elle-même, si bien que, faute d’un conseiller d’orientation dans son lycée, sa mère l’envoie chez une psychologue qui l’aidera à découvrir en quoi son père lui est toxique, en prenant toute la place, et en attendant trop d’elle.

Cette nouvelle d’une trentaine de pages, particulièrement bien écrite et structurée, fait alterner sur une même soirée passée en boite de nuit les souvenirs et les confidences de la narratrice, tels qu’ils reviennent, au rythme de la musique. Il est question du mal être d’une adolescente, qui a de la difficulté à porter son prénom, Marguerite, fleur rayonnante. Qui est-elle réellement dans sa relation avec les autres, avec ses parents, avec son père surtout ? Ce père présent dès les premières pages, avec ce poème qu’il envoie à sa fille, ce père caméléon de la souffrance (ce sont ses propres mots) en attente d’une approbation, d’un retour de sa fille. Ce père, enfant de parents qui ont été famille d’accueil, a-t-il manqué d’amour ? Comment se fait-il qu’il soit devenu, en quelque sorte, l’enfant de sa fille ? Comment parler de cela avec son père ? comment se construire, et découvrir l’amour ? Telle sont les questions, fines, que pose cette nouvelle qui, pour une fois, aborde les phénomènes de relations toxiques  parents-enfants  autrement que par le biais de l’inceste ou de la maltraitance physique. On s’attache à ce personnage de Marguerite, à son errance mentale à travers cette soirée de fête, les bribes, les lambeaux de souvenirs auxquels elle se raccroche, sa sensibilité, sa fragilité. La force de la nouvelle réside dans sa construction, dans sa façon de retracer, en un temps et un espace clos, le parcours affectif de Marguerite, sa prise de conscience, les faits, petits ou grands, significatifs pour elle, à la façon d’un puzzle dont les pièces, petit à petit, viennent s’emboiter pour donner un sens et une orientation à une image de soi jusque-là brouillée, dans une écriture simple et douce, très classique dans la forme et la syntaxe.

Une nouvelle forte et concise, sans fioriture, qui montre comment les rôles de parent et d’enfant peuvent s’inverser, portée par une narratrice à la fois perdue et lucide.

Le Bleu des souvenirs d’été

Le Bleu des souvenirs d’été
Lily-Belle de Chollet
Didier Jeunesse 2024

Dernier été

Par Michel Driol

Salomé et Lucile, deux cousines adolescentes, débarquent comme tous les étés sur l’ile bretonne où habite leur grand-mère, veuve depuis peu. Manque Colombe, la sœur de Salomé, partie à Madagascar avec sa mère qui y tourne un documentaire. Sur l’ile, elles retrouvent Aisling, un peu plus jeune qu’elles, et les deux frères Isaac et Jonas. La maison familiale de la grand-mère doit être vendue pour financer l’EPHAD où elle ira vivre dès le mois de septembre . S’il y a le bleu profond de la mer, il y a aussi les bleus à l’âme, et le blues de l’enfance.

Chapitre après chapitre, le roman fait alterner les points de vue de Lucile et de Salomé, non pas en une écriture en « je », mais en « elle », introduisant ainsi une distance entre le récit et le personnage. Se découvrent alors les blessures de tous les personnages. Salomé qui a du mal à accepter son corps de jeune fille un peu boulotte, ne mange plus rien, et est devenue anorexique, ce qu’elle cache à tout son entourage.  Lucile qui ne parvient pas à se remettre de la dernière soirée qu’elle a passée avec Isaac l’année précédente, de ses mots et de son attitude. On devine que si Colombe n’est pas là, c’est parce qu’il lui est arrivé quelque chose de grave, que l’on tait à tout le monde. Isaac n’est pas l’étudiant brillant que ses parents souhaitaient…  Tous ces non-dits émergent petit à petit dans la parole, révélant une autre image de chacun.

Ce roman psychologique, qui touche à l’intime des personnages présentés, montre une adolescence en crise profonde. Difficulté à accepter son corps, difficulté à accepter sa sexualité ou son asexualité, difficulté aussi à sortir de l’enfance, qu’on espérait éternelle.  Ce retour sur l’île, lieu clos symbolique où sont tous les souvenirs des étés, signe comme une rupture avec une époque insouciante, faite de retour du même année après année. Retour vers l’enfance à l’image des deux sœurs qui, se retrouvant, se blottissent, comme autrefois, dans le même lit. Mais la conscience de la fin fait prendre conscience du réel, de la vieillesse de la grand-mère, des relations familiales difficiles, de l’incapacité à agir afin d’empêcher la vente pour Lucile.

Cette chronique un peu douce mais surtout amère de ce dernier été est poignante. D’abord par les personnages, attachants, mais aussi par la bienveillance qui se dégage du récit qui, loin de les juger, tente de les faire comprendre, de faire éprouver, avec justesse, leurs émotions, leurs sentiments, leurs phobies, leurs angoisses. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, écrivait Rimbaud… loin de la jeunesse dépeinte ici qui souffre surtout des relations avec les parents, d’incompréhension, de non-dits, ou d’une pression exercée sur eux afin qu’ils fassent les bonnes études, soient conformes aux attentes étouffantes, toutes choses qui les conduisent à la révolte ou à l’anorexie. Combats perdus d’avance, à l’instar de la maison qu’on vend et des meubles qu’on disperse ?

Après la crise salutaire, après les retrouvailles de toute la famille, il faut accepter l’inévitable, la fin de l’enfance dans un dernier chapitre plus doux qu’amer qui se termine sur le sourire de Salomé, et sur ces mots, j’arrive, promesse d’un futur qui reste à écrire.

Un roman sensible sur l’adolescence, un roman qui sait jouer sur l’émotion, pour dépeindre un âge saisi entre la nostalgie du passé et de l’enfance désormais révolus, et le futur pas si désirable que cela. Un roman surtout qui dit aux jeunes lecteurs d’être eux-mêmes, de se chercher, de s’accepter, et de ne pas être ce que les autres veulent qu’ils soient.

Comment devenir un château-fort

Comment devenir un château-fort
Catherine Verlaguet
Rouergue – Doado – 2024

Hommes-femmes, mode d’emploi

Par Michel Driol

Parce que sa passion c’est la navigation, la mère du narrateur, Pierre, vient de partir travailler sur un bateau de croisière, laissant ses deux fils adolescents et son mari, qui ont choisi de déménager dans une autre maison. C’est le troisième trimestre. Pierre se retrouve dans un nouveau lycée. A l’occasion d’un exposé sur Oscar Wilde, il fait la connaissance d’Anna et de sa mère. Mais Pierre est timide, secret, complexé, et il refuse les avances d’Anna, qui trouve son frère ainé à son gout… A la maison, les règles changent, et le retour lors d’une escale de la mère permettra-t-il à Pierre d’y voir plus clair en lui et dans ses relations avec les autres ?

Trois hommes, dans une nouvelle situation, avec leurs silences. Surtout ceux du narrateur, qui n’arrive pas à communiquer ses sentiments, ceux du père, que sa femme a quitté. Seul le frère ainé semble être à l’aise avec le langage. Cette petite communauté tente d’établir de nouvelles règles, ou plutôt de s’affranchir des règles antérieures, du temps où la famille était unie. Avec une grande simplicité de moyens et de situations, le roman montre l’éveil de la sexualité et les peurs qu’elle occasionne chez un adolescent complexé, qui se retrouve seul. Petit à petit, il découvre ce qu’il veut vraiment, construit sa personnalité, la protégeant de l’extérieur par un pont-levis.

Ce roman très actuel pose des questions très contemporaines. Qu’est-ce qu’être un homme aujourd’hui et comment construire sa masculinité en échappant aux modèles offerts par le père et le frère ? Qu’est-ce que la sexualité des ados, sexualité déconnectée de l’amour, liée à un autre type de relations entre des garçons et des filles plus entreprenantes ? Qu’est-ce que l’amour, amour maternel en particulier, et en quoi peut-il aller à l’encontre des désirs d’une femme de vivre pleinement sa vie ?

Catherine Verlaguet propose ici une éducation sentimentale, avec un regard aigu et sans concession à l’égard de son personnage principal souvent attachant dans sa candeur, un regard qui sait être cru dans certaines scènes, sans jamais être grossier ou impudique,

La Chasse

La Chasse
Maureen Desmailles
Thierry Magnier  – Collection l’ardeur – 2023

Une éducation sentimentale

Par Michel Driol

Max a 17 ans. Garçon ? Fille ? La prouesse de ce roman est de ne jamais montrer son genre, on le nommera donc toujours Max dans cette chronique, jamais il ou elle. Invisible, discret, Max tombe amoureux d’Andrea, que Pierre convoite. Suite à des « embrouilles », Max ne peut partir en vacances avec sa bande habituelle d’ami.e.s, et doit rester seul à la maison, en Picardie, tandis que ses parents passent 15 jours à Paris avec son frère ainé à la recherche d’un studio pour ce dernier. C’est là que Max fait la connaissance d’Ellie et Cosme, la fille de ses voisins et son copain, couple ouvert, lumineux, solaire. Et max tombe amoureux et d’Ellie, et de Cosme, et entretient une relation avec chacun des deux.

Ce roman, dont la narration est prise en charge par Max, aborde de façon très contemporaine la question du désir, de l’amour, de la sexualité, du couple. Qu’on me permette ici d’en citer un passage central, qui en reflète bien la problématique : On ne pense jamais rencontrer un truc pareil. Personne n’est prêt quand ça arrive, surtout pas là d’où je viens, où le désir ne compte pas, c’est autre chose qui guide, un carcan, une série de conventions. Les gens vont par paire, homme/femme, ils se rencontrent au lycée, en boite, au boulot, ils se marient, les femmes accouchent et voilà. Tous ceux qui échappent à cette règle sont suspects. (page150). Ce que désire confusément Max, c’est échapper au couple prison, dans lequel l’un possède l’autre. Avec Ellie et Cosme, Max découvre un autre type de relations, fondé sur la liberté, fondé aussi sur la confiance et la parole. Comment acquérir ces codes amoureux différents de ceux que l’on connait ?

Le roman vaut par la peinture des milieux sociaux, cette ruralité picarde où la chasse et le tir à l’arc ont toute leur importance. Max chasse avec son père, participe aux banquets de chasseurs, marqués par une lourde et vulgaire grivoiserie. Son père, bien que prof de maths, n’est guère ouvert, en particulier lorsqu’il juge son fils ainé qui annonce qu’il est homosexuel, ou surveille les fréquentations féminines de Max. Ellie, Cosme et leurs ami.e.s semblent sortir d’un autre monde, un monde de liberté, de plaisirs, de désirs, de drogue aussi. Car l’autrice ne cache rien des excès de cette jeunesse. Un soir, Max boit trop. Elle ne cache rien non plus de l’importance des réseaux sociaux, de la communication par messagerie. En ce sens, c’est bien aussi un portrait de la jeunesse contemporaine, qui cherche peut-être à inventer à son tour l’amour loin des conventions des générations précédentes. Max, Ellie et Cosme dessinent la figure d’un triangle amoureux bien loin du classique trio bourgeois du théâtre de boulevard. Tout en cherchant leur bonheur et celui de l’autre, ils iront jusqu’à des ruptures, des déchirures qui feront grandir Max.

Certaines scènes explicites, dit la 4ème de couv’, peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes. Ou pas. Mais qu’est-ce que cela fait au lecteur, à la lectrice, quand on ignore le genre du personnage principal, et qu’on lit des scènes qui relatent des rapports sexuels ? Il y a là aussi matière à trouble, à frustration peut-être, à ouverture et à questionnement sans doute. C’est une manière de conduire le lecteur à s’interroger  sur les identités de genre, sur les liens entre la sexualité masculine et la sexualité féminine, sur le désir.  Au-delà du tour de force lié au respect d’une consigne d’écriture perécienne, la contrainte liée au genre de Max (Maxime ? Maxine ?) constitue sans doute une première dans l’histoire littéraire. Combien de lecteurs verront dans Max un garçon ? une fille ?

Un roman qui nous sort de notre confort habituel de lecture, nous montre une entrée  dans l’âge adulte, dans une sexualité sans tabous, à la fois épanouissante et source de souffrance, bien loin des codes du porno, dans une sexualité qui vise à redéfinir les relations entre les femmes et les hommes pour les transformer. On est bien sérieux, quand on a 17 ans…

On ne sépare pas les morts d’amour

On ne sépare pas les morts d’amour
Muriel Zürker
Didier Jeunesse2023

Roméo des Gâtines et Juliette des Vallons

Par Michel Driol

Lorsqu’Erynn rencontre Bakari, c’est une sorte de coup de foudre immédiat. Mais ils appartiennent à deux cités de banlieues ennemies pour des raisons oubliées. Mais cet amour n’est pas du gout du caïd de la cité d’Erynn, Diango, qui prépare un affrontement entre les bandes rivales, au cours duquel Bakari et Erynn s’entretuent… Et les voilà devant le tribunal du jugement dernier : iront-ils en enfer ou au paradis ?

Le roman commence dans l’autre monde. On suit en effet le procès conduit par les écoutanges  chargés de juger les deux amoureux. Pour cela, on revit certains épisodes marquants, tantôt du point de vue de Bakari, tantôt de celui d’Erynn. Ce dispositif, qui conjugue retours en arrière et points de vue, place les lecteurs en position de comprendre et de juger les deux ados en leur donnant toutes les informations sur les arrières plans sociaux et psychologiques qui accompagnent le développement de leur histoire. Le tragique de l’engrenage dans lequel ils sont engagés est quelque peu contrebalancé par l’humour et l’inventivité des scènes de procès.

A l’heure où il est de bon ton de parler d’ensauvagement, l’autrice donne une autre vision des « quartiers sensibles ». D’abord à travers son personnage de Bakari, dont le père est décédé, dont la mère enchaine deux boulots pour élever seule ses enfants. Bakari y apparait comme le grand frère modèle, qui prend soin de ses cadets et rêve de sortir toute sa famille de cette cité. Quant à Erynn, elle vit seule avec sa jeune mère célibataire, âgée d’une trentaine d’années, qui pense avant tout à s’amuser et la délaisse. L’autrice cherche à montrer ce qu’il y a d’humain dans ces personnages, dans leurs sentiments, dans leurs aspirations, dans leur façon de vivre dignement malgré les difficultés qu’ils rencontrent. Et parmi ces difficultés, elle ne cache pas les trafics – de drogue en particulier – qui gangrènent les cités, ou la volonté de vivre et de régler ses problèmes sans faire intervenir la police. Ce mal qui ronge la cité est incarné en particulier par le personnage de Diango, un macho, sadique en qui on cherche, sans la trouver, une once d’humanité. Le quatrième personnage important de ce roman, Délicia, la « best-friend » d’Erynn, amoureuse de Daingo, est montrée partagée entre cet amour et son amitié pour Erynn. Elle incarne un personnage ordinaire, face aux deux purs que sont Erynn et Bakari, mue plus par ses pulsions que par sa réflexion ou sa volonté. Cette vision des quartiers sensibles, on le voit, n’a rien d’angélique ou de lénifiant. Mais elle est pleine d’empathie et d’humanité, appelant à comprendre avant de porter des jugements péremptoires. Car telle est bien la ligne suivie par ce roman finalement plus optimiste que cette chronique ne semble le laisser paraitre, même si les personnages ne voient pas d’avenir dans leur quarter.

Un roman écrit dans une langue qui donne corps à ses personnages à travers en particulier des expressions pittoresques de banlieue – recueillies par l’autrice dans ses rencontres avec des ados, un roman qui montre toute la pudeur et la délicatesse des adolescents au moment de rencontrer un amour qui va les bouleverser – c’est à dire au sens propre les amener à changer leurs visions du monde plus ou moins égocentrées pour les conduire à s’ouvrir à l’autre, à penser à l’autre -, un roman qui propose une belle façon de revisiter le mythe shakespearien de Roméo et Juliette, l’amour confronté aux clans, un roman enfin qui, dès l’illustration de couverture, est un beau clin d’œil à West Side Story !