Norbert

Norbert
Marie Colot et Ariana Simoncini

Cot cot cot,  2024

Norbert : Un personnage en quête d’histoire

Par Lidia Filippini

Norbert est une toute petite idée, logée dans la tête de quelqu’un. Mais dans cette tête, il y a déjà beaucoup d’autres toutes petites idées en souffrance. De temps en temps, certaines s’étoffent. Elles se transforment en princesses, en fées ou en d’autres personnages incroyables et quittent soudain les lieux pour devenir des histoires. Norbert, lui, semble coincé dans sa minuscule prison pleine à craquer. Il n’en peut plus, Norbert, il crie, il hurle : « Hey, tête de linotte ! Tête de nœud ! Sors-moi de là ! » Mais rien n’y fait. Celui qui lui a donné un prénom semble l’avoir tout à fait oublié. Jusqu’à ce qu’un jour, une étincelle apparaisse…
Simple et facile à lire, cet album n’en aborde pas moins un sujet complexe : celui de la création littéraire. Le lecteur voit le personnage se construire peu à peu au gré de l’imagination de son auteur. Au départ, Norbert ressemble à un arbre tout noir avec quelques branches et quelques racines. Puis, quand l’écrivain repense à lui, il se retrouve pourvu de bras, de jambes et de dents. L’auteur hésite. Il fait de lui un prince, puis changeant d’avis, lui donne des ailes et une crête. Norbert est fou de rage. Il ne sera ni le héros d’un conte, ni une vulgaire poulette ! L’écrivain semble alors se désintéresser de lui.  Mais, tout à coup, alors qu’il n’y croyait plus, Norbert, éjecté hors de la tête, se retrouve sur une page blanche. Le personnage est libre, comme dans la pièce de Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur. Il va pouvoir, aidé de son auteur, écrire sa propre histoire : celle que nous venons de lire !
Marie Colot propose ici un album original et riche dans lequel le lecteur, à chaque âge, trouvera de quoi s’interroger, ou juste s’étonner. Le choix d’un petit format carré, facile à manier est judicieux. Le lecteur a l’impression de se plonger dans un cahier intime et précieux. Les très belles illustrations d’Ariana Simoncini, dont Norbert est le premier album pour la jeunesse, ont su se saisir du texte. Les couleurs pastel sont propices à une douce rêverie. Les personnages, tous plus loufoques les uns que les autres, évoluent dans un univers onirique peuplé de références au voyage, mais aussi à la lecture. C’est un album réussi qui donne envie d’écrire à son tour des histoires !

Feuilleter sur le site de l’éditeur

Baptême de l’air

Baptême de l’air
Bruno Gibert
Acte-Sud Junior, 2016

Dans les nuages

Par François Quet

Après un petit texte d’introduction, l’avion décolle.

Cet album grand format (24×35) montre, dans une série de doubles pages, des images très géométrisées de la terre vue du ciel. Les larges à-plats de couleur vive compensent l’étrangeté du point de vue par leur lisibilité : marquage au sol d’un terrain de foot ou de tennis, quadrillage d’un quartier pavillonnaire, formes bizarres du terrain de golf ou de la fête foraine, arabesques des pistes de l’aéroport international.  Les variations d’échelle ajoutent à la complexité de la représentation : les avions, comme les voitures à pédale, ou les serviettes de plage, les baigneurs ou les manèges deviennent des silhouettes écrasées au sol, planes et énigmatiques.

Au-dessous de chaque image, une phrase invite de surcroît à regarder plus en détail l’illustration : « Oh un accident !», « Oh un joueur s’est blessé ! », et à repérer un élément : un chat, un arbre, un vélo.

C’est un album qui force l’attention du lecteur et le fait réfléchir et mais c’est aussi un bel ouvrage dont la simplicité favorise les interactions entre le jeune lecteur et l’adulte qui l’accompagne. Reconnaître le familier sous un autre angle que celui dont on a l’habitude, placer des mots sur les choses (des bûcherons, des éoliennes, une ligne à haute-tension, etc.) devient une entreprise ludique, qui peut se jouer à plusieurs.

 

Une Chanson pour l’oiseau

Une Chanson pour l’oiseau
Margaret Wise Brown, Remy Charlip

Didier Jeunesse, 2013

Requiem pour un oiseau

par François Quet

1396829-gfUn oiseau est mort. Des enfants organisent un rituel pour l’ensevelir. On pense  à l’album d’Elzbieta, Petit lapin Hoplà (Pastel 2001) : « Qui chantera pour Petit Lapin Hoplà ? C’est moi dit l’alouette, du haut des nuages, tout au long du chemin, je chanterai pour Petit Lapin Hoplà ». Mais ce n’est pas la forme de la comptine qui est adoptée par les auteurs d’Une chanson pour l’oiseau. Le chant funèbre est un élément du récit parmi d’autres. On suit les enfants, de la découverte de l’oiseau jusqu’au réconfort que procure l’oubli. Etape après étape, on les voit célébrer l’oiseau « comme font les adultes quand quelqu’un meurt ». La chanson intervient à un moment du rituel au même titre que l’ensevelissement, le lit de fougères et de fleurs, la pierre qui portera une inscription, les violettes et les géraniums qu’on apportera pour garder en mémoire aussi longtemps que l’on peut le souvenir d’une vie éteinte.

Le chant, le requiem, tient plutôt à autre chose : le texte ne dramatise rien (« ils étaient contents de l’avoir trouvé, puisqu’ils pouvaient maintenant lui creuser une tombe »), il énonce ce que font les enfants, avec respect : « Ils l’ont emporté dans le bois/ Et ils ont creusé un trou dans la terre » et la succession des actions, sans aucun pathos, se déploie en un lent cérémonial, impression renforcée par l’alternance très régulière des doubles pages tantôt consacrées au texte et tantôt à l’illustration. Le format à l’italienne favorise lui aussi la dimension chorale du livre : un oiseau, un groupe d’enfant où nul ne se différencie, un environnement végétal, d’autres oiseaux dans le ciel, une histoire simple et naturelle qui par la discrétion même avec laquelle elle est traitée ajoute à la sérénité une forme de majesté rassurante.

Il s’agit, nous dit l’éditeur, d’un album publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1958. Bravo à Loïc Boyer (et à la collection Cligne Cligne) pour avoir donné un peu d’éternité à ce petit livre si juste et si beau.

Rouge et vert

 Rouge et vert
Gabriel Gay
L’Ecole des loisirs,   2013

Pour un peu de fantastique urbain

Par Michel Driol

 rougeetvertVert et rouge, ce sont les petits bonshommes des feux qui règlent la circulation. L’un autorise, l’autre interdit, chacun son tour. Mais quand ils se disputent, les conséquences sont dramatiques. Vert est expulsé, et un gigantesque embouteillage paralyse la ville. Vert, qui devient l’ami d’un pigeon, est victime d’un accident de la route. Heureusement, le pigeon va chercher Rouge, et tout rentre dans l’ordre…
Deux petits personnages bien sympathiques qui découvrent leur complémentarité, et illustrent de façon amusante le couple dialectique liberté / interdiction sans laquelle la vie ne serait que chaos.
Les illustrations très expressionnistes, évoquent d’abord un univers urbain nocturne, sombre, marqué par des taches de lumière, et surchargé vers la fin des bruits de la ville. Le retour à l’ordre est marqué par des teintes plus chaudes et le lever du jour.

100 princesses à créer

100 princesses à créer
Ia Chhuy-Ing, Raphaël Hadid
Père Castor – Flammarion, 2012

100% princesses

Par Caroline Scandale

On le sait, les petites filles aiment le rose, s’habillent en princesses et rêvent du prince charmant. Elles sont plus sages que les garçons, aiment les jeux calmes d’intérieur, notamment dessiner des princesses… L’idée est un peu usée mais toujours vivace. La nature imposerait des rôles et des comportements aux hommes et aux femmes. Selon ce principe ancestral et rassurant, de nombreux parents achèteront 100 princesses à créer à leurs petites lolitas…

Père Castor-Flammarion propose ici une collection intitulée « 100… à créer ». Déclinée pour l’instant en quatre thématiques trés appréciées des jeunes lecteurs: les chevaliers, les dinosaures, les chevaux et donc les princesses. Le principe est d’apprendre à dessiner des modèles de personnages ou d’animaux, en plusieurs étapes, puis de les créer à partir de pochoirs et d’autocollants. Au verso de chaque page, des anecdotes historiques garantissent un minimum syndical de culture. Ces ouvrages jouent sur des codes couleurs stéréotypés pour les deux thèmes sexués que sont les princesses et les chevaliers. Les dinosaures et les chevaux, qui le sont moins, bénéficient de coloris plus neutres comme le vert et le orange.

Ce que l’on peut reprocher principalement à ce livre d’activités est qu’il ne surprend pas. On ne croise pas des princesses rebelles, décalées ou loufoques mais uniquement des modèles de princesses délicates et charmantes, que l’on devine sensibles et secrètement amoureuses. De ce fait il véhicule la panoplie complète des stéréotypes de sexes. Étape par étape la jeune lectrice découvre un seul modèle féminin abrutissant, la princesse, ici, lisse à souhait. Au lieu de prendre à contre pieds ce stéréotype, 100 princesses à créer en fait une icône superficielle et donc soumise. Ainsi, les petites filles intègrent une image peu valorisée d’elles-mêmes. Dommage…

Anthony Browne, déclinaisons du jeu des formes

Anthony Browne, déclinaisons du jeu des formes
Anthony Browne et Joe  Browne
Kaléidoscope, 2011

Browne, par lui-même ?

par Anne-Marie Mercier

Le titre un peu énigmatique est éclairé par un sous-titre en page de couverture, sans doute ironique, mais assez juste : « mon métier, mon œuvre, et moi ». Il s’agit en effet d’une biographie de Browne issue d’entretiens avec son fils. Elle est présentée sous forme autobiographique, écrite à la première personne et c’est peut-être le point qui pose problème. En effet, on peine à trouver un véritable ton à ce texte, souvent écrit de manière factuelle, parfois lourde. Effet de diction, de transcription ou de traduction ?

 

La partie biographique surprendra ceux qui lui imaginent une enfance difficile à cause de la présence fréquente dans son œuvre d’enfants et de familles malheureux. Il affirme qu’il ne faut notamment pas interpréter les images négatives de pères de ses albums comme des reflets de son propre père et nous présente une image idyllique de sa famille, trop idyllique ?

 

La partie consacrée à son œuvre est beaucoup plus intéressante et éclairante. Il indique sa formation, son goût pour le surréalisme (Magritte) et pour Francis Bacon, ses hésitations entre graphisme et art, ses premiers travaux. Bien souvent, il montre que certaines images ont été réalisées sans intention consciente de signification, davantage pour leur force intrinsèque. Ainsi, la part symbolique et métaphorique de son travail s’est construite peu à peu et cela fait que certaines interprétations proposées par des enfants lui semblent aussi vraies que celles qu’il peut donner, qu’il n’a construites qu’après coup. La réception par les enfants de ces albums est extrêmement intéressante, comme ce qu’il décrit du processus de création de ses principaux ouvrages. Un chapitre consacré à son travail d’illustration de textes d’autres auteurs (Carroll, McEwan…) est lui aussi très éclairant. Enfin c’est un ouvrage qui n’apportera peut-être que peu d’éléments nouveaux à ceux qui connaissent bien Anthony Browne, mais qui propose un parcours complet accompagné de nombreuses images fort bien choisies et reproduites et qui donne des informations intéressantes sur la genèse et la réception de ses œuvres. Pour les autres, ce sera une belle découverte et une clé pour entrer dans l’univers complexe de cet auteur.

 

Clovis, le roi du tournevis

Clovis, le roi du tournevis
Florence Balligand
Sandrine Lhomme
Balivernes, 2010

De la magie du tournevis

par Dominique Perrin

Cet album a manifestement un beau projet : écrire le conte, la fable, le poème sensible qui rendraient compte des charmes du bricolage, reconnaître en cette pratique un objet de narration et de rêveries, au même titre que tant d’autres activités fondamentales de l’humanité. Au-delà du dynamisme en soi attachant de cette intention, le pari ne semble pas gagné ici. L’album hésite, à la fois sans réussir et sans trancher, entre une logique de jeu sur les mots et les choses aux moyens un peu courts, et une logique narrative centrée sur la geste d’un jeune bricoleur, devenu maître en tournevis, captivant les enfants des villages, et finalement, sans trouver de consistance autre que bien convenue, campé en chef de famille. Projet à suivre, donc : la présente réalisation ne parvient pas à convaincre que le détachement du nom du protagoniste (« Et comme il a bon cœur, Clovis,… », « ça lui a donné des ailes, à Clovis,… ») soit un moyen stylistique apte à rendre compte des charmes singuliers du bricolage ; de même le lecteur mis en appétit se réjouirait peut-être de voir radicaliser la recherche plastique en matière de télescopages de matériaux, d’images, et de mots.

Animalamour

Animalamour
Corinne Lovera Vitali et Mathis
Thierry Magnier 2010

Animots-valises pour esacapades linguistiques

par Dominique Perrin

Ce petit album offre des retrouvailles avec l’étrange plaisir des mots-valises. Tous sont dédiés à des couples d’animaux : « Baleinorme et taupetite » pour commencer, puis – prélevés par nous au fil d’une sorte de progression en complexité grammaticale –, « Hyennemmie et Ratonlaveureusement » et « Marmôttoidlà et Castordonner tout le terrier », et pour finir « Ouistitimoré plus froid aux yeux quand Eléphantôme revient ». On voit (contrairement à ce que suggère la présentation éditoriale en ligne, mais ce n’est justement pas un défaut), que ce n’est pas prioritairement de connaissance éthologique qu’il s’agit : l’art de l’enchâssement verbal est exploré dans sa logique propre, pour la plaisante confusion mentale du lecteur. Si le dessin de Mathis se caractérise par une bonhomie illustrative au premier abord limpide, on n’accède pas aisément, semble-t-il, au fin mot des élaborations phono-morphologiques de Corinne Lovera Vitali : c’est un juste équilibre entre texte et image pour le lecteur, qui se voit en tous cas mis en situation de réveiller ses méninges à chaque nouvelle double-page.

Dicotoro 2. Le nouveau dictionnaire des contraires.

Dicotoro 2. Le nouveau dictionnaire des contraires.
Rue du monde, 2010
Sebastián García Schnetzer

Premières comparaisons trilingues

par Dominique Perrin 

Dicotoro est un « premier dictionnaire » trilingue, dont voici le tome 2. Pour un  même signifié représenté en langue « taureau », c’est-à-dire de façon figurative, il donne l’occasion de constater tantôt la diversité, tantôt la similarité des signifiants et de leurs racines en français, anglais et espagnol. Les quelques cas de parfaite similarité écrite entre les trois langues fonctionnent comme de beaux exemples de la diversité irréductible des prononciations.

Mais le caractère attractif de ce dico-album réside dans le caractère humoristique de son système. C’est en effet plus précisément d’un dictionnaire des contraires qu’il s’agit, notion dont la définition problématique ne peut manquer de donner à songer au jeune lecteur et à ses accompagnateurs. La première difficulté apparaît au plan figuratif : les adjectifs « horizontal », « libre », « silencieux », « éveillé », « inconnu » sont tous associés au même taureau canonique vu de profil. La seconde difficulté se surimpose à la première : « solide », « discret », « terrestre », « réaliste » (l’ouvrage présentant principalement des adjectifs) sont opposés à « fondu » – et non « mou » ou « liquide » –, « voyant » – et non «indiscret » –, « aquatique » – et non « céleste » –, et enfin « surréaliste ». Une réflexion grammaticale, morphologique et sémantique est donc irrésistiblement mise en route, selon des possibilités de lecture ludique démultipliées ici par rapport à des imagiers au fonctionnement plus simple. Enfin notons que l’ordre d’apparition des langues n’est pas constant : il faut quelques instants au lecteur francophone pour admettre que le mot « papa » inscrit en haut à gauche d’un dessin de bateau mérite bien cette place, pourvu qu’on repère son opposition avec le terme « proa », et qu’on admette ainsi son intégration aux paradigmes de l’espagnol et du vocabulaire maritime.

    Pourquoi le français, l’anglais et l’espagnol, pourquoi, en matière de figuration, le « taureau » ? Sans doute parce qu’il faut bien choisir, et tenir compte des options actuelles dominantes de l’école et de la société françaises ; et, pour ce qui est du « taureau », sans doute parce que le projet général, qui rappelle – loin des figures imposées de la corrida –, la richesse de la symbolique animale, est de fait tourné vers la culture hispanique.

Oh corbeau

Oh corbeau
Marcus Malte, Rémi Saillard
Syros, 2010

par Frédérique Mattès

Aveuglé par son amour pour la belle Paloma (cantatrice célèbre et adulée) dont il ne recueille pas la plus petite attention du fait de son incapacité à émettre le moindre son harmonieux, Jo le corbeau va se séparer de ses ailes (symbole de liberté) pour acquérir une voix en or… Un très grand album qui met en valeur les illustrations expressives et sensibles de Rémi Saillard, lesquelles côtoient avec harmonie les textes poétiques de Marcus Malte. La mise en page du texte est travaillée  et les illustrations pleine page vous entraînent dans le sillage de Jo. L’objet livre est beau, le propos intéressant (dans la vie, il faut faire des choix), l’écriture est parfois dérangeante car elle alterne envolées lyriques et passages réalistes.