Mon papy perce-neige
Betina Birkjær & Anne Margrethe Kjærgaard
Didier Jeunesse 2021
Quand les mots s’en vont…
Par Michel Driol
Bout-de-Chou va souvent voir son papy Kay et sa mamie Gerda. Le premier cultive plus d’une centaine de fleurs dans sa véranda, dont il connait les noms latins. La seconde fait des mots croisés. L’un des passe-temps favori, ce sont les puzzles. Mais un jour Kay ne retrouve plus certains mots, que Bout-de-Chou ramasse et enferme précieusement dans une boite. Au fil des saisons, Kay perd de plus en plus de mots, ne sait plus où il est, et quitte la maison en chaussons par une nuit d’hiver. Gerda prend alors conscience de ce qui se passe, et Bout-de-Chou a l’idée d’une fête pour Kay.
Le sujet, on le voit, est sérieux, mais il est ici traité avec poésie, à hauteur d’enfant. En effet, c’est la fillette la narratrice, que la dernière phrase, au présent, montre comme en filigrane à l’âge adulte, gardant encore vivace le souvenir de son grand-père amoureux des fleurs et des mots. L’album aborde avec tendresse les relations entre grands-parents et petite fille, au travers des rites d’un cocon familial chaud et plein d’amour, même lorsque la maladie se déclare. Maladie non nommée, bien sûr, mais évoquée à travers ses symptômes : la perte de mémoire, la perte de repères, et la réaction des autres, comme la volonté de ne rien voir de la grand-mère. Les illustrations accompagnent cette dégradation du grand-père, la suggérant au travers des mots écrits sur le sol, puis de couleurs qui se refroidissent avec l’arrivée de l’hiver et la progression de la maladie, mais aussi au travers des fleurs, luxuriantes dans les premières pages, et qui fanent de plus en plus. La fin n’est pas pessimiste : les couleurs reviennent lorsque la grand-mère prend conscience de la situation, et métaphoriquement décide de s’occuper des fleurs, tandis que le grand père retombe en enfance, symbolisée par le lapin de ses souvenirs que Bout-de-Chou lui offre et qu’il caresse. Les illustrations, particulièrement travaillées, offrent à voir et comprendre avec sensibilité ce que le texte évoque.
L’album joue donc sur une émotion retenue, perceptible surtout dans la dernière phrase, pour évoquer le drame que constitue pour l’individu et ses proches la maladie d’Alzheimer – une partie du prix de vente est d’ailleurs renversée à l’Association France Alzheimer. Il ne se veut ni misérabiliste, ni tragique, occulte bien sûr certains aspects, mais choisit de mettre l’accent sur les relations entre les personnages et les réactions pleines d’amour de l’enfant face à ce qui le dépasse et qu’il ne comprend pas.