Le Soleil se lèvera demain

Le Soleil se lèvera demain
Aurélie Massé

Editions Slalom, 2024

Cinq voix, un espoir

Par Pauline Barge

Alexis, Nadia, Théodore, Camille et Jules ne se connaissent pas. Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant. Pourtant, ils se retrouvent là, tous les cinq, dans ce lieu désert et effrayant. Alors ils se posent des questions. Que font-ils là, dans cet endroit à l’allure d’un vieux réseau de métro ? Pourquoi sont-ils ensemble ? Mais surtout : qui a bien pu les réunir ? D’abord méfiants les uns envers les autres, ils finissent par se parler. Petit à petit, chacun raconte des morceaux de sa vie. Ils expriment leurs peines, leur désespoir, leur mal-être. Dans ces couloirs inhospitaliers, l’amitié s’installe se répand. Ils s’aident, s’écoutent, se pardonnent. Ensemble, ils affrontent ces douleurs qui les rongent tous différemment.

Dans cette sorte de huis clos en trois parties, Aurélie Massé explore l’adolescence et toutes ses difficultés. Elle livre une histoire bouleversante, qui touche au plus profond de soi. On s’attache aux personnages, tout aussi émouvants les uns que les autres par leurs caractères bien à eux. La narratrice ne mâche pas ses mots. Elle est percutante et franche, ce qui prend au cœur. Si on se révolte avec ces adolescents, on veut aussi les rassurer, être avec eux dans cet endroit repoussant, leur murmurer des « je suis là ». L’autrice a réussi à faire passer un message puissant, avec une plume à la fois pleine de violence et de poésie.

Les thèmes abordés sont lourds. Pourtant, il faut parler de tous ces sujets que sont le harcèlement, l’homophobie, les troubles du comportement alimentaire, les violences sexuelles… Aurélie Massé arrive à trouver les mots justes pour parler à ses lecteurs. Son récit est un roman nécessaire, qui ouvre au dialogue et à la prévention. Un roman que les adolescents peuvent découvrir, pour se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls. Pour qu’enfin ils puissent lire ces mots si justes : « Ce moment que tu traverses n’est pas l’éternité. Même si ta nuit te semble interminable, le soleil se lèvera demain. »

 

A & B, Bons Amis

A & B, Bons Amis
Sara Donati
Rouergue 2024

La vie, simplement

Par Michel Driol

Ils n’ont de nom que A et B… soit une grande oie blanche et un petit hérisson, et pourtant, ils sont amis, jouent, se disputent, se réconcilient et surtout prennent leur petit déjeuner ensemble avant de vaquer, chacun, à leurs activités. Comme un cadeau surprise, l’oie découvre l’écharpe jaune qui appartenait à la vieille loutre, et le hérisson une boite de mikados. Passent les saisons… reste l’amitié…

Cet album avec ses personnages atypiques et sympathiques évoque, à coup sûr, l’univers d’Arnold Lobel, un univers fait à la fois de légèreté, de fantaisie, et de la profondeur des pensées des personnages, qui savent aborder des propos sérieux sans jamais que cela ne soit pesant. Graphiquement, les pages font alterner des  pages colorées – les deux amis au milieu d’une nature que l’on voit ainsi passer de l’automne à l’hiver, puis au printemps précoce. – et des strips en noir et blanc, qui mettent l’accent sur les objets qui vont d’un animal à l’autre. Ainsi l’écharpe jaune, qui passe de la vieille loutre aux fourmis, puis à des oiseaux indéterminés avant de finir chez l’oie. Ainsi la boite de mikados, frêle esquif sur lequel l’oie sauve un jeune ragondin, boite que les castors utilisent ensuite avant qu’elle ne se retrouve devant le hérisson. De la sorte, au-delà des deux amis, c’est la vie de la forêt et de ses animaux, ses mystères, ses solidarités, qui est évoquée, vie liée au hasard des rencontres.
Les dialogues – autour de la pluie et du beau temps – des deux petits déjeuners racontés sont pleins d’une poésie du quotidien, entre un optimiste et un pessimiste – rôles qui s’inversent d’un petit déjeuner à l’autre. Des mots très simples pour dire deux états d’esprit face au monde, deux sentiments, deux émotions contradictoires. Certains jours sont-ils de pures merveilles ? Se sent-on, certains jours, comme une vieille chaussette ? Le texte ne tranche pas, qui évoque les hauts et les bas de la vie, roue de la fortune, jeu de balançoire… avant de terminer par un éclat de rire vantant le prix et la force de l’amitié.

Cet album a un côté minimaliste dans le texte et les illustrations, minimaliste au sens où il laisse le lecteur combler les trous du récit, et où il parvient à suggérer avec légèreté des émotions, des états d’esprits, des moments dont il faut profiter. C’est, en tous cas, un bel hommage à l’amitié !

Je recommencerai demain

Je recommencerai demain
Clémence G.
A pas de loups, juin 2024

Comment la persévérance et l’amitié peuvent-elles nous aider à vaincre nos peurs ?

Par Edith Pompidou-Séjournée

Encore une histoire d’ours qui ne veut pas hiberner et qui s’appelle Petit’O… Décidément ce personnage phare de la littérature enfantine continue à séduire les auteurs pour mieux captiver les petits. Mais la ressemblance avec l’album Ö de Guridi s’arrête là. En effet, les illustrations de « Je recommencerai demain » sont beaucoup plus enfantines et colorées. Il pourrait presque nous faire penser à « Petit Ours Brun ». Petit’O a peur du noir et chaque jour du lundi au samedi il cherche le moyen de décrocher une étoile pour éclairer sa tanière mais en vain. Si chaque soir il échoue, son goût de l’effort fait écho au titre de l’album, il ne se décourage pas et imagine un nouveau stratagème pour le lendemain. Ses idées sont de plus en plus drôles et farfelues : après l’échelle trop courte, il essaie l’avion en papier pas assez puissant, puis des ballons gonflables, une pile de boîtes, un trampoline mais chaque fois il chute de plus en plus lourdement jusqu’à tomber d’un arbre en se faisant une belle bosse. Alors il décide d’abandonner.
Son amie la souris qui s’inquiète pour lui à chaque nouvelle tentative lui prépare alors une surprise en installant chez lui le dimanche des guirlandes scintillantes. Il trouve alors le sommeil accompagné de sa complice : tout est bien qui finit bien ! À la fin de l’album se trouve une collection des portraits de petit ours qui reprend toutes les émotions et sentiments vécus par celui-ci dans l’histoire. Chaque enfant pourra ainsi s’identifier à ce petit ours et retiendra sans doute que la vie n’est pas linéaire et que, malgré les difficultés, il faut persévérer tout en acceptant ce qu’on ressent et en le partageant avec ses amis

 

 

Rêveries

Rêveries
Sandrine Kao
Grasset jeunesse, 2024

 

Par Anne-Marie Mercier

Rêveries, comme Émerveillements et Après les vagues, de même format haut et étroit, sont autant d’albums ou leur auteure développe une philosophie heureuse. À mi-chemin entre la BD et l’album pour enfants, dans un style japonisant, elle égrène les situations simples dans lesquelles une émotion peut surgir et être partagée : l’écoute d’un son, la perception d’un souffle de vent, la contemplation de la lune ou de la mer…
Bien sûr il y a quelques moments sombres, des orages, une perte de confiance, mais toujours accompagnés de l’affirmation que l’on vient à bout de tout en étant à l’écoute de ses émotions.
Depuis longtemps, l’équipe de Lietje suit Sandrine Kao, d’abord comme illustratrice puis comme autreure-illustratrice (Le banc, Comme un oiseau dans les nuages). Elle mêle réflexion sociale et travail sur les émotions de manière délicate, avec des images inspirées par l’art oriental : ses petits personnages très stylisés (des mini pandas ?) traversent de charmants paysages.
On peut le découvrir sur le site de l’auteure.

Comme un oiseau dans les nuages

Petits poèmes pour toi et moi

Petits poèmes pour toi et moi
Milja Praagman – Traduction d’Emmanuelle Tardif
Gallimard Jeunesse 2024

Ce que lie la poésie

Par Michel Driol

Une vingtaine de textes, superbement traduits du néerlandais par Emmanuelle Tardif, composent ce recueil de petits poèmes, petits par la taille et non par les thèmes abordés.

Une fois n’est pas coutume, on regardera d’abord les illustrations, animalières uniquement. Une famille de léopards, allongés, un petit manchot couché sur le ventre d’un parent, deux coccinelles qui se donnent la main, l’une à tête rouge, l’autre à tête noire, des ours blancs qui se bagarrent ou un éléphant tentant d’entrer dans un ascenseur.  Des animaux qui, pour la plupart, vont par deux, figures des parents et des enfants, mais aussi figure d’égalité, de parité. Des animaux qui relèvent de la mer ou de la terre, des insectes ou des mammifères, parfois dangereux, parfois inoffensifs, disant la tendresse, l’affection, le bonheur , la perplexité parfois, ou la tristesse. Ces illustrations dessinent ainsi tout un paysage mental, un univers sensible qui vient préparer la lecture des textes avec lesquelles elles résonnent.

Des poèmes qui,  pour l’essentiel, font une large part au « je », un « je »  moins lyrique qu’acteur pris dans des situations du quotidien. Un « je » enfantin, inséré dans une famille, avec ses parents, ses grands-parents, mais aussi ses amis, un « je » qui grandit, qui s’ouvre au monde, qui s’interroge sur ce qui l’entoure. Il est question d’amour, de mort, de chagrin, d’espoir, des émotions qui font le quotidien d’un enfant aimé. Il est question de ce qui le lie aux autres, sous différentes formes, amour, amitié, fraternité, identité, confiance, de ce dont il a hérité de ses ancêtres, de ses parents. Il y est aussi question d’ouverture à l’autre, inconnu, venu d’au-delà des mers, qu’on refoule, alors qu’on aimerait jouer avec lui, ou de ces habitants de la ville qu’on ne salue pas comme on saluait dans son village. Il y est enfin question de la vieillesse et de la mort, de la perte, du chagrin qui peut faire avancer ou reculer. Ce sont ainsi différentes figures du rapport à l’autre et à soi-même qui sont questionnées dans une langue d’une grande simplicité apparente, mais qui sait varier les figures et les genres. Recette de cuisine pleine d’humour pour la bagarre, consultation médicale pour l’accueil du migrant, récit pour le voisin acariâtre, berceuse pour finir… Selon les poèmes, la traduction joue avec quelques rimes, parfois des assonances, elle respecte probablement les métaphores, les comparaisons, les reprises dans une langue qui sonne juste sans aucune mièvrerie.

Des petits instants de vie, des sensations, des émotions, des questions parcourent ces Petits poèmes pour toi et moi et nous invitent à voir ce qui nous relie aux autres sans pour autant nous aliéner et perdre notre identité. Un recueil plein de tendresse, de douceur, d’humour et de poésie.

Akata Witch

Akata Witch
Nnedi Okorafor
Traduit (anglais, Nigéria) par Anne Cohen Beucher
L’école des loisirs (medium +), 2021

Harry Potter Nigériane

Par Anne-Marie Mercier

Est-ce une traduction d’un ouvrage venu du Nigeria, comme l’indique la langue traduite ? Ou bien un ouvrage venu des États-Unis, écrit par une auteure née en Amérique du Nord mais de parents nigérians (ethnie Ibo), qui y a été élevée, y a fait ses études, jusqu’au doctorat, et y enseigne l’écriture créative à l’Université ? La deuxième réponse semble la plus pertinente, mais il est vrai que l’originalité de ce roman lui donne une touche particulière qui fait que ce n’est pas un ouvrage américain de plus.
L’histoire se déroule en Afrique, au Nigeria, elle est tissée avec les traditions, les langues (ibo, nsibidi…) et les mythes africains, mais certains des jeunes héros sont, comme l’auteure, à cheval entre les deux cultures, entre le village et Chicago. Le personnage principal, Sunny, est une Ibo albinos. Maltraitée au collège, peu considérée par ses frères, terrorisée par son père, elle ne peut pas s’épanouir et révéler ses talents.
Comme dans beaucoup de romans pour la jeunesse, le personnage déprécié sera magnifié. À l’exemple de Harry Potter (mais ici c’est une fille, et une fille noire et albinos), elle découvre son appartenance à un groupe doté de pouvoirs, les « léopards », qui se distingue de l’humanité ordinaire (les « agneaux »). Elle accède à leur monde, un monde à part, inséré dans le monde réel mais invisible aux agneaux (comme dans le livre de JK Rowling) et doté des ses propres règles, de sa monnaie, de son économie et de son école de sorciers que Sunny intègre en retard par rapport à ses camarades nés léopards. Elle fait un apprentissage difficile, tout en continuant en apparence sa vie normale, initiée par un groupe d’amis, puis luttant avec eux contre les forces du mal.
De nombreuses trouvailles, une bibliothèque fantastique, un bus fonctionnant au carburant de la magie, des personnages originaux et attachants, des professeurs un peu débordés, des traits d’humour, une belle réflexion sur l’amitié, une superbe description d’une partie de foot (où Sunny arrive à s’intégrer bien que fille et y brille), une quête des origines (d’où lui vient son pouvoir?), des passages terrifiants sur fond d’enlèvements et de meurtres rituels d’enfants (d’où la catégorie Médium +),… et une plongée dans les cultures d’Afrique, tout cela fait de ce roman une merveilleuse expérience d’étrangeté.
Nnedi Okorafor a reçu de nombreux prix pour ses ouvrages : prix Hugo, prix imaginales, prix des libraires du Québec, prix Lodestar du meilleur livre pour jeunes adultes (Lodestar Award for Best Young Adult Book) … Elle est une auteure reconnue de science-fiction qui intègre dans ses histoire une réflexion sur les questions de genre et de race.
voir son site : https://nnedi.com/books/

 

Au bout du monde

Au bout du monde
Anna Desnitskaya
La Partie 2023

L’ami(e) trouvé(e)

Par Michel Driol

D’un côté de l’album – et de l’Océan – il y Vera, qui habite au Kamtchatka avec sa mère et sa grand-mère, et dont on partage la solitude et le quotidien fait de gâteaux au fromage blanc, d’un livre préféré, Harry Potter, et d’un chien qui rapporte sa balle de tennis. De l’autre côté de l’album – et de l’Océan – il y a Lukas, jeune chilien qui a quitté avec ses parents Santiago, et dont on partage la solitude et le quotidien fait de burgers, d’un livre préféré, Harry Potter, et d’un chat et d’une passion pour le football. La nuit, sur la plage, les deux enfants envoient, à l’aide d’une lampe torche,  des signaux morse qui traversent l’espace du livre et de l’océan, reliant, par un faisceau lumineux, les deux solitudes.

On apprécie la rigueur de la construction de cet album, qui joue sur les parallélismes entre les vies des deux enfants, séparés par des milliers de kilomètres, pour montrer qu’au fond, quel que soit le lieu où on vit, il y a des constantes universelles de l’enfance : la relation avec la grand-mère, les collections, le gout du secret, les jeux, la passion des animaux domestiques, et, clin d’œil à la mondialisation de la culture, la lecture d’Harry Potter. En commun aussi la solitude et la quête d’un ami, montré comme un fantasme jaune dans les deux situations. Le texte sait jouer sur la simplicité des récits de vie à la première personne et l’émotion car, en allant au spécifique de chacun de ses personnages, il atteint l’universel. Les illustrations, d’une grande précision, montrent les décors de la vie quotidienne, les objets familiers, avec un vrai côté documentaire. Les doubles pages centrales montrent le faisceau lumineux traverser le Pacifique, ses animaux, ses bateaux, sur fond de nuit.

C’est une histoire d’espoir, celle de la rencontre avec un autre qui serait un alter ego, pleine de mélancolie, de poésie et de douceur, qui parle d’un monde à la fois immense et minuscule. La construction habile du livre illustre comment peut se transcender l’espace, la distance et les frontières culturelles pour devenir un appel à la fraternité universelle.

Un mot sur l’autrice, multi primée, qui a quitté la Russie au moment de l’invasion de l’Ukraine, et vit maintenant au Monténégro, et dont toute l’œuvre pour la jeunesse vise à tisser des liens, de ponts entre les cultures.

C’est beau de mentir

C’est beau de mentir
Catherine Grive
Sarbacane (roman), 2023

Naissance dans un ascenseur

Par Anne-Marie Mercier

On peut être surpris par ce titre en forme de paradoxe. Mais Catherine Grive sait de quoi elle parle : elle creuse depuis quelques temps le sujet, soit directement, avec son album intitulé Le Mensonge (avec Frédérique Bertrand) paru aux éditions du Rouergue sous une couverture proche  – l’album a inspiré un spectacle qui sera créé en avril 2024 au théâtre de la Villette – soit indirectement, dans ses romans précédents, à travers les conséquences de mensonges ou de non-dits, notamment dans les familles.
Lucile (ou Hermione ?) va fêter ce jour-là ses quinze ans. L’appartement dans lequel elle invite ses amis (ou plutôt ceux qu’elle a souhaité afficher comme amis) n’est pas le sien, mais elle fait comme si : c’est plus beau que la petite chambre de bonne ou elle vit avec sa mère, et cela correspond mieux à la vie qu’elle s’est inventée pour être au niveau de ses camarades de lycée dans un quartier riche de Paris. Mais voilà, le destin veille et au milieu de ses préparatifs, elle se retrouve coincée dans l’ascenseur de l’immeuble (belle métaphore de l’ascenseur social dont elle rêve et qui jusqu’ici l’a, dans le réel, toujours fait descendre).
Elle est la narratrice du récit. Le temps de l’attente est long, cela lui permet de se remémorer ce qui l’a amenée à cette cascade de mensonges, à se gargariser de ses succès et se réjouir à l’avance de ce qui suivra, notamment avec le bel Octave qui l’émeut. Ce temps est d’autant plus long que la personne qui communique avec elle (on connaitra tout par la suite, il s’appelle Bertrand et semble ne rien avoir à cacher) prend son temps pour envoyer les secours. Bertrand lui parle pour la faire patienter et l’informer sur l’arrivée de l’équipe technique, mais plus encore pour tenter de la cerner et l’aider. Il semble avoir tout compris très vite et sans doute retarde sa libération tant qu’il ne la sent pas prête à affronter le réel. Cette voix au téléphone a des allures d’ange d’un film de Wim Wenders : humain, tellement humain qu’il en est surnaturel.
Les amis, réels ou fictifs, la mère, le père, la fée marraine, le chéri… les personnages secondaires sont attachants et divers. Grâce à eux et grâce à la voix de l’ascenseur, on assiste à la seconde naissance de Lucile, lucide cette fois. Ce beau roman parvient à ne pas condamner, juger, ridiculiser ses rêves : il fait d’abord rêver avec Lucile, dans des rêves convenus et formatés, parfois drôles : le mensonge c’est « une porte qui s’ouvre », comme la lecture. Puis, dans la seconde moitié il la conduit peu à peu vers des rêves plus personnels, plus difficiles aussi, d’autres portes à ouvrir, une aventure de vie assumée. Mais certaines resteront fermées à jamais : le mensonge a des conséquences aussi.
C’est un beau parcours de quête d’identité que Catherine Grive excelle à mettre en scène, comme dans Le bureau des objets perdus (2015) ; c’est  souvent « quand tout s’écroule autour de vous »  comme l’écrit Maryse Vuillermet à propos de La Plus Grande Chance de ma vie (2017) que tout s’éclaire.

 

 

L’Adorable ours des neiges

L’Adorable ours des neiges
Lionel Tarchala
Sarbacane, 2023

L’amitié, envers et contre tout

Par Anne-Marie Mercier

Les deux héros de Lionel Tarchala poursuivent leur vie et leur amitié tumultueuse dans un beau récit pour l’hiver. Petit Homme Poilu (c’est ainsi que l’ours désigne le trappeur) appréhende de passer l’hivers seul, sans la compagnie de son seul ami, Grosse Bête Velue. En effet, celui-ci doit hiberner.
Ils se rencontrant une dernière fois avant de se séparer. Ils passent tout près d’une vraie rupture, chacun se retirant en colère avec le regret de n’avoir pas dit à l’autre « que quoi qu’il fasse il restera toujours son ami ». Réconciliations, rires, découvertes de nouveaux plaisirs (ils inventent la luge) et création de nouvelles occupations pour l’hiver (le Petit Homme va avoir du travail pour réparer ce qu’ils ont cassé).
Les illustrations sont drôles, dynamiques, évocatrices, et simples. Elles vont à l’essentiel et se contentent de quelques couleurs dans une dominante de bleus et de blancs sur fonds blancs.  Paquets de neige, plaisirs des glissades et du retour au coin du feu, c’est un très bel éloge de l’hiver et un joli renversement des clichés :  l’abominable (homme des neiges) devient l’adorable, les distractions urbaines sont renvoyées à leur vacuité et la solitude est le plus beau cadre pour l’amitié.
On voit ce duo prendre ici vraiment forme, très agréablement, développant ce que le premier volume de leur histoire, un peu mince, avait laissé en suspens : on souhaite longue vie et de nombreuses aventures à cette belle équipe.

Une Semaine dans la peau de mon frère

Une Semaine dans la peau de mon frère
Nadia Coste, Silène Edgar
Syros, 2023

Tout un programme

Par Anne-Marie Mercier

Après Trois jours dans la peau d’un garçon, ou dans celle d’un personnage de fiction, ou un jour (c’est sans doute assez…), Vendredi, dans la peau de ma prof, le duo formé par Nadia Coste et Silène Edgar propose un autre changement de point de vue. Il est moins radical a priori : les deux héros sont tous deux humains, ils sont de même sexe, ont un âge proche, appartiennent à la même fratrie et vont en classe dans le même collège.
Mais entre le geek et le sportif, le courant passe mal. Cette expérience va donc les obliger à considérer la vie de l’autre, le considérer, prendre grâce à lui confiance en soi et en l’autre, avancer, pour bien sûr revenir à l’étape précédente, en mieux.
Le système de narration alterné est un peu sportif, de même que les interversions de prénoms (Kilian devient Nolan et vice-versa, mais seulement extérieurement, vous suivez ?) mais un système d’icônes permet de s’y retrouver.
On parcourt tous les lieux et thèmes du collège : la cantine, la cour, les salles de cour, le stade, le trajet depuis la maison, le harcèlement, les leaders, la question des notes, les révisions, les copains qu’on perd de vue en changeant de classe. On aborde de ombreuses questions sur les relations entre parents et enfants (travail domestique, une chambre à soi, libertés…) et cette famille est bien normale, c’est reposant. C’est aussi plein de bons sentiments, de refus du sexisme et du suivisme. Les personnages sont courageux, ou le deviennent, chacun à leur tour ; le personnage de la fille, conseillère, amoureuse, amie, est un moteur pour l’un comme pour l’autre et les autres personnages secondaires sont bien campés. Le récit étant pris en charge par les deux frères alternativement, l’un en cinquième, l’autre en troisième, et les auteures ayant fait le choix d’imiter sans grande fantaisie la langue de leur âge et de leur temps, ce n’est pas de la grande littérature, mais c’est très lisible, à tous les sens du terme la typographie est très claire et aérée).
Sur le même thème on peut aussi revenir aux classiques (je ne note que ceux qui proposent un changement de sexe) : Le Merveilleux Pays d’Oz (2e volume du cycle de Frank Lyman Baum), le très merveilleux La Nouvelle Robe de Bill d’Ann Fine et, plus récents, Dans la peau d’une fille, (Aline Méchin, 2002), Le Jour du slip, et Je porte la culotte (Anne Percin et Thomas Gornet, 2013) qui proposent deux points de vue dans deux parties d’un même volume selon le principe de la collection Boomerang). Pour les plus âgés, le roman un peu violent de Lauren McLaughlin, Cinq jours par mois dans la peau d’un garçon (Cycler, 2008), et le très conceptuel et malin A comme aujourd’hui (David Levitan, 2012) qui propose des sauts brefs (une journée) dans de multiples identités : décoiffant !