Le Royaume des cercueils suspendus

Le Royaume des cercueils suspendus
Florence Aubry,

Éditions du Rouergue, 2014

L’enfant différent

par François Quet

C’est une histoire d’adolescents, le récit de la fin d’une amitié royaume-cercueils-suspenduset de la naissance de l’amour : Lou-Ki aime Xiong qui aime Leï qui aime Huang. Au moment où les ailes poussent au creux des omoplates, dans le dos des jeunes garçons, la tempête se lève et bouscule l’ordre des choses. Huang n’est pas un enfant comme les autres. Les gestes rituels et la lame d’acier qui doivent libérer ses ailes révèlent un enfant étranger, un enfant sans aile, que la tradition condamne à mourir. Pendant qu’il agonise, suspendu à la falaise, seul vivant en compagnie des cercueils de la tribu, Xiong, l’ami déçu, le rival, imagine une vengeance plus terrible encore.

Le livre de Florence Aubry plonge son lecteur dans une société violente et industrieuse. On y file la soie, on y coule le métal, mais on y fait cruellement la guerre aussi et l’on arrache les oreilles des ennemis massacrés. Le don de voler, le Don, ne s’utilise qu’avec parcimonie pour triompher de l’adversaire ou pour transporter le cercueil des défunts sur les hauteurs. Des cérémonies étranges, des interdits bizarres — on ne touche pas le ventre de la femme qu’on aime —, des pratiques sauvages contribuent à conférer à ce monde barbare un exotisme sombre. La violence des passions adolescentes ne rend pas plus lumineux ce roman nourri de mythologie et de tragique ; entre Roméo et Juliette et Œdipe Roi, c’est La Guerre du feu visitée par Racine.

Florence Aubry réussit à donner à son récit une beauté troublante. Sans doute l’excès des sentiments y est-il pour quelque chose, sans doute le caractère primitif des personnages, leur rapport au monde et à la matière, la proximité de la nature et des animaux y contribuent-ils aussi. L’apparition d’un paon luminescent, la chaleur d’un tapir, l’errance d’un homme et d’un cheval, l’évocation sensuelle d’une baignade improvisée aux milieux des têtards suscitent des images fortes et sensuelles. L’innocence et les mutations de l’adolescence participent de cet univers clair-obscur à la fois tendre et inquiet, d’une beauté sauvage.

La Marque des anges, vol 2 : Revenante

La Marque des anges, vol 2 : Revenante
Laini Taylor
Traduit (états unis) par Anne Krief
Flammarion, 2013

Roméo au pays des monstres

Par Yann Leblanc

Lamarquedesanges2Le titre français de cette suite à Fille des Chimères (Daughter of smoke and bone) est comme le précédent un peu terne par rapport à l’original : « Days of blood and startlight ». On n’est pas du tout ici dans une histoire de fantômes mais au cœur de l’intrigue du précédent, dans la guerre entre anges et « démons », les premiers n’ayant de la nature « angélique » que la superbe apparence et les ailes, les seconds n’ayant de démoniaque que leur nature de chimères, c’est-à-dire leur corps hybride, mi humain-mi animal ou composé de différents animaux, ou fabriqué à partir de cadavres. La sauvagerie est partagée par les deux camps et le livre est sanglant.

Dans le monde d’Eretz où les combats se déroulent, les chimères sont proches de l’anéantissement, un peu à cause de l’héroïne, Karou, amoureuse d’un ange. Culpabilité, malentendus, terreur et souffrance l’accompagnent. Quant à l’ange, toujours décidé à tenter de faire régner la paix, il doit assister impuissant – et parfois participer – à de nombreux massacres. Cette ambiance morbide est contrebalancée par l’apparition inattendue de deux amis humains de Karou, issus de sa vie d’avant, qui mettent un peu de légèreté à l’ensemble. Mais ce n’est que très provisoirement car à la fin du livre, si tout semble encore possible, même l’amour, l’armée des anges arrive sur terre… pour le combat final du troisième volume qui paraitra bientôt (voir le blog de l’auteur).

Il est en fait difficile de résumer ce livre tant son charme réside dans de petites choses : ambiances (beaucoup de descriptions), sensations, émotions, inventivité, art du suspens, contrastes entre humanité et cruauté, horreur et éblouissement.