Âge tendre
Clémentine Beauvais
Sarbacane, 2020
Un « Good bye Lénine » à la maison de retraite ou : le nouveau fan des sixties
Par Anne-Marie Mercier
Par temps de grisaille en tous genre, voilà un livre qui fait du bien.
Non par mièvrerie, il ne l’est absolument pas ; non par le fait qu’il emmènerait loin des questions difficiles, il en aborde au contraire plusieurs tout en étant très drôle, dont, en vrac :
le désarroi des lycéens devant l’application parcoursup,
- le mal de vivre des adolescents affectés d’un syndrome autistique lâchés dans la vraie vie,
- le drame des personnes âgées désorientées,
- la vie en colloc,
- les effets d’un divorce sur les enfants,
- le deuil,
- la responsabilité et l’entrée dans la vie professionnelle…
- l’amour, le grand
- Et, par-dessus tout cela, la découverte des chansons de Françoise Hardy par un adolescent d’aujourd’hui, avec un défi qu’il s’est lui-même forgé : faire venir Françoise Hardy (décédée depuis quelques années car l’intrigue se passe dans le futur) pour la faire chanter dans une maison de retraite.
Tout cela, énoncé ainsi, peut sembler hétéroclite. Mais l’intrique réunit ces questions grâce à la personnalité et à l’histoire de Valentin. Il vient d’achever ses années de collège et, avant d’entrer au lycée, il doit comme tous « les garçons et les filles de [s]on âge » faire un service civique ou militaire de dix mois. Ayant rempli le questionnaire de choix pour définir son affectation, il est surpris de voir qu’aucun d’eux n’a été respecté et se retrouve, lui le garçon du sud que tout effraye, à travailler dans un institut pour personnes âgées désorientées ou démentes, dans les Hauts de France, très loin de chez lui.
Malgré ce contexte lourd, le lecteur rit beaucoup : le ton compassé de Valentin, sa naïveté, les situations absurdes dans lesquelles il se retrouve font de la première moitié du livre un sommet de drôlerie grinçante. Le roman, écrit à la première personne a la forme d’un rapport de stage, celui que Valentin doit rédiger, et fait penser à la langue de bois pédagogico-administrative que l’on reconnait hélas de loin :
« L’individu rédigera au fil de l’année un Rapport de Service civique Obligatoire (RSCO), lequel sera noté par des professeurs du secondaire et constituera la première étape du baccalauréat (coefficient 6).
Ce rapport devra suivre le format règlementaire et sera évalué selon les critères suivants :
- Précision de l’analyse du lieu de travail et de ses exigences
- Justesse de la description des compétences développées […]
- Le rapport ne devra pas dépasser trente pages dactylographiées. » On apprend tout de suite que Valentin a « dépassé » en rédigeant 378 pages.
Le début du livre est marqué par le style compassé de Valentin, qui imite le ton du guide de rédaction du rapport (Valentin est une « éponge » et il peut ainsi répéter tous ce qu’il a lu ou entendu, du guide touristique aux propos de coloc et sa langue est curieusement bigarrée). Ainsi Valentin écrit :
« J’ai sélectionné « Culture », éducation » et « social ». Ces préférences ont été motivées par le fait que je n’aime pas du tout être dehors, alors déjà c’était hors de question que je choisisse par exemple « Voirie » et « Nature ». Lors de la discussion avec Madame de Panafieu, il a été en effet déterminé que j’étais d’un tempérament plutôt adverse à l’environnement urbain, et aussi à l’environnement rural et à l’environnement naturel. Selon Madame de Panafieu, il est manifeste que mon champ de compétences préférentiel s’exerce dans des lieux clos (exemple : maison). »
Le pauvre Valentin va devoir exercer dans le parcours « santé », partir loin, seul, rencontrer des « personnalités non conventionnelles » et constater que « la vie nous jette parfois au-devant de défis imprévus », comme dit madame Panafieu, mais qu’avec un bon tempérament on peut arriver à aimer ce qu’on détestait. Il « aiguise son relationnel », c’est-à-dire se force à parler aux gens.
Grâce à ses colloc, Valentin découvre la vie en communauté, les bibliothèques (la description par Valentin des publics de la bibliothèque vaut le détour ! p. 114-115), la pratique d’un instrument de musique (il devient virtuose de l’accompagnement des chansons de Françoise Hardy et se produit sur les marchés, vêtu d’une mini robe Mondrian).
Quant à son travail sur l’unité Mnémosyne, il est mi tragique mi comique et les pensionnaires sont très divers, les uns totalement dupes de l’univers factice, copie des sixties, jusqu’aux informations télévisuelles, qu’on leur propose (comme dans le film « Good bye Lénine »)et les autres moins, ce qui donne des scènes cocasses et touchantes. Valentin finit par s’interroger pour savoir si ces unités, « Disneyland de la démence » sont une « méthode révolutionnaire pour le bien être des patients » ou une entreprise cynique.
Et puis il faudrait ajouter l’histoire de tous les personnages rencontrés par Valentin, et surtout de Sola, médecin de l’unité, son tuteur de stage, avec son histoire d’amour et de deuil, très belle.
Mais je n’en dirai pas plus (j’ai dépassé) : lisez ce livre, vous verrez, c’est un régal !