De l’embarras au choix
Romane Lefebvre
CotCotCot éditions, 2020
Le choix du choix
Par Christine Moulin
Romane Lefebvre nous offre son premier album et fait preuve, à cette occasion, d’une certaine audace. Ne serait-ce que par la place du texte: à la dernière page, il vient à la fois nous rappeler notre lecture, la conforter dans ses hypothèses et la relancer car il est clair alors que certaines choses nous ont échappé et qu’il vaut mieux vérifier.
De quoi est-il donc question dans cet album sans/avec texte? D’un petit bonhomme au visage tout rond, visiblement seul sur terre (est-ce sur terre? Le décor est réduit à l’essentiel), tristement recroquevillé sur son lit. Sous sa porte se faufile un tapis rouge. Il le suit. Mais bientôt, se présente un embranchement, vers la gauche, un autre chemin, orange celui-là. Le héros tire à pile ou face et continue sur le chemin rouge. Mais le voilà perdu dans le labyrinthe du doute et du regret. Il repart en arrière. Le tapis orange devient voie ferrée. Et c’est ainsi que le lecteur va pouvoir accompagner ce bonhomme attachant dans ses pérégrinations souvent semées d’embûches car le sol se dérobe sous lui et le précipite dans la blancheur existentielle de la page. Seul élément quasi permanent: ce ruban qui se métamorphose et ressemble décidément de plus en plus au parcours que la vie nous im/propose. Le lecteur souffre avec le personnage, participe à ses efforts, ressent son angoisse et c’est donc avec soulagement qu’il assiste à sa renaissance: au sortir d’un tunnel bordé de vert, le personnage chausse des lunettes couleur d’espoir et sourit. Il est revenu chez lui mais tout a changé: sa maison est en couleurs, la cheminée fume, notre héros s’installe tranquillement dehors et profite du soleil. Il semblerait que le voyage qu’il vient de faire ait été tout intérieur, à travers la dépression et le désespoir. Mais il pourrait tout aussi bien s’agir de l’évolution qui mène des tourments de l’adolescence à la sérénité de l’âge (plus) mûr.
Voilà donc un album audacieux, par son thème et son traitement. Réduit à l’essentiel, il parvient à matérialiser les tourments psychiques, à les suggérer en laissant au lecteur la part de liberté qui lui permet de projeter sur cette aventure minimaliste les accidents de sa vie intime. Il lui ouvre aussi la voie vers une lecture plus métaphysique: c’est bien le regard que nous posons sur les choses qui les colore et c’est au terme d’un cheminement vers l’acceptation de ce qui est que nous pouvons enfin jouir du présent. Mais chacun pourra sans doute donner un sens un peu différent à ce trajet car la sobriété du dessin, sans être sèche ou abstraite, éveille bien des échos chez le lecteur qui peut alors « porter un nouveau regard. Quelque part. »
PS: le livre est « imprimé en Europe sur papier issu de forêts gérées durablement ». Comme dirait Guillaume Gallienne, « ça peut pas faire de mal ».