Sol

Sol
Antonio Da Silva
Rouergue (épik), 2023

Sur terre, sur mer, dans les airs : l’humanité en questions

Par Anne-Marie Mercier

Sur ce qui reste, semble-t-il, de la terre, après une grande catastrophe nucléaire, il y a deux peuples, deux pays. L’un est celui d’Aqua, une jeune fille qui vit sur une île verte et riche de plantes et d‘eaux pures, l’autre est, sur le continent, celui des Karnis. Le peuple de l’île a la peau verte (Aqua est un peu différente) ; il se nourrit du rayonnement solaire (d’où le titre, « Sol ») et peut se déplacer très vite grâce à ses membres palmés, en s’appuyant sur l’air. Des éoliennes aident ce monde à garder un équilibre, mais elles sont menacées. Lorsque l’histoire commence, il n’y a plus de naissances sur l’île. Le pouvoir est partagé entre des forces opposées. L’une d’entre elle est dominée par des prêtres obscurantistes inquiétants et corrompus.
Les Karnis, c’est-à-dire, comme on l’apprendra plus tard, les héritiers des humains, vivent dans des souterrains et tentent d’échapper aux radiations, toujours actives. Ceux qui sont expulsés de ces zones protégées, les « rampants », vivent un cauchemar. Le soleil est masqué par les poussières d’un hiver nucléaire qui semble ne jamais pouvoir finir. Les réserves s’épuisent, incitant à multiplier les raids sur l’île, quitte à provoquer sa destruction. Les puissants de ce monde sont impitoyables et préfèrent une destruction totale des deux mondes à une perte de leur autorité.
La rencontre d’Aqua avec un Karnis devient le seul espoir des deux civilisations. Il est question d’une prophétie, d’un message laissé par les fondateurs de l’île qui permettrait de sauver ce qui reste du monde.
Des alliances, de belles figures de résistance, des trouvailles (magnifiques scènes avec les chiens auxiliaires militaires créés par un savant pervers), des engins de toute sorte, une exploration du désert des terres humaines, un robot humanoïde sympathique, efficace et fou de cinéma ancien (d’où de belles allusions à décrypter pour le lecteur), des poursuites, rien ne manque à ce beau roman inventif et sensible. Enfin, la résolution du mystère de la prophétie, au sommet de ce qui reste de la Tour Eiffel est un grand moment !

La véritable Histoire de King Kong

La véritable Histoire de King Kong
Luca Tortolini – Marco Somà
Sarbacane 2023

La rançon de la gloire

Par Michel Driol

Devenu une star, King Kong raconte sa vie. Certes, il est riche, mais il doit se soumettre à tant d’obligations prévues par son contrat : les vêtements, le garde du corps, les publicités qu’il doit tourner, la fiancée choisie pour lui… Il expose alors son histoire, depuis son repérage dans la jungle par des hommes qui l’assurent qu’il est fait pour la gloire, jusqu’au tournage pour lequel il a dû apprendre le jeu d’acteur. Souffrant de la solitude, sans réponse aux lettres qu’il envoie chez lui, il décide de tout quitter pour redevenir Ughm et être lui.

Quel contraste entre l’image que l’on a de King Kong, le monstre qui kidnappe une jeune femme et se bat contre les avions, accroché au sommet d’un gratte-ciel, et l’être civilisé, doux, gentil, élégant,  que cet album propose ! Il n’est plus vu comme un animal sauvage, mais comme un acteur au faite de la gloire. Ce dont parle l’album, c’est bien du poids que représente la célébrité, de l’aliénation qu’elle impose, de la privation de liberté qui l’accompagne, de l’absence d’intimité. King Kong est toujours en représentation dans cette Amérique des années 20-30 représentée avec finesse par Marco Somà dans de douces teintes pastel, un peu sépia, à l’image des vieilles photographies. Décors, vêtements, accessoires, caméras… tout évoque ces roaring twenties, ces fantastiques années. Avec subtilité l’album oppose la vie publique et la vie privée de ce nouveau nabab, et laisse le lecteur trancher quant à la question de son consentement. Consentement à suivre ces hommes qui le flattent, consentement à signer un contrat qu’il n’a pas lu, consentement à devenir autre, à perdre sa nature première, animale, pour devenir une icône de mode, une célébrité, un « people ». En ce sens, c’est bien ce phénomène qui est au cœur de l’album. Bien loin de profiter d’un système, King Kong en est la victime. L’argent fait-il le bonheur ? Quelle est la vraie identité du personnage ? Est-elle compatible avec l’image que l’on veut donner de lui ? Personnage déçu, malheureux, nostalgique de sa vie d’avant, mais sans aigreur ni agressivité, King Kong n’est pas dans l’accusation ou la revendication et il accepte de renoncer à la vie de rêve, de luxe dont on croit qu’il jouit à Hollywwod. Par un petit clin d’œil, le dessinateur le montre se dépouiller de ses vêtements luxueux, mais termine sur un plan où l’on voit un gorille lire, ou regarder, un ouvrage dont la couverture représente King Kong, comme une trace du passé.

Cette « véritable » histoire de King Kong prend le détour de la fiction pour conduire chacun à s’interroger sur son identité propre, sur la façon dont on peut être prêt à l’aliéner pour jouir de son quart d’heure de célébrité. A l’élégance (aussi bien physique que morale) du personnage de King Kong correspond l’élégance du graphisme de Marco Somà. L’album est autant une façon de s’interroger sur ces problématiques que de découvrir, à travers une multitude de détails, le mode de vie des stars des années 20 et les techniques du cinéma de l’époque. Un splendide hymne à la liberté d’être soi !

Qu’on me permette de dédier cette chronique à François Quet, cinéphile averti, qui aurait apprécié cette réécriture intelligente et iconoclaste d’un des grands mythes du cinéma hollywoodien.

La Brigade de l’oeil

La Brigade de l’oeil
Guillaume Guéraud
Rouergue, 2019

Le Fahrenheit 451 des images

Par Anne-Marie Mercier

L’univers décrit par Guillaume Guéraud en 2007 (il s’agit ici d’une réédition en grand format d’un poche de « doAdo noir ») ressemble à une inversion de celui que l’on trouve dans le roman célèbre de Bradbury, Fahrenheit 451 : ici, ce ne sont plus les livres qui sont traqués, mais les images, toutes les images. Elles sont soupçonnées d’asservir les esprits, de fausser les jugements, de faire l’apologie de la violence et d’être l’opium du peuple. On les brûle. Au contraire, la littérature est au centre de la culture (on parle un peu du théâtre, mais pas autant qu’on aurait pu) : les rues portent des noms d’écrivains, la faculté des lettres est l’objet de toutes les attentions…

Monde idyllique ? non : tout cela a été accompli à travers une répression sauvage menée contre les cinéphiles, les artistes, les amateurs de porno, les sentimentaux attachés à leur passé… Plusieurs scènes décrivant des massacres montrent la brutalité de la Brigade de l’oeil (un genre de police des mœurs, et notre présent rejoint le livre) qui lutte contre ceux-ci et l’acharnement des défenseurs d’images. L’impératrice Harmony veille sur tout, et l’on apprend qu’elle est même l’auteur des livres du philosophe qui dicte sa conduite à toute la société. Tout cela rappelle les pires moments des régimes totalitaires, notamment celui de Ceausescu, mais fait écho à d’autres récits comme 1984 qui montrent comment on peut guider par la propagande et la police de la pensée toute une société.

Lorsque l’histoire commence, le « mal » est quasiment éradiqué et l’on suit un lycéen réfractaire, Kao, qui entre en contact avec les derniers résistants, et un capitaine de la Brigade. L’alternance des points de vue donne à ce récit une épaisseur humaine intéressante (chacun a ses raisons et doute parfois). Tout cela se finit très mal, mais entre-temps on aura vu l’importance des images, leur force, leur capacité à témoigner de l’Histoire (belle évocation de Nuit et brouillard) et on aura pu lire un bel hommage à toute l’histoire du cinéma (Les Temps modernes de Chaplin joue un rôle de premier plan).

Ce texte est provocateur, tant il prend le contre-pied de toutes les condamnations du monde des images dans lequel nous vivons et fait le procès de la lamentation sur la perte d’influence de la littérature mais il fera consensus (ou du moins un certain consensus) sur un point : la télévision seule est condamnée par tous.

Le suspens est très bien mené, les personnages intéressants, l’univers futuriste est très proche du nôtre, de plus en plus proche… (que de mauvais chemin fait en quinze ans seulement !)  et convaincant et tout cela est combiné avec la question de la place des images poussée jusqu’à son paradoxe.

(reprise un peu modifiée de mon article de 2007)

 

 

Le Casting de loups

Le Casting de loups
Anne-Isabelle Le Touzé
Casterman – collection Casterminouche 2020

Recherche grand méchant loup pour rôle au cinéma

Par Michel Driol

Dans ce casting se succèdent une petite dizaine de personnages, des loups, bien sûr, mais aussi des petits cochons. Les loups sont tous très typés : fleur bleue, acteur maladroit, jumeaux, star, vrai grand méchant loup. Quant aux cochons, ils se sont trompés de porte pour le casting, mais tentent quand même leur chance… Après tout, un grand acteur peut tout jouer ! Pour laisser le plaisir de la découverte, on ne révélera pas la double chute, inattendue et pleine d’humour, qui parvient à impliquer le lecteur de l’album

Dans cet album à la structure répétitive, les différentes pages reproduisent toutes le même décor : page de gauche, une porte  à laquelle se présente l’aspirant. Page de droite, dans la lumière ronde d’un projecteur, on le voit obéir aux ordres de la directrice de casting, que l’on ne verra qu’à la dernière page. Enfin, en bas, une petite souris commente la prestation du loup et donne son impression.

Avec humour, l’album évoque des contes et situations connues : les sept chevreaux, les petits cochons… et participe de la démystification du loup : marchant sur pattes arrière, doté de caractéristiques psychologiques ou d’accessoires  humains. Pour une grande part, l’humour nait du décalage entre ce qui est recherché et la proposition faite par le loup.

Un album rythmé, très oral – à la façon d’une BD dont il reprend de nombreux codes -, qui sait être drôle à toutes les pages, et joue avec malice d’une intertextualité à la portée des enfants.

 

 

Broadway Limited, t. 1 : Un diner avec Cary Grant

Broadway Limited, t. 1 : Un diner avec Cary Grant
Malika Ferdjouk
L’école des loisirs (« medium+, poche »), 2018

Lalaland 

Par Anne-Marie Mercier

Publié pour la première fois en 2015, ce « pavé » est passé en poche, pour le plus grand bonheur des amateurs de : Malika Ferdjouk
New York
Cinéma
Show business
Comédie musicale
Lala land
Soap opera
Sitcom (Friends)
Roman sentimental, etc.

Il y a un peu de tous ces éléments dans ce roman, porté en partie par le point de vue de Jocelyn, un français de 17 ans qui débarque à Manhattan en 1948 pour y étudier la musique, mais aussi par celui des jeunes filles qui, comme lui, séjournent dans la pension Giboulée :
– celui du personnage de la jeune Page, qui espère décrocher un rôle,
– de Manhattan, danseuse, qui espère la même chose mais cherche aussi son père disparu,
– de Hadley, ex-danseuse qui vit d’expédients en cherchant le jeune homme dont elle est tombée amoureuse dans le train Broadway Limited, en 1946, etc. On ne citera pas tous les personnages de ce roman foisonnant : musiciens, comédiens, agents, détectives, marchands de donuts, vendeurs de fleurs, tous un peu fous, et plein d’énergie.
C’est surtout la belle énergie de New York qui porte le livre, les espoirs, la fantaisie, l’envie de vivre à fond ses passions et son histoire, le Manhattan du Café Society, de l’Empire State Building et de l’université de Columbia. C’est aussi un jeu, avec des personnages aux noms étranges qui font de multiples clins d’œil : Humbledore, Plimpton, Hadley… et avec des chemins qui s’entrecroisent et se cherchent. Le deuxième volume est paru dans la même collection (à suivre !).

 

Petit Vampire, acte 1 : le serment des pirates

Petit Vampire, acte 1 : le serment des pirates
Joann Sfar
Rue de Sèvres, 2017

Les enfances d’un vampire

Par Anne-Marie Mercier

Même si les vampires ne vieillissent pas, ils ont une histoire. Et même si les séries ont des « saisons », elles peuvent être rétroactives.  On découvre ici comment le héros auquel Joann Sfar a consacré 7 albums (de 1999 à 2005) publiés chez Delcourt, est devenu, en même temps que sa mère, un « mort-vivant ». Sfar reprend donc l’intrigue du délicieux  Petit Vampire va à l’école en la modifiant un peu et en anticipant sur son début.
On retrouve la fantaisie de l’univers de la série : monstres en tous genres, en général sympathiques, ennemi terrifiant,  dessins qui ignorent la ligne droite et créent de belles atmosphères aux couleurs évocatrices. Les séances de ciné-club  (consacrées à des films de monstres) sont parfaites… L’album offre un beau contrepoint entre le héros et le « vrai » petit garçon, Michel, et présente une belle histoire d’amitié entre deux êtres qui ne sont pas du même monde, et n’ont pas les mêmes rythmes – et en devraient pas se rencontrer.

Monsieur Hulot à la plage

Monsieur Hulot à la plage
David Merveille (d’après J. Tati)
Rouergue, 2015

Images fixes

Par Anne-Marie Mercier

Monsieur Hulot à la plageInspiré très fortement par les vacances de M. Hulot, cet album en multiples tons de gris, sans texte, en retrace une journée, du matin au soir.

On y retrouve de multiples clins d’œil au film : le bateau en deux moitiés, des personnages, le restaurant de l’hôtel, des situations… L’allure de Hulot, sa silhouette raide et son pas élastique sont magnifiquement rendus.

A quel genre d’enfant proposer ce livre ? A un grand, amateur de longue date de Tati qui aimera voir une version en images « fixes », ou à un enfant qui serait sensible à cet humour dès son plus jeune âge, s’il existe ?

SOS dans le cosmos

SOS dans le cosmos
Guillaume Guéraud, Alex W. Inker
Sarbacane (Série B), 2015

L’album fait son cinéma, en série B

Par Anne-Marie Mercier

Guillaume Guéraucouv-sos-dans-le-cosmos-620x868d, amateur de cinéma (voir le bel hommage qu’il lui a rendu, Sans la télé), est aussi amateur de Série B. Depuis 2013 il signe dans la collection « série B », avec chaque fois un illustrateur différent, des volumes qui déclinent avec gourmandise les clichés de films « de genre ». Après les cow boys, pirates etc, voici les films de science fiction  passés à la moulinette. On retrouve des allusions à de multiples films à travers les rencontres effectuées par les héros, d’Alien à Interstellar, mais surtout beaucoup d’humour et une délectation pour toutes les fantaisies du genre.

Les illustrations rythment de manière cinématographique, c’est-à-dire à la fois visuelle et sonore (oui, sonore !) cette histoire loufoque, en y ajoutant la poésie et la verve qui sont la marque du style de Guéraud :
« Le météore 8 fut projeté à une vitesse vertigineuse dans un essaim d’étoiles filantes. Hors du système solaire. Bien au-delà des frontières imaginables. Parmi des astres au nom désastreux. Les membres de son équipage haletèrent en traversant la constellation des haltères. Ils s’agitèrent en longeant la galaxie du Sagittaire. Ils s’endormirent en frôlant Sandorimir. Et ils se réveillèrent en arrivant devant la nébuleuse des Rivières. Ils eurent à peine le temps de bailler. »

Tout comme le lecteur, pris par ce texte très court mais très efficace graphiquement et sémantiquement.

 

 

La Bobine d’Alfred

La Bobine d’Alfred
Malika Ferdjoukh

L ‘école des loisirs, 2013

Hitchcock au travail

Par Anne-Marie Mercier

bobine-alfredSuspens, actrices sur les nerfs, amours secrètes, journalistes indiscrets, poursuites… tous les ingrédients d’un film d’Hitchcock sont réunis ici dans une intrigue qui, si elle ne se noue que tardivement, garde le lecteur en haleine jusqu’au bout.

Mais on n’est pas au cinéma, on est au royaume des mots ; la légende de Hollywood est sans cesse présente à travers toutes sortes d’allusions qu’on peut chercher à percer. Le roman est aussi une belle initiation au travail de création d’un film selon la manière du maître, et une initiation à la vie pour le héros de 16 ans, fils d’un cuisinier français qui a été embauché sur le tournage d’un film qui ne sortira jamais sur les écrans pour des raisons qui apparaissent successivement.

Fascination pour le cinéma et pour les actrices, infraction d’un interdit pour satisfaire une passion, culpabilité que l’on traîne longtemps avant de découvrir que le trompeur a été trompé, le récit noue de nombreux thèmes autour de la technique et de l’amour du cinéma.

Sans la télé

Sans la télé
Guillaume Guéraud

Rouergue (doAdo), 2010

« Fils de films » (S. Daney) 

Par Anne-Marie Mercier

sanslatélé.gifGuéraud, bien connu pour ses textes chocs qui dépassent les limites habituelles de ce que peut dire un texte pour jeunes lecteurs (Je mourrai pas Gibier, Va savoir comment…), livre ici des souvenirs d’enfance. Il ne s’agit pas de toute sa vie (même s’il y a des fragments sur la famille, la vie en général, les amis  et les amours), mais de son éducation par les films.

Sa famille ne possédant pas de télé, refusant d’en avoir, il est d’abord un enfant qui se sent coupé de ses contemporains qui ne parlent et ne pensent que par elle. On a ainsi un beau panorama de ce qui se dit en cour de récréation au temps de GoldorakTom Sawyer (le dessin animé), Dallas… et de l’aliénation qui s’ensuit. En revanche, très tôt, il va au cinéma. Dans ce livre, on trouve d’abord une liste des plus grands films qui en ont fait l’histoire, dans tous les genres, les Charlot, des western, mais aussi  Annie Hall, Allemagne année zéro, Le voleur de bicyclette, film qui déclenche des larmes parce que « ce film ne montre rien d’autre que la vie telle qu’elle est ».

L’adolescence venant, au portrait nostalgique des années d’enfance et d’une innocence dans une société paisible et fraternelle qui évoque l’album  Avant la télé de Yvan Pommaux, succède un tableau beaucoup plus noir. Il englobe le monde tel qu’il est ou tel qu’il devient  (la montée terrible des trafics et de la violence dans sa banlieue), ses rapports dégradés avec les autres, son rapport à lui-même, et les films de plus en plus violents qu’il va voir, seul ou accompagné : L’exorciste, M. Le maudit, Les Griffes de la nuit… avec un malaise qui grandit, jusqu’à certaines étapes marquées par des films qui agissent comme des révélateurs : Les Désaxés (« je comprends que je vis dans un monde où les chiens mangent les chevaux. Je comprends que les jours se succèdent en se dégradant. Je comprends les envies de révolte et la nécessité des révolutions. Faudrait que tout explose »), et enfin, au bord de la route, Scarface , avec son « déferlement de violence gratuite », qui agit comme un électrochoc bénéfique : « Comme si tout se défroissait. Je me calme ».

La sobriété domine le texte malgré le contenu : il est fait de séquences brèves, de courts chapitres de deux à quatre pages, toutes orientées autour d’un film (dans  deux cas Guillaume n’a pas vu le film, mais la séance de cinéma reste un horizon). Magnifiquement écrit, avec retenue, sans aucun pathos, mais en faisant entrer dans la conscience d’un enfant émerveillé par les images puis d’un adolescent écorché et désespéré, c’est un très beau livre sur le cinéma et ses effets, aussi bien intimes que culturels et sociaux. C’est aussi un agréable « je me souviens » : chaque texte est suivi de répliques cultes ou d’un commentaire  de metteur en scène sur le film évoqué. Enfin c’est un beau témoignage sur une adolescence « difficile » et un bel éclairage sur la formation d’un auteur important sinon consensuel dans la littérature de jeunesse française actuelle. Ames « sensibles », bien sûr, s’abstenir. Les autres se régaleront.