Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3
Ben Hatke
Rue de Sèvres, 2016 et 2017

Série spatiale

Par Anne-Marie Mercier

Encore de l’espace!

Zita est une fille comme les autres… mais depuis qu’elle a sauvé la planète Scriptorius (de scriptor, l’écrivain), pas question de la laisser rentrer chez elle : elle doit aller sauver d’autres mondes en péril. Pour échapper à la cohorte de ses admirateurs et à des obligations de super héroïne, elle laisse imprudemment sa place à un robot qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau… et qui part sauver une autre planète à se place. Traquant l’imposteur, elle se met au ban de la société spatiale et est désignée comme « la terreur de l’espace ». En fuite, arrêtée, emprisonnée, contrainte aux travaux forcés… elle rencontre aussi bien de nouveaux amis que des anciens.

Les deux volumes sont aussi inventifs que le premier, plein d’humour; les formes de vie rencontrées par Zita défient les lois de l’univers connu aussi bien de de la sage SF… Les retrouvailles avec Joseph dans le troisième volume sont pleines de surprises, comme leur retour (provisoire !) sur terre, chez leurs parents. Zita, « fille de l’espace », « terreur de l’espace », « aventurière de l’espace » est l’héroïne d’une vraie série qui ajoute d’épisode en épisode, de nouvelles complexités à son monde et de la profondeur à ses personnages, sans trop se prendre au sérieux. Les adultes se régaleront eux-aussi.

Des ados parfaits

Des ados parfaits
Yves Grevet
Syros, 2014

Mini « Meilleur des mondes »

Par Christine Moulin

des-ados-parfaits-505670-250-400La science-fiction pour les plus jeunes n’est pas très abondante. On ne peut donc que se réjouir de la publication de ce livre qui peut être lu dès 10 ans, me semble-t-il. Le narrateur, Antoine, est un élève parfait, parfait au point que dès les premières lignes, son ton compassé met en alerte un lecteur habitué aux débordements de l’adolescence: « J’apprécie d’être à ses côtés [aux côtés de Célia, une camarade] parce qu’elle ne parle que pour dire l’essentiel et que je tiens à rester concentré pendant les cours ». Suspect…! Dès les premières pages, un mystère s’installe: certains élèves de la classe (dont Antoine et Célia) reçoivent une mystérieuse enveloppe, destinée à leur famille. Quand Antoine donne la sienne à ses parents, ils paraissent inquiets… On apprend également que sur le Tableau Blanc Interactif (science-fiction oblige!) est apparu, quelques jours plus tôt, une menaçante inscription : « Dehors les sept usurpateurs ».

Au début, Antoine ignore tous ces signes car il a une « totale confiance » dans les adultes. Mais peu à peu, en même temps que Célia, il est de plus en plus intrigué, d’autant que celle qui va devenir son amie, elle, a lu le papier: « Elle a le droit de savoir »…

C’est ainsi que débute une intrigue haletante sur fond de meurtres et de secrets, parsemée d’indices qu’il s’agit de relier entre eux pour découvrir, presque en même temps que les héros, l’effrayante solution que l’on a trouvée, dans ce monde à peine futuriste, pour régler les problèmes d’éducation.

Le thème en est passionnant et devrait parler aux enfants et aux adolescents à qui on serine toujours qu’ils ne sont pas parfaits et qui ont l’impression de ne pas répondre aux attentes démesurées, voire déraisonnables, de leurs parents. Antoine et Célia vont braver les dangers, abandonner la sécurité anesthésiante d’un foyer faussement protecteur, pour affirmer leur identité et pour affronter la vérité, même douloureuse. C’est le prix qu’ils doivent payer pour être libres.

PS : Une première version est parue dans le magazine Je bouquine, janvier 2012

La fille de mes rêves

La fille de mes rêves
Christophe Lambert, Sam Van Steen

Soon, 2011

Second Life

par Christine Moulin

fille de mes reves.jpgNous sommes dans une société à peine futuriste, donnant même parfois l’impression que l’auteur ne tenait pas spécialement à écrire un livre d’anticipation. C’est ainsi qu’in extremis (p.271), il fait manger de petites pilules à ses personnage: clin d’oeil! Et encore laissent-elles la place à un bon couscous fumant…
C’est que tout est comme aujourd’hui dans ce roman, à ceci près que la technique en général et les jeux vidéo en particulier ont fait des progrès. On peut désormais, sous forme d’avatars, grâce à une Dreambox (et évidemment, à prix d’or, avec abonnements « ordinaire » et « Premium »!) diriger ses rêves et notamment, draguer la nuit. Cette vie nocturne suscite les mêmes interrogations que les jeux en ligne du type Second Life qui existent déjà aujourd’hui: qui est qui? Comment construire son identité en souhaitant être un autre? Comment passer du virtuel au réel? Est-ce par frustration que l’on cherche à séduire dans ce « Real Dream »? A qui confions-nous nos rêves? Jusqu’où l’appât du profit peut-il mener? Que peut-on souhaiter pour être heureux? Ces questions sont bien posées par le roman, sans rien de didactique ni de militant. Tous les personnages ont des côtés auxquels le lecteur peut s’identifier, même les « méchants », et le thème du jeu sur les identités, qui devrait plaire aux adolescents, est fouillé, repris en écho par celui de la gémellité.

L’histoire, quoique classique, embarque le lecteur: d’une part, un essaim détraque le logiciel et rend les rêves mortels. D’où, bien sûr, enquête et drames en série (la seule chose qui laisse un peu sur sa faim, c’est qu’on aurait aimé savoir d’où venait cet essaim et quelle en était la nature, au juste…) D’autre part, dans certains chapitres, le narrateur cède la parole à un lycéen, Kamel, qui cherche l’amour et revivra un schème à la Cyrano dans les méandres du virtuel. Les deux pistes, traitées avec rigueur et cohérence, se rejoindront, bien sûr.

Rien de lénifiant: la violence des rapports sociaux, la violence physique aussi, la sexualité, le cynisme font partie du décor mais ne portent jamais à la désespérance. Bref, voilà un livre qui se lit bien mais qui évite les raccourcis simplificateurs.

Cyclones: Six vertiges identitaires

Cyclones
Karim Berrouka, Bruno Leray, Philippe Aureille

Organic éditions ( Petite bulle d’univers n°7), 2011

Six vertiges identitaires

par Anne-Marie Mercier

karim berrouka,bruno leray,philippe aureille,folie,clone,identité,organic éditions ( petite bulle d’univers),anne-marie mercier  Cette nouvelle « nouvelle graphique » combine les qualités des précédentes « Petites bulles d’univers » d’Organic éditions : beau papier, mise en page originale et soignée, illustrations, ou plutôt peintures, superbes qui rapprochent ces beaux objets du livre d’artiste, textes courts mais denses. Comme les précédentes, elle s’inscrit dans un registre fantastique, ici très cohérent et très inquiétant.

On ne saura pas si Georges a réellement été le cobaye d’une expérience ou s’il est atteint de folie mais à chaque étape (il y en a six, comme autant de chapitres) Georges affronte ses doubles, ses  cinq clones (d’où le titre « cyclones ») et tente de s’en débarrasser, tantôt par la ruse, tantôt par la violence, développant dans chacune des tentatives des ressources logiques imparables. Chaque jour, à six heures du matin, Georges s’éveille pour une nouvelle aventure avec l’aide d’une âme soeur, chacune semblant le clone de l’autre, et chaque jour à six heures du soir, Georges est multiplié en six fois lui-même, doté d’un « super pouvoir à la con », tantôt divin tantôt amoureux, tantôt puissant, tantôt bien empêtré.

Le texte de Karim Berrouka s’inscrit face aux peintures de Bruno Leray, saisissantes, souvent angoissantes.  Pour tenter de les décrire, disons qu’elle s’approchent de variations sur « Le cri » de Munch qui aurait été traitées par un pinceau inspiré aussi bien par Bacon que par Rebeyrolle. L’ensemble alterne noirceur et couleurs, comme le texte passe du lyrique à l’humoristique en passant par le récit fantastique, frénétique ou policier.