Chagrin d’ours
Gaëtan Dorémus
Autrement, coll. Histoire sans paroles, 2010
Pour lire avant de lire…
Par Dominique Perrin
Chagrin d’ours est l’un des derniers titres d’une collection à la silhouette unique, et au catalogue remarquable.
Sa première originalité est matérielle : présentation dans un fin étui de carton au long format à l’italienne, suscitant des attentes, à tout le moins des questions. La découverte de l’objet apporte de vraies réponses : l’écrin de carton, s’il se retire à la manière d’une première peau, fait pleinement partie du livre. Il assure des fonctions paratextuelles indispensables : associer une aura graphique à un titre, un nom d’auteur et un nom d’éditeur, offrir une présentation éditoriale – ce que ne fait nullement la couverture proprement dite.
En effet, l’objet à lire est pratiquement nu de signes alphabétiques. A l’exception très circonscrite des pages de garde, point de messages écrits, mais un dessin fait pour être exploré, interprété, approprié. Dans Chagrin d’ours, c’est « l’histoire » – ou poème-graphique-narratif – d’un grand ours à qui d’autres animaux ravissent son petit ours ; c’est le conte, à structure dite de randonnée, d’une quête douloureuse mais pleinement déterminée, celle d’un « doudou » très attachant et très léger, par un vrai ours que sa course derrière successivement un loup, un lion, un oiseau et un éléphant narquois ou mal intentionnés transforme physiquement et moralement.
Les épreuves endurées sont importantes : frustration mainte fois renouvelée, affrontement à l’espace et aux éléments, colère immense et châtiment des adversaires par la dévoration. Mais au bout du compte, à l’orée de l’épuisement et de l’espace terrestre, rencontre d’un tiers compatissant, recouvrement de l’objet aimé, réjection des adversaires, quiétude sur la grève. La carte du monde discrètement figurée à l’intérieur des première et quatrième de couverture a complètement changé ; la mosaïque initiale d’espaces géographiques cloisonnés est devenue un espace aux caractéristiques multiples, aux habitants mobiles – ceux-ci ayant renoncé, en même temps, à leur couronne, et à leur isolement.