M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle
Joséphine Serre

Théâtrales, juillet 2024

« La forêt se déchaîne, les vivants se soulèvent, la beauté mène l’insurrection, et à l’intérieur ça vit, ça chante, cherche, explose, ça s’étreint et se déchire, cela vit, vit, vit. »

par Lidia Filippini

M.A.D, Je te promets la forêt rebelle est une pièce engagée en faveur de la protection de la Terre.
Une jeune femme apprend à l’aéroport la mort de son frère dans une ZAD. Elle renonce alors au voyage d’affaire qui devait lui permettre de vendre un projet d’ingénierie à des start-ups pour se rendre sur les lieux où le jeune étudiant en botanique a disparu. Pacifiste et mu par le désir de vivre autrement son rapport à la terre, Frère était parti, son carnet en poche, pour recenser les espèces végétales présentes dans la ZAD. Il a été victime d’une grenade offensive, lancée par un gendarme lors d’affrontements opposant les zadistes aux forces de l’ordre.

 La ZAD est située dans une forêt qui, comme toutes les forêts, regorge de mystères. Entre les arbres, Sœur croit apercevoir Walden, le chien de son enfance. Lancée à sa poursuite, elle va rencontrer toute une galerie de personnages plus ou moins oniriques : un jardinier nommé Neil Armstrong qui, s’il avait eu un fils, aurait aimé l’appeler Judas, une fille-jaguar, une sorcière, mais aussi le fonctionnaire auteur de la bavure. Les zadistes, quant à eux, lui font entrevoir cette manière de vivre différente où chacun s’efforce de construire ensemble un « autre futur » qui avait tellement séduit son frère.

 L’enquête que mène Sœur pour comprendre ce qui est arrivé à Frère prend peu à peu la forme d’une quête identitaire. Au fil de des rencontres, la jeune femme qui, jusqu’alors ne comprenait pas l’engagement écologique et social de son frère, va voir ses certitudes vaciller.

Le texte est traversé de bout en bout par des références à Macbeth, et plus précisément à l’acte V de la pièce de Shakespeare, « La forêt qui marche » dans lequel une armée de soldats, portant chacun une branche d’arbre avance vers le château de Macbeth. Une des sorcières rencontrées pendant sa jeunesse avait bien prédit au roi : « Rien ne pourra t’arriver tant que la grande forêt ne se sera pas mise en marche contre toi. » Mais, Macbeth, qui était encore un jeune général à l’époque, avait pris cette prophétie à la légère : « Cela n’arrivera jamais ! Qui peut de force enrôler la forêt et ordonner à l’arbre d’ébranler sa racine enchaînée dans la terre ? […] notre grand Macbeth vivra jusqu’au terme normal de toute vie et rendra le dernier soupir à l’heure où tout homme doit le rendre. », s’était-il écrié, sûr de son pouvoir et de sa puissance. Dans M.A.D, la forêt rebelle, c’est celle des zadistes et des défenseurs de la nature qui, seuls, ont compris l’importance de changer notre modèle de société. M.A.D, acronyme de « monde à défendre », c’est la folie des hommes qui ne respectent plus leur planète.

Joséphine Serres s’est librement inspirée, pour écrire la pièce, de l’histoire de Rémi Fraisse, étudiant en botanique mort en 2014 lors de l’assaut d’un groupe de gendarmes. Le jeune militant écologiste occupait avec d’autres zadistes le site de Sivens, dans le Tarn, pour protester contre la construction d’un barrage. Pour Joséphine Serres, cet évènement tragique n’est pas « un fait divers mais vraiment un fait politique ». Elle considère Rémi Fraisse comme « un des premiers morts de ce qu’on pourrait appeler la guerre de l’eau en Europe ».  Très juste dans son ton, l’autrice ne verse à aucun moment dans une vision idéaliste de la ZAD. Le microcosme qu’elle dépeint (surtout d’ailleurs dans Nous habitons vos ruines, une des trois courtes pièces qui accompagnent M.A.D et qui peut être présentée « en parallèle des représentations » ou « en guise de prologue ou d’épilogue ») est loin d’être un monde parfait. On y trouve toutes sortes de gens – et même des « cons » – « [e]t ça discute tout le temps et ça s’embrouille, mais ça échange ». Car au fond, ce qui lie ce groupe hétérogène c’est bien cette idée d’échange, de partage de connaissance, la « liberté inconditionnelle de la conscience ».

Le texte est percutant et néanmoins poétique. Extrêmement bien documenté, il fait le lien, par le jeu de l’intertextualité, avec l’œuvre de Shakespeare, mais aussi avec des ouvrages plus récents, fictions, poésies ou essais (Yourcenar, Whitman, Jünger). Joséphine Serres cite également de nombreux articles donnant envie au lecteur de les lire à son tour. On plonge dans le texte en commençant par la fin, la mort de Frère, dans un troisième chapitre intitulé « Anekdiegesis » (un monde privé de récit). Une voix s’est éteinte, celle du jeune homme d’où tout est parti. On découvre ce qu’était cette voix en remontant le cours du récit grâce à l’enquête de Sœur qui se termine au chapitre un « Homo Sapiens. Humilis. ». Devenir des « humain[s], humble[s], sage[s] de la terre », tel est le message de M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle qui nous engage à faire entendre, à notre tour, notre voix.
La pièce a été jouée en juin 2024 au Théâtre de la Tempête à Paris, mise en scène par Joséphine Serres qui interprétait plusieurs personnages.

 

La Photo ou pourquoi il faut parfois désobéir

La Photo ou pourquoi il faut parfois désobéir
Innosanto Nagara
La partie 2022

Désobéissances civiles

Par Michel Driol

La photo, c’est celle d’un couple de jeunes mariés qui s’embrassent devant des policiers casqués et armés. Mais, avant de raconter l’histoire de cette photo, le narrateur – le marié – explique ce qu’est la désobéissance civile à partir de plusieurs exemples. Celui de Claudette Colvin qui, avant Rosa Parks, a refusé de s’asseoir au fond d’un bus. La lutte des Indiens contre l’Empire britannique, celle des U’was contre les compagnies pétrolières, des ouvriers agricoles d’Immokalee (Floride) contre les restaurants, l’action de Bree Newsomme décrochant le drapeau confédéré aux Etats Unis. Et enfin celle de ce jeune couple qui, au cœur de la guerre froide, s’est battu contre les armes nucléaires, et a manifesté avec ses amis le jour de leur mariage

Prenant la forme d’un discours adressé au lecteur, l’album explique, à partir d’exemples simples, des concepts tels qu’activistes, désobéissance civile, blocus, boycott, sit-in, occupation, grève, ou action directe. Le discours passe par des interpellations directes au lecteur, comme une façon de le concerner, de le forcer à s’interroger sur ses convictions, ses opinions. Les exemples sont choisis dans des domaines variés, depuis la ségrégation raciale aux Etats Unis jusqu’à la lutte pour l’indépendance ou la reconnaissance de la valeur du travail, choisis sur une période récente (la deuxième moitié du XXème siècle pour l’essentiel). Ils évoquent différentes formes d’actions que peut prendre la désobéissance civile, sans la théoriser, mais en montrant en quoi, chaque fois, il s’agit de lutter contre un ordre établi qui est ressenti comme injuste. On reprochera peut-être un aspect un peu didactique à cet ouvrage très documenté, qui s’adresse plus à la réflexion qu’à l’émotion, mais qui constitue une initiation rare et utile à tout ce pan de notre histoire collective et aux victoires obtenues par ces types d’actions en décrivant leurs méthodes de façon compréhensible par un enfant.

L’ouvrage pose aussi, de façon plus humoristique, la question de ce qui justifie la désobéissance civile. Ainsi, se cacher sous son lit pour ne pas aller au bain, est-ce un sit-in ? Refuser de manger son repas, est-ce du boycott ? La réponse de l’auteur est intéressante dans sa formulation : Peut-être (ou peut-être pas). C’est dire qu’il n’y a pas une vérité, mais des situations qui peuvent être différentes, et c’est aussi refuser de donner une interprétation, mais laisser chacun libre de réfléchir par lui-même à ce qui vaut la peine qu’on se batte pour (ou contre) et aux formes d’action à privilégier. Car la désobéissance civile va de pair avec une certaine forme de démocratie et surtout avec la force du collectif. Chaque récit montre en quoi c’est tout un groupe qui s’est mobilisé pour une cause, et non des individus isolés. C’est cette dimension collective qui est reprise dans l’épilogue.

L’illustration est particulièrement expressive et pleine d’énergie, à base de papiers découpés recouverts de peinture souvent striée, dans des dominantes jaune, orange, rouge : des couleurs chaudes. Les cadrages mettent en évidence des regards, des slogans, des groupes, ou des oppositions entre forces de l’ordre et activistes, à l’image de la photo initiale.

Une réflexion claire sur la désobéissance civile, par un auteur engagé dans les luttes pour l’activisme politique, les droits civiques, la justice sociale, environnementale, les droits LGBTQIA+, trop peu connu en France.

Le Silence du serpent blanc

Le Silence du serpent blanc
Arnaud Tiercelin
Le Muscadier 2019

Comme une transposition de la Flûte enchantée…

Par Michel Driol

Dans le pays de Thibault, le président s’est proclamé roi, et a imposé le silence à tous. Chacun n’a droit qu’à quelques mots, prononcés à voix basse, par jour. Cette règle s’impose à la maison, dans la rue, à l’école. Si cette loi n’est pas respectée, les militaires interviennent et emmènent les contrevenants on ne sait où. Depuis trois ans, Thibault est sans nouvelles de son père, disparu. Un beau jour Pamina arrive à l’école, et ne respecte pas la loi. Elle disparait, reparait, puis entraine Thibaut dans un univers musical et propose à tous les enfants de l’école de l’aider à rendre au pays sa liberté.

Publié dans la collection Rester Vivant, ce roman – lisible relativement tôt – aborde des problématiques actuelles graves dans notre société : la volonté du pouvoir de museler l’expression individuelle, la destitution des gouvernants, la dictature militaire, la désobéissance civile… Mais il le fait à hauteur d’enfant, car on s’identifie au narrateur, Thibault, à sa vie de famille avec ses deux petits frères,  à son désir de retrouver son père. Il le fait aussi en jouant sur différents genres romanesques : le roman d’aventure, bien sûr, aventures subies plutôt que souhaitées par le narrateur, le roman de critique sociale, proche de la dystopie, mais aussi, de façon plus surprenante, le roman merveilleux. Cette dimension est introduite par le personnage de Pamina, une fillette dotée de pouvoirs magiques lui permettant de franchir des passages secrets et d’entrainer le narrateur dans un univers musical bien loin de celui qu’il connait.

On note enfin la volonté de l’auteur de protéger d’une certaine façon les enfants à qui ce conte s’adresse. D’une part par l’explication donnée au comportement du roi – qu’on ne révélera pas ici, mais qui fournit une explication au titre.  Il s’agit de rassurer le lectorat enfant en occultant ce qu’il peut y avoir de machiavélique, d’antidémocratique ou de tyrannique  dans les décisions des hommes politiques, en nous donnant à lire un monde sans « méchant », où tous ne sont que des victimes innocentes…. D’autre part par le recours à la traditionnelle utilisation du rêve pour expliquer les phénomènes merveilleux ou fantastiques, ramenant ainsi tout ce conte au cauchemar d’un enfant . « Tout ceci n’était qu’une histoire», dit ainsi l’auteur, mettant en abyme sa propre pratique d’écriture, d’inventeur d’histoires.

Une fiction forte, portée par une écriture vive et rythmée, entrainante, qui pourra conduire à discuter de l’importance de la liberté d’expression et de création artistique dans notre société.