Mariedl. Une histoire gigantesque
Laura Simonati
Versant Sud 2022
Gulliverte
Par Michel Driol
Basé sur une histoire vraie, celle de Maria Fassnauer, née dans le sud Tyrol en 1879, l’album raconte la vie d’une fille d’agriculteurs qui se met à grandir au point de devenir géante, de presque toucher le sommet des montagnes. Quelle place pour elle dans le village ? Lorsqu’arrive un directeur de cirque qui lui offre un pont d’or, ses parents, bien que pauvres, refusent, mais Mariedl s’enfuit et se retrouve exploitée avec d’autres êtres différents dont le public se moque. Mariedl et ses compagnons d’infortune parviennent à s’évader et Mariedl retrouve ses montagnes.
C’est un album singulier que celui-ci. D’abord par sa taille, un haut format portait, à l’image de son héroïne. Ensuite par le traitement graphique des textes, dès la page de titre. Rien n’est imprimé, normé, calibré. Tout est écrit à la main, le plus souvent en petites majuscules (à l’exception de certains g et d), avec des expressions soulignées : une graphie donc imparfaite, tout comme les illustrations. Elles sont traitées avec une certaine naïveté (au sens de peinture naïve), avec de larges aplats de couleurs et une certaine stylisation qui peut renvoyer à un art populaire, folklorique, dans la représentation des êtres et des choses. On n’est pas loin non plus de la commedia dell arte, dans la représentation de certains personnages grotesques, comme le directeur du cirque. Donc un album hors norme pour parler, à partir d’une histoire vraie, mais à hauteur d’enfant, de la différence et du rejet. A hauteur d’enfant car on suit Mariedl depuis son enfance, en épousant le plus souvent son point de vue, ses difficultés à accomplir des gestes habituels, et en montrant la façon dont elle est blessée par le regard des autres, l’exclusion, les moqueries liées à sa différence. Mais c’est aussi à l’exagération, autre dispositif narratif, qu’a recours l’album. Exagération dans la taille (qui fait de la géante un personnage quasi surnaturel), dans le nombre d’arbres à couper pour fabriquer son lit ou de moutons à tondre pour sa robe. On s’éloigne ainsi de ce que la réalité pourrait avoir de cruel pour toucher au mythe, à la légende. Pour autant, l’album n’édulcore rien de la méchanceté des hommes vis-à-vis de ce qui est différent : exclusion, curiosité malsaine, moquerie, exploitation. Il n’est que de voir cette longue théorie de spectateurs, longue file que le texte compare très explicitement à un gros serpent. Ce sont eux finalement les monstres, car l’album nous les montre, dans les gradins, dans un beau renversement, et nous laisse deviner, sans l’illustrer, la douleur des pauvres freaks exhibés par la cupidité d’un homme, montré lui à côté d’une montagne d’or…
Un album étonnant, riche aussi bien par les thèmes qu’il développe que par les techniques destinées à les rendre sensibles. Il parvient à rendre extrêmement émouvant ce personnage de femme victime de sa grande taille, victime de n’être pas semblable aux autres, et dont la dernière page propose la vraie biographie illustrée d’une photographie en noir et blanc.