Kissou
Angèle Delaunois – Jean Claude Alphen
D’eux 2022
A tous les petits qui ont dû abandonner leurs rêves en cours de route
Par Michel Driol
Kissou, c’est le nom du doudou d’Amina. Une nuit, sa mère la réveille, lui demande de préparer quelques vêtements et objets, car elles vont fuit leur ville où sévit la guerre. C’est le début d’un long exode, Amina serrant toujours Kissou contre elle. Après le campement de réfugiés, c’est la traversée à bord d’un bateau trop petit, et le naufrage au cours duquel Amina perd Kissou. Amina est sauvée, et Kissou, découvert par un autre homme, est donné, dans un autre camp de réfugiés, à un garçon solitaire et handicapé.
Sur la page de titre, des jouets abandonnés sur l’ocre d’une sorte de plage donnent le ton de cet album. Comment parler de l’exil, de la guerre, des réfugiés à des enfants ? Par le biais du doudou que l’on serre contre soi, signe du passé, porteur d’odeurs, rassurant. Aucune complaisance dans ce album : c’est la réalité des migrants qui est montrée, l’attente dans des camps, cette attente interminable qui fait perdre à Amina toute notion de temps. La dignité et le courage sont mis en avant : Amina ne pleure pas, ne se plaint jamais, malgré les dures conditions de vie. L’évocation de la traversée en bateau, au cours de laquelle beaucoup n’ont pas la chance d’être sauvés, est marquée du sceau du réalisme, avec une conclusion « heureuse » pour Amina et sa maman. Mais peut-on parler de bonheur quand on a perdu le dernier lien avec la vie d’avant ? Le texte dit la peur, la souffrance, la solitude, à hauteur d’une enfant dont il épouse le point de vue. C’est un album sur la perte, perte symbolique du doudou, perte de l’innocence, perte de l’espoir, perte des repères, perte du pays natal. C’est aussi un album sur la passation : Kissou – comme dans l’album d’Ungerer Otto – va continuer sa vie de doudou, consoler un autre enfant qui a besoin d’affection. C’est un récit sur la guerre, sur la résilience et sur la force morale de celles et ceux qui ont tout perdu, notamment des enfants qui ont dû affronter des dangers redoutables pour tenter de survivre. L’empathie de l’autrice et du dessinateur envers leurs personnages est fortement communicative. Les illustrations, très dépouillées, disent l’essentiel en quelques lignes : une ville qui brule, une foule de réfugiés au bord de la mer, la petite lumière devant une tente, ou encore Naïm, l’enfant unijambiste, muni d’une pauvre béquille en bois, serrant contre lui Kissou.
Un album dur, bien sûr, mais sensible et juste, à l’image de la réalité contemporaine des migrations, des exils, qu’il ne cherche pas à édulcorer, et qui permettra à des enfants plus heureux d’avoir une vision qu’on espère aussi empathique que celle des auteurs.