Goutte à goutte

Goutte à goutte
Philippe Ug
(Les Grandes personnes) 2024

L’eau, sur terre, sous terre…

Par Michel Driol

Philippe Ug est parmi les plus prolifiques et talentueux auteurs de pop-up contemporains. Livre jeunesse, livre d’artiste, sculpture de papier, tous ces termes s’appliquent bien pour tenter de définir ses ouvrages, et celui-ci n’y fait pas exception. En six tableaux, on assiste d’abord à la pluie, puis à une cascade. On entre ensuite sous terre, l’eau s’infiltre partout, puis on la voit créer des concrétions. Et c’est une grotte dans laquelle on la voit ruisseler, avant de la voir renaitre par les sources et jaillir, en fontaines.

Ce voyage qui suit le trajet d’une goutte d’eau  est une invitation à découvrir les mondes représentés dans ce théâtre de papier plein d’invention, où l’eau est toujours pure et blanche. Il faut voir la représentation de la pluie qui tombe, longues bandes blanches qui s’entrecroisent, créant un effet visuel étonnant. Il faut voir l’eau qui s’infiltre, dans un réseau en relief où les filets d’eau se divisent, se croisent. Mais il faut aussi voir jaillir du sol les concrétions qui montent et l’eau qui jaillit en fontaines et jeux. Le texte, court, saturé en verbes de mouvement, accompagne ce parcours vivifiant de l’eau et le commente, laissant tout l’espace aux illustrations pop-up.

On ne peut rester insensible à cette magie du pop-up, à cet accord parfait entre des illustrations, du texte, et une simple mécanique de papier qui donne du relief et du volume à des tableaux clefs, dans un univers graphique particulièrement géométrique. Il y a là une vraie recherche formelle, recherche d’effets, de surprise. Du pur travail d’artiste !

Cheval

Cheval
Ronald Curchod
Rouergue 2023

Le long voyage de Cheval au fil de l’eau

Par Michel Driol

Un cheval – Cheval – au bord d’un étang, immobile. Il entend son nom. Il suit la rivière, rencontre un enfant et tous deux continuent de descendre le fleuve jusqu’à la mer. Voilà pour le résumé qui ne rend absolument pas compte de la beauté des illustrations et de la poésie de la langue qui introduisent le lecteur dans un univers à contempler.

L’album fait alterner des doubles pages porteuses d’une illustration – format large, à l’italienne – et des doubles pages blanches, porteuses du texte sur la page de droite, imprimé en orange. Ce dispositif confère à la lecture de l’album un certain rythme, lent, apaisé. Il faut savoir prendre le temps de contempler l’illustration, une magnifique peinture, tantôt en plan large, tantôt focalisée sur un animal, tantôt sur un détail. On est tantôt la nuit, avec des bleus profonds que trouent parfois une lumière, la lune ou les étoiles. Tantôt dans l’oranger généreux d’un lever de soleil. Tantôt dans le vert de l’eau où nagent des poissons et se reflètent des oiseaux. Chaque tableau, dans ses couleurs, dans sa composition, dans ses détails, dans son traitement est une invitation à prendre le temps de regarder, contempler cette nature ainsi magnifiée où résonnent les couleurs. Si l’on suit un fleuve, ce sont pourtant les verticales des arbres qui structurent le plus souvent l’espace, au point de rendre bien différentes les deux dernières illustrations, la ligne d’horizon entre ciel et mer et les oiseaux qui volent, puis la rotondité pure du soleil.

Quant au texte, il tire sa force poétique de son rythme et des larges blancs qui l’entourent, comme une façon de signifier le silence et la lenteur. C’est un texte qui parle du temps et du mouvement, de la rencontre et de la nature. Un texte à la première personne – c’est Cheval qui parle – et l’on ne peut s’empêcher de penser à la simplicité, au lyrisme, et au symbolisme de Paul Fort. Simplicité du lexique et du monde de la nature et de l’eau évoquées, nommées, avec précision et réalisme. Lyrisme du je qui s’exprime et découvre l’élan vers autre chose que ce qu’il connait. Symbolisme de ce voyage qui conduit vers le bonheur simple et la joie partagée devant le « plus beau matin du monde ».

Un superbe album qui va à l’encontre de bien des caractéristiques de notre monde moderne : la vitesse, la technologie, la compétition. Un album qui incite à prendre son temps, à contempler une rivière toujours changeante, et à écouter le chant des oiseaux et les bruits de l’eau. Plaisirs simples et tellement précieux !

Bon Voyage, les lapins !

Bon Voyage, les lapins !
Magnus Weightman
La Martinière jeunesse, 2023

Mais où est Coin-Coin ?

Par Anne-Marie Mercier

Lapinette a fait tomber Coin-Coin, son canard jouet, dans le ruisseau. Ses frères partent avec elle à sa poursuite, sur une barque qui va suivre le cours de l’eau, sur le torrent devenu rivière, puis fleuve puis l’océan.
Les images montrent différents mondes de l’eau, de plus en plus habités, des ponts, des ports urbains ou maritimes.
Les pages grouillent de détails et de personnages, tous animaux anthropomorphes et le lecteur doit aussi bien tenter de retrouver le canard perdu (à la façon de Où est Charlie?) dans cette foule que suivre différents personnages ou groupes qui lui proposent d’autres micro-histoires : une première double page lance douze autres défis à relever; des rencontres lancent de nouvelles quêtes. C’est joli et bien fait.

A la belle étoile

A la belle étoile
Texte Nathalie Tuleff, musique Guillaume Lucas, Illustrations Janna Baibatyrova
Trois petits points 2023

Vive l’eau

Par Michel Driol

Pour la première fois, Rosetta et Lucien partent en vacances, dans le pays voisin, chez Opa et Oma. Au milieu de la nuit, ils entendent du bruit autour de leur tente. C’est Albert Hisson qui leur explique qu’il n’y a plus d’eau dans le ruisseau, et qu’il doit partir. Remontant le lit de la rivière, les deux amis découvrent Corentin le ragondin, qui leur explique que des hommes ont fait « un grand bazar » et que l’eau ne coule plus. Avec l’aide des ragondins, Rosetta et Lucien parviennent à refaire couler la rivière.

Voici un nouveau CD des aventures de Rosetta, un conte écologique dans lequel les enfants et les animaux parlent ensemble et collaborent pour faire revenir l’eau de la rivière, symbole de vie pour tous, une eau que la folie ou la négligence des hommes empêche de couler. Mais, en fait tout commence par l’observation des étoiles depuis le sommet du donjon, la quête des étoiles filantes qui permettront de faire un vœu, situation que l’on retrouve dans le dernier chapitre. C’est une façon d’inscrire le récit aussi bien dans le cosmos tout entier que dans l’imaginaire merveilleux du conte. Le texte est plein d’une poésie simple, celle de la nature, du bonheur et des plaisirs quotidiens. Nathalie Tuleff, qui lui prête sa voix,  en propose une interprétation toute en finesse, modulant les accents au gré des animaux rencontrés, non sans humour. L’accompagnement musical fait la part belle au phrasé tout en souplesse de Brahms et Debussy.  Un signal sonore discret indique le tourne-page, et permet de découvrir les illustrations aux couleurs vives, sans texte, de l’album qui accompagne le CD. Des illustrations qui s’inscrivent elles aussi avec bonheur sous le signe des étoiles.

Une histoire qui s’adresse certes aux plus petits, mais dont la poésie et la sensibilité ne laisseront pas les plus âgés indifférents.

Une Toute Petite Goutte de pluie

Une Toute Petite Goutte de pluie
Galia Tapiero, Marion Brand
Kilowatt, 2022

Canicule : retour à l’essentiel

Par Anne-Marie Mercier

Une toute petite goutte qui devient grande et essentielle est l’héroïne anonyme d’un petit livre tout simple qui soulève une question elle aussi essentielle (encore plus cruciale en temps de sécheresse) : d’où vient la pluie ?
Il s’ajoute à de nombreux ouvrages sur la question (notamment le fameux Perlette, goutte d’eau de Marie Colmont illustré par Gerda Muller (réédité chez le Père Castor en 2018) sans être redondant : la simplicité de ce livre qui s’affirme sans simplifier le propos le sert. Ici, pas de fictionnalisation (comme dans Perlette) qui pourrait gêner le propos scientifique. Mais une belle ouverture sur l’espace entier, montrant que tout le globe est impliqué dans le processus : glaces, océans, lacs, cours d’eau, tous, représentés chacun dans une double page sobre au dessin réduit encore à l’essentiel. Les pages sont  colorées de bleus et de jaune (pour l’eau et le soleil), tandis que les zones laissées en blanc laissent voir la pureté géométrique du trait : arrondi des collines, verticalité des rayons du soleil, etc.
Évaporation, condensation, formation de nuages, pluie et bienfaits de la pluie pour les cultures, les animaux… Tout est dit en mots simples pour ramener finalement au vécu des enfant : on les voit en dernière page, chaussés de bottes, jouer dans les flaques (on en rêve!)

Voir sur le site de Marion Brand, qui a également illustré Un tout petit grain de sable, chez le même éditeur.

éditions Kilowatt

Eau douce

Eau douce
Emilie Vast
MeMo, 2021

Encyclopédouce

Par Anne-Marie Mercier

Cet album allongé se lit à la verticale; chaque page forme une moitié de la scène à contempler, l’une montrant ce qui se passe au-dessus de l’eau, l’autre ce qui se passe sous la surface, la pliure se situant exactement entre les deux zones. Ces très belles scènes aux couleurs douces (bruns, gris, bleu pâles, parfois quelques touches de rose, de jaune, de bleu vif) alternent avec des pages qui présentent un contenu encyclopédique, décrivant l’état de chacun des « personnages » dans la saison présentée (hiver, début du printemps, printemps, début de l’été…).
Les poissons (ici des ablettes), les grenouilles, les oiseaux (cincles plongeurs et martins-pêcheurs), les insectes (machaons, libellules, scarabées…)… sont vus à différents stades de leur vie, patientant pendant l’hiver, préparant leur portée ou couvée au printemps, la nourrissant ; certains se métamorphosent à l’automne. Parallèlement, les plantes (salicaire, renoncule aquatique, nénuphar…) mènent leur vie.
Tout cela est expliqué dans de courts textes très précis, complétés par un glossaire. La dernière page montre en images les étapes des métamorphoses du papillon, de la grenouille et de la demoiselle, et les cycles du nénuphar et du poisson.
Que de vie sous l’eau douce et à sa surface ! Et aussi quelle délicatesse dans les dessins d’Émilie Vast, quelle apparente simplicité dans cette entreprise d’explicitation de la complexité du vivant et de la variété des saisons !
Chez le même éditeur, on trouvera aussi Eau salée, pour prolonger les eaux d’été.

L’Or bleu des Touaregs

L’Or bleu des Touaregs
Donald Grant
Seuil Jeunesse 2020

La différence entre un jardin et un désert, ver n’est pas l’eau, c’est l’homme (proverbe touareg)

Par Michel Driol

Les Editions du Seuil ont la bonne idée de rééditer un album paru en 2009 aux Editions du Sorbier. Le narrateur, Amzin, âgé de 7 ans, est fils d’un chef de caravane. Il décrit d’abord la vie quotidienne sous la tente, en plein désert. Mais, faute de pluie, il n’y a pas de pâturage pour les troupeaux, et le groupe va s’installer aux lisières d’une ville pour survivre. Le père vent ses bêtes, et achète un champ, dont le puits est à sec. Après avoir été aide-maçon, il a l’idée de creuser davantage le puits, et l’eau – le fameux or bleu – arrive ! Le champ quelques mois plus tard produit des légumes en abondance, ce qui permet de reconstituer un troupeau de chèvres. Et certains jours, la famille retourne au désert.

Les illustrations – pleine page et souvent double page – évoquent avec réalisme la vie et la splendeur sauvage du désert : Touaregs regroupés autour du feu, caravane en contrejour entre sable et ciel dans des couleurs chaudes qui contrastent avec le bleu des vêtements, et le vert enfin du jardin que des rigoles d’eau bleue quadrillent.  L’album a bien sûr un côté ethnographique et documentaire pour mieux comprendre et respecter la vie et la mentalité de ces nomades obligés un temps de se sédentariser et d’apprendre à cultiver la terre. Malgré des conditions de vie difficiles, il montre le lien profond qui unit les hommes et leurs animaux (le jeune narrateur est l’ami d’un jeune bébé chameau). Le choix d’un jeune narrateur permet au lecteur occidental de bénéficier d’un regard à la fois naïf et émerveillé sur le monde, et contribue à l’empathie que l’on ressent pour les personnages.

Un album qui permet de mieux comprendre et respecter d’autres cultures, d’autres façon de faire, et qui parle avec justesse du respect des traditions et des valeurs ancestrales.

Couler de source

Couler de source
Jean-Christophe Bailly
Bayard (« Les petites conférences »), 2018

Philosopher avec les enfants

Par Anne-Marie Mercier

« Entre 1929 et 1932, Walter Benjamin rédigea pour la radio allemande des émissions destinées à la jeunesse. Récits, causeries, conférences, elles ont été réunies plus tard sous le titre de Lumières pour enfants ».

La collection des « petites conférences » de Bayard, qui propose ces Lumières pour notre temps, est dirigée par Gilberte Tsaï ; c’est elle qui organise ces conférences prononcées à Montreuil devant un public varié depuis plusieurs années. Ce cycle de rencontres, créé il y a plusieurs années, explore le champ de la pensée sous des formes accessible à de jeunes auditeurs.
Ici, c’est Jean-Christophe Bailly qui, après avoir évoqué le langage, les images, les cinq sens et le livre, dans d’autres volumes de la collection, s’attache à ce qu’il y a de plus insaisissable, mais aussi de plus précieux, l’eau.
Le début de la philosophie consiste à faire porter son attention sur des choses simples : la pluie, une rivière, la rive, le pont, la cascade… chacun de ces éléments est le point de départ d’une réflexion, parfois d’une rêverie, de descriptions et de récits qui vont du microscopique au macroscopique, qui interrogent les paysages et l’Histoire, notre rapport au monde et à autrui. Des images, schémas et cartes aident à comprendre la forme de l’eau, sinon sa mémoire, et comment l’eau a formé la terre qui nous porte. Tout cela est beau, juste, vivant, vivifiant.

De la terre à la pluie

De la terre à la pluie
Christian Lagrange
Seuil Jeunesse 2017

Chaque seconde dans le monde une famille quitte sa terre

Par Michel Driol

Comment parler d’exil aux enfants ? Christian Lagrange montre trois femmes, à différents âges de la vie, condamnées à l’exil depuis l’Afrique, faute d’eau. Représentées par des statuettes de glaise,  sur fond parfois d’images graphiquement très épurées, on les voit, accompagnées d’un oiseau, traverser un désert, une clôture grillagée, la mer, pour se retrouver, sous la pluie, dans une ville aux allures de New York et finalement, dans une espèce de cabane. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, ce vers de Hugo sert de conclusion dans une dernière page plus optimiste : la lumière troue les nuées et semble promettre une vie meilleure.

Le dispositif est à la fois sobre et efficace : extrême concision du texte, une courte phrase par double page,  comme pour ne pas prendre le pas sur la puissance évocatrice des statuettes, véritables figures tragiques, perdues dans un monde qui n’est pas fait pour elles, mais debout et en marche.   De fait, l’album suggère, donnant à voir les conditions de vie et d’exil sans chercher à se substituer aux migrants, sans vouloir jouer le registre du réalisme ou du psychologisme. C’est au lecteur de construire les non-dits, à partir de cet avion de chasse qui vole vers le pays quitté, ou de ce grillage que les trois femmes franchissent. Les couleurs de fond – blanc pur pour l’Afrique, grisaille de la traversée de la mer, de l’arrivée dans la ville, et noir de la nuit  qui envahit petit à petit album disent, elles-aussi, un monde d’où la lumière semble s’être retirée. Ainsi, chacun pourra interpréter, à sa façon, l’errance et la quête d’une vie meilleure, au péril de sa vie, dans un univers hostile.

Un album d’une grande force qui sait émouvoir sans pathos, et conduit à réfléchir sur l’exil.

 

Les Bonshommes de neige sont éternels

Les Bonshommes de neige sont éternels
Dedieu
Seuil jeunesse, 2016

Au-revoir Bonhomme ! Bonjour Bonhomme !

Par Anne-Marie Mercier

On commençait à se demander si un album pourrait un jour détrôner histoire de Perlette, goutte d’eau, un classique scolaire de Marie Colmont et Gerda paru au Père Castor, utilisé dans les classes pour enseigner le cycle de l’eau. Celui-ci pourrait être le bon : très grand format, images superbes (qui reprennent l’esthétique sépia et le personnage de A la recherche du Père Noël), et une belle aventure « humaine ».

Les personnages sont pourtant des animaux.

Un écureuil, une chouette, un hérisson et un lapin ont depuis un mois un ami extraordinaire, un Bonhomme de neige qui leur raconte des histoires, organise des jeux, leur rend la vie passionnante et gaie. Mais un jour, ils devinent que le printemps arrive et s’inquiètent pour leur ami : sait-il qu’il va mourir ? Lorsqu’il disparaît, ils apprennent qu’il n’est pas mort, car tout ce qui est eau retourne à la mer ; ils fabriquent un radeau, le cherchent sur l’océan, en vain (« autant chercher une goutte d’eau dans l’océan », dit fort justement l’un). Lorsqu’ils rentrent, bredouilles et tristes, levant les yeux au ciel, ils voient le Bonhomme, assis sur un cumulus, qui les salue. Il leur promet de revenir l’hiver suivant et de leur raconter son tour du monde avec toutes les histoires et les paysages qu’il aura recueillis.

Cycle des saisons, message christique, leçon de « choses » sur le cycle de l’eau, c’est un peu tout cela. Autant dire que le charmant Perlette est un peu fade à côté. Sont évoqués aussi la mort et le caractère éphémère de la vie, la douleur des proches quand ils pressentent la fin de ce qu’ils aiment (que l’on retrouve dans des contes populaires comme « La jeune fille de neige », ou « Le garçon de neige »), la force de l’amitié et du souvenir (on pense aussi à Au revoir Blaireau sur ce thème).

Les images sont à la hauteur du projet métaphysique et physique, avec des couleurs qui passent d’une dominante de blanc au vert, bleu, rouge, puis au blanc. Les animaux sont très expressifs, les plans accentués en plongées ou contre plongées spectaculaires, dramatisant les situations avec efficacité : c’est drôle, émouvant, intéressant, beau…

voir Perlette, en dessin animé.