Même pas en rêve !

Même pas en rêve !
Béatrice Alemagna
L’école des loisirs, 2022

Des parents à l’école 

Par Anne-Marie Mercier

Dans le monde de Béatrice Alemagna, les petites chauve-souris ont des prénoms (l’héroïne s’appelle Pascaline), certaines (du moins l’héroïne – on verra plus loin qu’elle est une exception) ont des ailes roses, et à l’âge de trois ans elles doivent toutes aller à l’école, comme « tout le monde » (les hérissons, crapauds, chenilles, écureuils, etc.). Dans ce monde comme dans le nôtre il y a des enfants qui refusent d’y aller, «même pas en rêve», comme le dit Pascaline. Arguments des parents, usage de la force, rien n’y fait, jusqu’au moment où, à bout, Pascaline crie si fort que ses parents deviennent minuscules, «aussi petits que deux cacahuètes». Zut ! Derechef, elle les emmène avec elle à l’école, cachés sous ses ailes.
Appel des enfants sanglotants (mais pas Pascaline), cours de vol (mais pas Pascaline, ses parents sont bien encombrants), sieste (ses parents l’empêchent de dormir). On assiste à une partie du déroulé d’une journée d’école, façon chauve-souris. Les parents de Pascaline, toujours cachés sous ses ailes font des bêtises lors du cours de chant ; à la cantine ils tombent dans la soupe, etc. Tout cela jusqu’à « l’heure des parents »…
Voilà une jolie façon, dans un album drôle et mignon, de dédramatiser l’école et de se venger symboliquement des parents qui y obligent. C’est aussi une manière de montrer que la séparation est nécessaire et même pleine d’avantages.

Michel Driol a chroniqué lui aussi cet album, bien mieux (bravo Michel!)  voir la page.

L’Aventure politique du livre jeunesse

L’Aventure politique du livre jeunesse
Christian Bruel
La Fabrique, 2022

En route pour l’aventure !

Par Anne-Marie Mercier

Le titre surprend : politique, la littérature de jeunesse ? on l’a certes dite pétrie « d’idéologie » (vous vous souvenez de l’affaire de l’album Tous à poil ? Ce livre en parle), mais de politique, vraiment ? Eh bien oui, politique dans l’édition, chez les auteurs, chez ceux qui semblent ne pas y toucher, dans la presse, dans ses thèmes, dans sa manière de ne pas vouloir en faire après en avoir fait beaucoup.
La question touche à toute l’histoire de la littérature de jeunesse. Ce livre parcourt ses différentes époques en montrant à quels moments on n’a pas hésité à tenir un discours ouvertement politique et à quels moments (par exemple aujourd’hui) le politique est devenu un tabou, un « grand méchant mot » expulsé par un humanisme consensuel et plutôt mou, en dehors de quelques questions émergentes comme celle du genre, qui elle aussi a pu faire naitre des protestations tous azimuts au nom d’une certaine conception du livre pour enfants.
Encore plus, dans ce titre, le politique serait une aventure, autre mystère. Mais c’est bien ainsi que nous embarque le co-auteur de Julie qui avait une ombre de garçon, des Chatouilles, de L’Heure des parents et bien d’autres albums, l’éditeur du Sourire qui mord et de être éditions, le formateur et conférencier, figure bien connue aussi bien au Salon de Montreuil que dans la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Cette histoire politique a des accélérations, des arrêts, des trous noirs. Il y a des héros (des ouvrages qui ouvrent la voie) ; nombreux sont ceux qui sont nommés et analysés ici, proposant une autre bibliothèque idéale que celle que l’on retrouve platement dans tous les ouvrages sur l’histoire de la Littérature de jeunesse. Il y a aussi des martyrs, des livres censurés, réécrits, retraduits dans un sens puis dans un autre, massacrés… C’est passionnant comme un récit d’aventures. C’est drôle aussi car l’auteur ne manque pas d’humour et son regard narquois sur les hypocrisies et les contradictions récurrentes réjouit. Enfin les différents points de débat sont évoqués dans leur dimension internationale et l’on découvre encore une fois que la France est loin d’être la plus avancée en la matière – pour le meilleur ou pour le pire.
A l’origine, on trouve une politique de l’offre : la trilogie classique (éduquer divertir, informer) est analysée, augmentée et « colorée » par une autre : « dévoiler, révolter et projeter ». On voit les censures anciennes toujours à l’œuvre mais concurrencées par de nouvelles, aussi bien du côté d’un féminisme sourcilleux que d’un retour de pudibonderie (voir, entre autres, le cas de On a chopé la puberté) que des comités de « sensitive readers » ou  de l’appropriation culturelle (Alma de Timothée de Fombelle). La médiation (librairie, presse, bibliothèques, tout ce qui touche à la politique de la lecture publique) enfin joue un rôle fondamental, plus ou moins assumé, dans l’accès à cette offre.
La politique peut être un sujet abordé explicitement dans le champ du livre pour enfants ; plusieurs titres récents et intéressants analysés ici l’attestent ; elle est à l’œuvre aussi à travers les représentations, les stéréotypes et contre-stéréotypes, discutés ici également ; elle l’est à travers les recommandations ministérielles (les fameuses listes), un temps favorables à la présence de littérature pour la jeunesse à l’école et à une formation des enseignants dans ce champ, de moins en moins depuis quelques années.
Le chapitre consacré à l’histoire de la « presse rebelle » au XXe siècle et au-delà, de 1901 à 2021, est passionnant et fait découvrir de nombreux titres et aventures éditoriales hardies. Le suivant, qui présente des ouvrage « non consensuels » est également une mine de belles choses peu connues qui posent de multiples questions. Une autre histoire, conjointe, est celle de l’évolution des formes et de l’offre de lecture : livres qui se présentent de plus en plus comme des « iconotextes », documentaires d’un nouveau genre, théâtre révolutionné par des textes novateurs et qui ne prennent pas les enfants pour des idiots ou des êtres vivant hors-sol, comme ceux de Maurice Yendt… les formes elles aussi sont politiques.
Les thèmes évoluent mais la quasi absence de certains montre les limites de l’ouverture : si les familles monoparentales ont fait leur entrée en littérature de jeunesse, l’homoparentalité reste un thème peu et souvent mal traité et le personnage adulte célibataire ou tout simplement sans enfant reste rare ; quant aux athées, lorsqu’il est question de religion, ils le sont encore plus (on trouve un pingouin athée, exception notable !). Sur tous ces sujets et bien d’autres (les sans-papiers, le travail et l’argent, la pauvreté, la compétition, la chasse, et bien sûr l’écologie) Christian Bruel est arrivé à trouver des ouvrages qui montent qu’il est possible de les aborder intelligemment qu’il faut se méfier des ouvrages pétris de bonnes intentions mais délivrant un message biaisé.
Le corps est le lieu de bien des tabous, encore aujourd’hui, contrairement à ce qu’on affirme dans les milieux peu informés, ce qui fait dire à l’auteur : « L’irruption débridée du corps et de la sexualité dans les publications jeunesse est une légende ». Il analyse les effets possibles de la frilosité de la plupart des éditeurs sur ce domaine, leur silence masquant le réel et laissant les enfants seuls face à la pornographie à laquelle ils sont exposés de plus en plus tôt.
Les filles rebelles ont leurs héroïnes, de l’Espiègle Lili à Mortelle Adèle. Les utopies ont leurs îles paradisiaques en romans comme en albums (signalons une belle analyse des ambiguïtés de Macao et Cosmage). La « réception alertée » de lecteurs sans doute nourris par une offre riche, quand on sait chercher s’inscrit toutefois dans un « horizon assombri » par de nombreuses inquiétudes.
L’ouvrage se conclut sur l’affirmation d’une nécessaire « politique de la lecture », dans la mesure où la lecture est d’abord une affaire de partage, de communautés. Si l’on veut donner envie de lire, il faut créer les conditions favorables – il les présente – aux échanges, à la prise de distance critique, à la réflexion…. politique au sens large et noble du mot, et dénicher les albums qui permettront d’en débattre. Grâce à lui c’est chose faite, même s’il faut pour cela passer par des histoires de lapins (ou, en l’occurrence, de moutons).

La lecture de ce livre est une belle aventure, drôle et tragique, passionnante, tonique, un courant d’air frais qui réveille et bouscule. On en sort avec un regard un peu plus aiguisé, des regrets sur des jugements hâtifs qu’on a pu formuler, une vigilance accrue, une liste de livres à découvrir, et une foule de questions anciennes et nouvelles à méditer et à partager. C’est un ouvrage indispensable pour tous ceux qui veulent aller au-delà d’une vision consensuelle et quelque peu étriquée de la littérature de jeunesse et de la lecture.
C’est un livre engagé, non seulement par les thèmes qu’il aborde mais par le fait que son auteur examine les points de vue divergents, les discute et ne craint pas d’énoncer ses propres conclusions, toujours claires, fermes, cohérentes. Au centre de ses préoccupations, on ne trouve pas cette fameuse « idéologie » (prise dans un sens fermé et obtus du terme telle qu’elle a été mise en cause par l’homme politique indigné évoqué dans les premières lignes de cet article, mais un souci des lecteurs et de leur devenir : de nos futurs… (c’était le titre d’une édition du salon de Montreuil). Ici, nos futurs sont résolument ancrés dans une histoire qu’il appartient à chacun de se réapproprier, ou pas mais en connaissance de cause.

À l’école, Léon !

À l’école, Léon !
Emile Jadoul
L’école des loisirs, Pastel, 2022

L’école,  l’inconnu

Par Anne-Marie Mercier

La veille de la rentrée, l’inquiétude monte chez Léon : l’école est trop loin, et si Francis n’y va pas, Léon ne voit pas pourquoi il devrait y aller, même chose pour son frère Marcel, et pour maman. Et si on a envie de faire pipi ? et où sera son doudou ?
A toutes ces questions, sa maman puis son papa ont des réponses : Francis est un poisson et les poissons ne vont pas à l’école, Marcel est trop petit, il ira à l’école l’année suivante, quant aux, mamans elles ne vont plus à l’école, etc.
En revanche les pingouins y vont, puisque Léon en est un, comme toute sa famille. Cela permet de dédramatiser la question et ce petit Léon en forme de patate juste un peu plus grande que celle qui représente Marcel et plus petite que celle qui représente sa mère ou son père est attendrissant et drôle.
Et à la fin, tout va bien, bien sûr, c’est mieux en le disant, n’est-ce pas ?

 

Un Monde de cochons (la totale)

Un Monde de cochons (la totale)
Mario Ramos
L’école des loisirs (Pastel), 2021

On révise les classiques (1)

Par Anne-Marie Mercier

Ce recueil posthume de Mario Ramos réunit l’histoire-titre (publiée en 2005), qui montre l’entrée d’un petit loup dans une école peuplée uniquement de cochons (maitres comme élèves), L’École est en feu et Le Trésor de Louis dans lesquels on retrouve le duo constitué de Louis (le petit loup) et Fanfan (son ami, un petit cochon), qui s’est constitué dans la première histoire.
Le monde de cochons, c’est celui de l’école avec tout ce qui l’entoure (les trajets où on peut faire de mauvaises rencontres, comme celle des trois grands cochons pour Louis), le refus d’école et ce qui peut l’adoucir, les récrés et la solitude, parfois partagée… et le dessin volontairement un peu cochonné et drôle.
Le volume s’achève avec les croquis préparatoires pour un autre récit, qui aurait pu être intitulé « La pirate ». Cette dernière partie est tout à fait passionnante et montre comment Mario Ramos travaillait, elle illustre son style rapide et les hésitations qui le nourrissent.

C’est un régal, comme d’habitude avec les histoires de Ramos, pleines de clins d’œil, d’humour et de justesse.

Calinours va à l’école

Calinours va à l’école
Alain Broutin, Frédéric Stehr
L’école des loisirs, 2019

École forestière

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un album qui pourra rassurer les enfants sur l’école – quant aux autres, ils pourront rêver… : celle de Calinours se fait d’abord dans les bois lors de son trajet vers l’école, où il rencontre monsieur Sanglier qui lui fait faire de la peinture avec les pieds, monsieur Renard, avec qui il travaille la pâte à modeler, tant et si bien que lorsqu’il arrive à l’école, après s’être lavé dans la rivière et avoir cueilli des fleurs pour sa maitresse, tous les autres élèves sont partis. La maitresse, une ourse, est très compréhensive et le félicite pour tout ce qu’il apporte – tout en lui recommandant de bien arriver à l’heure la prochaine fois !
L’école est très buissonnière, dans la nature bien verte où l’automne pointe à peine, dans une forêt pleine de petits animaux divers, tous amis.
Tout est très mignon, y compris les chansons de Calinours et ses inventions verbales. Vive la liberté !

 

 

Même pas en rêve

Même pas en rêve
Béatrice Alemagna
L’école des loisirs 2021

Rentrée difficile

Par Michel Driol

Pour Pascaline, enfant chauvesouris de 3 ans, c’est le jour de la rentrée. Mais, bien sûr, elle ne veut pas aller à l’école. Et elle hurle si fort sa phrase préférée, même pas en rêve, que ses parents en sont tout ratatinés. Elle les cache alors sous son aile, et part avec ses minuscules parents à l’école, où elle va passer une journée magnifique.

Voilà un petit personnage de trois ans aux idées bien arrêtées et au caractère bien trempé. Elle vit sa vie à la maison, entre doudou Lombric et une poussette en coquille d’escargot. Son originalité se remarque jusque dans ses ailes rose fluo, alors que tous les autres ont des ailes aux couleurs ternes. Ah ! Si l’on pouvait emporter ses parents à l’école, comme des doudous ? rêve de beaucoup d’enfants. Ah ! Si l’on pouvait être mouche, et voir ce qui se passe à l’école ? désir caché de nombre de parents. Béatrice Alemagna concilie ces deux aspirations, avec la première journée d’école de Pascaline, seule enfant souriante parmi des enfants qui pleurent, rassurée par la présence invisible et protectrice de ses parents, qui vont l’accompagner dans la découverte des rites et habitudes scolaires : chant, récréation, cantine, couchette. Cela pourrait se gâter à l’heure des parents, mais l’album passe sous silence ce temps-là pour montrer, à la fin de la première journée, les parents qui ont retrouvé leur taille normale, et une Pascaline qui a grandi et ne veut plus qu’on l’accompagne à l’école. Voilà donc un album pour dédramatiser le jour de la rentrée, cette première séparation d’avec les parents, ce rite de passage un peu angoissant pour tout le monde. Avec tendresse, l’album nous conduit au cœur d’une forêt aux teintes ocres de l’automne, dans un univers à la fois familier (pots de crayon de couleurs, maisons, jouets) et éloigné du fait du choix – peu banal – des chauvesouris comme héros humanisés.

Un album drôle et tendre pour évoquer la rentrée à l’école, la séparation d’avec les parents, avec une héroïne craquante à la petite bouille pleine de malice.

Comment devenir un élève modèle

Comment devenir un élève modèle
Audrey Poussier
L’école des loisirs 2021

En 7 leçons et sans ce fatigué

Par Michel Driol

Colette et Mo adorent jouer, et détestent l’école. En 7 « leçons », ils expliquent comment être à l’heure, bien écouter en classe, ne jamais rater l’école, excuser ses absences, faire ses devoirs, être bon camarade, savoir s’adapter aux situations imprévues… Sauf que ces « leçons de sagesse » sont plutôt des façons d’échapper à l’école, de faire l’école buissonnière, de faire croire qu’on est malade, et d’écrire des mots d’excuse à l’orthographe approximative mais qui dénotent une bonne dose d’imagination !

Sous une forme qui tient à la fois de l’album et de la bande dessinée, voici un album qui réjouira tous les cancres… mais pas que ! Deux personnages pleins de vie, un frère et une sœur, malicieux, étourdis, roublards, inventifs, et, au fond, terriblement sympathiques ! Pas de parents, mais un robot  « notre petit bonhomme en chef », métaphore du père ou de la mère, et une maitresse, autoritaire, peureuse, sévère, mais amatrice de bonbons comme les enfants, qui, au fond, l’adorent. Des situations farfelues, où les mots peuvent être pris au pied de la lettre, et des illustrations pleines de gaité, comme ce costume d’école buissonnière. L’album joue sur l’antiphrase, les deux personnages se prétendant sans arrêt bons élèves, alors qu’ils démontrent le contraire dans leur comportement, leurs attitudes. Mais rien de méchant, rien de violent, juste un désir assumé de ne pas se soumettre aux règles de l’école pour vivre sa vie d’enfant, loin des contraintes qui fera sans doute rêver tous les lecteurs en leur donnant l’image du fruit défendu et en les renvoyant à leurs propres pratiques et comportements.

Tout est dit de la complicité qui unit les deux personnages et les lecteurs dans la quatrième de couv’ : sil vou plé, ne dite pas que vous zavé trouvé toute ses idées dans notre livre, on pourrai avoir de cérieux problème. Autre preuve que pour apprécier les transgressions, il faut connaitre les normes et les règles!

Demandez-leur la lune

Demandez-leur la lune
Isabelle Pandazopoulos
Scripto Gallimard 2020

Des mots et des rêves

Par Michel Driol

Ils sont quatre à se retrouver en seconde en lycée professionnel, trois décrocheurs et un immigré turc, deux filles et deux garçons, en cours de soutien avec une professeure de français poursuivie par des rumeurs, mais qui va les entrainer à prendre la parole, à s’exprimer, avec, en ligne de mire, leur participation à un concours d’éloquence.

C’est un livre rare, comme on aimerait en lire plus souvent, sur les relations complexes entre adolescents, sur les relations avec les enseignants, sur le rôle de l’école dans les milieux sociaux les plus défavorisés. C’est un livre sur les exclus, ceux des zones blanches, où rien ne passe, trop timides, trop marginaux, qui n’ont pas eu accès aux mots pour se dire, et qui vivent dans le silence, dépeints ici avec une rare empathie. C’est un livre sur la violence scolaire, non pas celle, physique, dont entend parler tous les jours, mais celle, plus sournoise, de l’orientation, des menaces de l’administration, du conformisme auquel il faudrait se résoudre. C’est un livre sur les relations familiales, dans différents milieux : il y a ceux que la disparition du fils a brisés, celle qui vit dans un mobil-home avec une mère bipolaire, cette famille de petits entrepreneurs dans laquelle le père violent rêve de voir son fils lui succéder, ou la famille absente du jeune immigré turc. C’est un livre sur toutes ces fêlures, ces blessures, ces maux qui attendent les mots pour les dire, et la confiance en soi  pour les prononcer. C’est un livre comme un hommage à tous ces enseignants qui pensent que le détour par la culture, le jeu dramatique, le non scolaire peut redonner espoir à de nombreux jeunes, espoir d’abord en eux-mêmes. C’est un livre pour apprendre à ne pas abandonner, et à tenir à réaliser ses rêves. C’est enfin un livre à la fois réaliste, et, dans une large mesure, optimiste. C’est un livre dont ne saurait que trop recommander la lecture à tous les enseignants en formation…

L’écriture, pleine de rage et d’urgence,  est belle et soignée. C’est d’abord un relai de narration, par lequel est présenté le point de vue de chacun des personnages, à la troisième personne le plus souvent (par souci de réalisme), mais aussi, parfois, en leur laissant la parole (écrit intime, enregistrement). Comme le théâtre joue un rôle important, parfois le texte se fait dialogues théâtralisés, avec didascalies, façon d’être au plus près des mots et des corps, des audaces et des pudeurs.

Un livre qui laissera une trace dans l’esprit et l’imaginaire de ses lecteurs, parce qu’il explore tout l’univers des mots, que ce soient ceux qui endoctrinent, ceux qui engagent, ceux dont a peur, ceux qu’on apprend à maitriser pas à pas, et un livre sur les deux silences, celui qui emprisonne et emmure, mais aussi celui qui porte en germe la parole qui va venir.

Un petit geste

Un petit geste
Jacqueline Woodson – E.B. Lewis
D’eux 2021

Le temps perdu ne se rattrape plus…

Par Michel Driol

Une nouvelle élève, Maya, arrive en plein hiver. Elle est mal habillée, et doit s’asseoir à côté de Chloé, la narratrice, qui ne lui rend pas son sourire, et refuse de jouer avec elle, comme toutes ses amies. Rejetée par tous, malgré ses efforts pour s’intégrer, Maya, en butte aux moqueries, ne vient plus à l’école. Alors l’enseignante donne une leçon sur les petits gestes qui peuvent tout changer.  Chloé comprend, mais trop tard…

Voilà un album qui tranche sur les publications habituelles sur le sujet, qui finissent en général dans l’optimisme un peu béat d’une amitié naissante. Rien de tel dans ce superbe album. On signalera d’abord la qualité des illustrations de Earl Bradley Lewis. Ses aquarelles donnent à la fois à voir l’hiver au Canada dans des décors très précis et réalistes, mais aussi de magnifiques portraits d’enfants, saisis en mouvements, dans leurs jeux et leurs activités, tantôt en groupe, tantôt isolés, mettant en évidence la solitude et la tristesse de Maya. Ce que montre l’album, c’est la difficulté, même pour des enfants, de s’ouvrir à l’autre qui est différent (Maya ne porte pas des habits d’hiver, vient visiblement d’un milieu pauvre dont on ne saura rien). C’est la force du groupe capable d’exclure qui n’est pas semblable, de faire bloc pour ne pas accepter l’étranger. Cela passe par les paroles, le refus de jouer, de répondre aux avances, la peur de perdre ses amis et ses repères. La force de l’album est de rendre sensibles et visibles tous ces phénomènes, ces attitudes pour mieux les dénoncer. On pourrait s’interroger sur l’attitude des adultes dans cet album. D’une part, il y a la directrice, qui accompagne Maya dans la classe. L’illustration en contreplongée montre le contraste entre le visage baissé de Maya et la tête droite, mais impénétrable, de l’adulte. Quant à la maitresse, elle n’intervient jamais pour permettre l’intégration de Maya. Tout se passe plutôt dans la cour, façon de montrer que c’est une affaire d’enfants avant tout. Sa leçon finale, très imagée, permet à Chloé de prendre conscience de sa cruauté et de son absence de gentillesse. L’album – à l’image de la maitresse –  ne veut pas moralisateur, ou donneur de leçons. Le constat final est amer pour Chloé, mais invite du coup le lecteur – qui s’est identifié à la « méchante », à la narratrice, à être sensible aux menues attentions que l’on peut avoir à l’égard des autres, quels qu’ils soient.

Signalons au passage que l’autrice, Jacqueline Woodson, a reçu le prix Astrid Lindgren en 2018, puis le prix Hans-Christian Andersen en 2020, soit les deux plus prestigieux prix littéraires pour la littérature jeunesse.

Un album qui questionne avec subtilité nos valeurs, le « vivre-ensemble », le communautarisme et l’exclusion, avec le souci de toucher les lecteurs et de les faire réfléchir, c’est-à-dire grandir en dépassant leurs préjugés.

Bien rangés à l’école

Bien rangés à l’école
Elo
Sarbacane, 2020

Range ta classe !

Le petit théâtre de l’école, c’est aussi bien la cour que le couloir, le dortoir, la cantine, la classe. Tous ces lieux sont représentés très colorés et très pleins : pleins d’enfants-patates aux nez pointus, de sexe indéterminé, de diverses couleurs (bleus, rouges, rose, vert…), très actifs et coopérants, quand ils ne sont pas rêveurs et contemplatifs, et plein de meubles, de décorations, d’objets de toutes sortes (aquarium, crayons, ciseaux et colle, papier hygiénique, gâteaux, chaussons..).

Toute cette animation sans parole se combine avec celle que propose le dispositif : un disque à faire tourner sur lequel apparaissent toutes sortes d’objets lorsqu’ils se trouvent face aux découpes de la page. Ainsi, il faut chercher où placer la chaussette qui se promène dans un endroit incongru, sortir les biscuits de la table où l’on dessine, découpe et colle, remettre le serpent dans le vivarium, attribuer à chacun son doudou, et ne pas mélanger les bottes et les bonnets…
Il y en a des choses à ranger, désigner, commenter ! Cet album est un support drôle pour nommer les choses, les apprivoiser… et peut-être apprendre à ranger en comprenant la logique de chaque classement. Malin !