Sauve qui peut !

Sauve qui peut !
Texte et illustrations Annabelle Buxton – Animations Olivier Charbonnel
La Martinière Jeunesse 2024

La mort aux trousses !

Par Michel Driol

Tout commence par le grand lapin racontant à des lapereaux la fois où il est allé chercher du persil tubéreux. Pour cela, il a dû traverser la sinistre Forêt des Murmures, affronter une immense plante carnivore, zigzaguer entre les morts vivants du Marécage des Revenants, éviter d’être le plat principal d’un banquet , et rentrer chez lui bredouille ! C’est alors, à ce point du récit, qu’on frappe à la porte… dernier pop-up à ouvrir !

Voilà un album qui, à travers la formule rituelle sur chaque page, Etes-vous sûrs de vouloir entendre la suite ? propose aux enfants de jouer avec leurs peurs, en toute sécurité. Ce sont tous les archétypes des histoires d’horreur qui sont convoquées, animalisées à hauteur de lapin. Des chauves-souris vampires et des arbres mangeurs (de lapins !), des zombies, des animaux à double visage réunis pour un repas  inquiétant. Les décors revisitent aussi les lieux effrayants de l’imaginaire enfantin : la sombre forêt, le marécage gluant, la grotte. Des animaux menaçants – crapauds, crocodiles, araignées sont là, à chaque page.  Les couleurs, noir, bleu nuit, caca d’oie contribuent à créer cette ambiance de terreur. Les animations font jaillir une immense plante carnivore,  font surgir des lapins zombie ou la bouche menaçante d’un arbre. Tout cela pour le plus grand plaisir de l’enfant, bien en sécurité car tout cela arrive à un lapin en quête d’une plante – le persil tubéreux – dont il n’a jamais vraisemblablement  entendu parler ! Le récit, à la première personne – se contente de sobrement raconter les mésaventures du héros, sans effet de style particulier, laissant toute l’attention disponible pour se plonger dans les illustrations et l’odyssée de ce jeune lapin, tombant de Charybde en Scylla dans un univers de cauchemar.

Un album d’épouvante pour rire, qui plonge le lecteur dans un univers animé, effrayant, plein de fantaisie,  à travers un récit de quête où se mêlent tous les dangers, avec la distance suffisante pour qu’on joue à se faire peur !

Le Cinéma de l’horreur

Le Cinéma de l’horreur
Denis Côté
Flammarion Jeunesse 2024

L’affiche maléfique

Par Michel Driol

Alors qu’on va détruire l’église Saint-Joseph, le narrateur, Thomas, apprend que son grand-père y était projectionniste, dans une salle de cinéma située au sous-sol.  Fouillant parmi les cartons appartenant à cet aïeul, il découvre une affiche bien cachée, représentant une créature à un œil, affiche pour un film d’horreur dont il ne trouve pourtant aucune trace. Explorant le chantier de démolition de l’église, il pénètre au sous-sol dans une salle de cinéma intacte au milieu des gravats. Il accroche l’affiche au mur de sa chambre, et les cauchemars commencent… Et si cette affiche renfermait un véritable monstre près à se réveiller ?

Dans la collection Le bureau des histoires étranges, voici un récit efficace qui se situe entre le fantastique et l’épouvante. Comme dans tous les grands récits fantastiques, il y a une montée de l’angoisse, de la peur éprouvée par le narrateur confronté à des événements qu’il cherche à comprendre, seul d’abord, puis en demandant l’aide de ses parents. On retrouve les grands thèmes récurrents du fantastique : le passage, le doute, la possibilité d’un monde parallèle, ces éléments s’incarnant ici dans l’affiche et le cinéma, lieux de projection, de représentation des fantasmes. Puis on va basculer dans l’épouvante, avec l’apparition du monstre dont la taille ne cesse de grandir créant la panique dans toute la ville, détruisant tout sur son passage. Ce roman apparait ainsi comme un bel hommage aux films fantastiques et d’épouvante des années 60, avec leur musique faite à l’aide d’un instrument bien particulier, le thérémine, qu’un qrcode permet d’écouter, et leur façon de suggérer plus que de montrer l’horreur, ce que réussit bien le texte.

Comme dans les contes de fée, le roman oppose un enfant à la puissance du mal incarné ici dans ce monstre. Avec beaucoup de réalisme, le récit évoque la psychologie d’un enfant ordinaire, sa peur de ne pas être cru par les autres, ses recherches qui le conduisent à suivre celles de son propre grand-père, sa détermination lorsqu’il a compris être le seul à savoir comment venir à bout de cette créature.  Beaucoup de qualités donc dans ce récit où tout est fait pour que le lecteur d’identifie au héros. L’illustration de couverture, signée Nicolas Degaudenzi reprend les codes graphiques des affiches des films de série B avec le surgissement du monstre hors de l’écran pour s’emparer du spectateur. Les illustrations de Cab, dans les pages intérieures, dans un pur noir et blanc, montrent un héros peut-être particulièrement jeune, à la fois soutenu par ses parents,  et confronté au monstre suggéré par ses griffes, son œil, laissant le lecteur le reconstituer en entier grâce au texte.

Belle mise en page enfin pour cet ouvrage, dont les pages sont encadrées d’une bordure noire, trouée régulièrement comme une pellicule de film, tandis que chaque chapitre s’ouvre sur un clap et le rayon blanc de la lumière qui sort du projecteur. Façon de montrer l’omniprésence du cinéma dans cet ouvrage fort en sensations !

Le Fantôme des Cévennes

Le Fantôme des Cévennes
Isabelle Renaud
Thierry Magnier 2024

Le rôdeur sur le toit

Par Michel Driol

Gaby et sa petite sœur Avril vont passer une semaine dans les Cévennes chez leur tante Colette et son épouse Francesca. Colette a souffert d’un cancer, et Gaby a un peu d’appréhension à l’idée de retrouver sa tante. Les propriétaires de leur mas sont des Parisiens peu sympathiques, mais, pas loin, il y a le gite d’étape Le Namasté, où habite Elsa, une petite fille ben dégourdie, ainsi qu’un jeune Suisse, Léonard,  à la recherche des tombes de ses ancêtres Huguenots. Mais quand la nuit on entend de drôles de bruits sur le toit, on se demande si ce n’est pas le fantôme de l’ancien propriétaire qui viendrait rôder. Les enfants mènent l’enquête…

On retrouve tous les ingrédients d’une bonne histoire de fantôme, dans un décor de montagne : une maison isolée, des bruits nocturnes, des objets qui se déplacent, la légende locale du draket que raconte Elsa, et des silhouettes blanches que l’on aperçoit en pleine nuit… Toutefois l’épouvante est ici mise à distance par l’humour dans une narration vive et dynamique prise en charge par Gaby, à la première personne. La chute de ce récit d’aventure, bien sûr, est d’une grande rationalité, montrant qu’il n’y avait rien de surnaturel derrière tout cela, que les enfants se sont laissé tromper par une série de faits et de situations que personne n’aurait devinés. Beaucoup de bruit pour rien ! Le récit s’inscrit au mieux dans les Cévennes protestantes, avec les tombes dans les propriétés, avec le souvenir des Camisards encore vivace, et la quête du passé  conduite par Léonard qui a conservé le livre d’heures de son ancêtre. Les personnages ne manquent pas d’intérêt : les propriétaires parisiens, avec leurs zones d’ombre et leurs secrets, les parents d’Elsa, gérants du gite, mais surtout la famille de Gaby. D’abord un couple homosexuel de deux femmes amoureuses et se souciant l’une de l’autre, l’une luttant contre sa maladie avec l’aide de l’autre, qui veille sur elle. Mais c’est surtout le personnage de Gaby dont on voit l’évolution entre le début et la fin. Il grandit, en apprenant à vaincre sa peur de la mort (il n’est pas allé à l’enterrement de sa grand-mère) et en comprenant comment la vie se perpétue, de génération en génération, et comment il peut cultiver le souvenir de celles et ceux qui l’ont précédé. Il comprend aussi comment il peut donner de la vigueur à sa tante malade, une force spirituelle liée à la nature.

Un récit d’épouvante, plein de drôlerie et de personnages attachants dans des situations dramatiques , qui est aussi un beau roman d’initiation.

 

Possession

Possession
Moka
Ecole des Loisirs Medium + 2022

Maison hantée ?

Par Michel Driol

Lorsque Malo, qui a environ 10 ans, revient chez lui après avoir passé deux mois dans une maison de repos, à la suite d’un épouvantable drame familial, il a du mal à renouer le contact avec ses parents et sa sœur ainé. Tous semblent sombrer de plus en plus dans la folie. Malo, quant à lui, est persuadé que la maison lui en veut : bruits inquiétant, formes bizarres, déplacements d’objets. Il s’en confie à une camarade d’école, Al, dont la sœur, aidée d’un curieux historien local, va mener l’enquête…

Comme tout bon roman fantastique ou d’épouvante, celui-ci s’ancre d’abord dans le réel. Les premiers chapitres, avec une forte dimension psychologique, nous plongent dans l’état d’esprit de Malo, dans le souvenir oublié d’une terrible tragédie dont personne, dans la famille, n’est sorti indemne. Ces premières pages ne présentent pas seulement les personnages. Elles contribuent à créer une impression oppressante, inquiétante, qui ne se dément pas. Tous les personnages de la famille, à l’exception de la grand-mère qui disparait vite du roman, semblent atteints par une folie insidieuse, celle du rangement pour la mère, phobie des réseaux et de la télévision pour le père. A cette famille anxiogène s’opposent d’autres personnages, en contrepoint bienvenu. Al, la petite copine, pleine de fantaisie et de désirs de métiers futurs, qui n’a pas la langue dans sa poche, Sa sœur, qui va petit à petit tomber amoureuse du jeune historien. Personnages pleins de vie, de légèreté, qui enquêtent sur le passé, sur le nom étrange de la rue où habite Malo, Rue de la Roue d’Abandon… La force du roman est de nous faire basculer petit à petit dans un récit d’épouvante, en semant des petits indices qui, d’abord, n’ont l’air de rien, mais en nous emmenant ensuite dans un univers de maison diabolique à laquelle il parvient à nous faire croire en maitrisant la montée de la peur, la montée du drame, la montée de la tension, la montée de la folie jusqu’à un climax terrifiant dans la plus pure tradition du genre.  Si le ressort dramatique est bien la peur – à la fois celle qu’éprouvent les personnages, celle qu’éprouve aussi le lecteur, en filigrane c’est aussi des dangers qui assaillent les enfants qu’il est question. Dangers qui rôdent depuis le moyen âge, comme une sorte de malédiction et qui rendent précieux les personnages comme la grand-mère protectrice et aimante, ou le couple d’amoureux qui se prennent de compassion pour Malo.

Un roman d’épouvante à lire d’une traite, avec des dialogues souvent savoureux qui équilibrent une atmosphère aussi terrifiante que possible !

Les Elèves de l’ombre

Les Elèves de l’ombre
Anaïs Vachez
Casterman 2020

Prof maléfique

Par Michel Driol

Jade entre en cinquième, la boule au ventre, car elle n’a pas vraiment d’ami au collège. Mais le pire est qu’elle a un nouvel enseignant de français, M. Erbenet, qui plus est son professeur principal , un homme inquiétant, sévère, qui pour un rien colle les élèves. Et après les heures de colle, ces derniers sont métamorphosés, deviennent à la fois vides et élèves modèles. Qui est-il vraiment ? A l’aide d’Adry, Jade mène l’enquête…

Les lecteurs ados aiment à avoir peur, et on se souvient du succès de certaines collections. Ce roman, de la collection Hanté, chez Casterman, reprend un certain nombre de caractéristiques du roman d’épouvante pour ados : un milieu familier, le collège, un personnage inquiétant qui semble doté de pouvoirs surnaturels, une transformation progressive des personnages, une héroïne qui risque à son tour d’être transformée mais finalement permettra de rétablir l’ordre et d’éliminer le mal. La narration est conduite avec efficacité, narration à la troisième personne qui établit une distance entre le narrateur et ses personnages. On a donc affaire à un bon « page turner », qui confronte une adolescente au mal, incarné ici par un des tenants de l’autorité morale, un professeur, adolescente que l’épreuve fera grandir tant dans ses rapports avec sa mère qu’avec les autres.

Une histoire juste assez cruelle pour mettre à distance ses propres terreurs sans en être traumatisé.