L’évadé de Belle-Île, Histoire d’un bagne pour enfants

L’Evadé de Belle-Île, Histoire d’un bagne pour enfants
Philippe Nessmann et Piero Macola

Éditions des éléphants, 2025

« C’est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant » (Jacques Prévert)

Par Lidia Filippini

Décembre 1934. Un jeune homme adresse une lettre à un journaliste. Il y décrit les six mois qu’il a passés au pénitencier pour mineurs de Belle-Île-en-Mer. Au printemps précédent, arrêté pour le vol d’une paire de chaussures, accusé de vagabondage, il est envoyé à la « maison d’éducation surveillée » – prétendument pour y apprendre un métier. Ce jeune orphelin de quatorze ans, qui vivait dans la rue depuis plusieurs mois, découvre alors ce qu’il serait plus juste de nommer un bagne. Aux conditions de vie effroyables s’ajoutent la maltraitance des geôliers et la violence des autres prisonniers. Devenu le souffre-douleur d’un vrai délinquant plus âgé que les gardiens protègent parce qu’ils ont peur de lui, le jeune garçon n’a d’autre solution que de se faire punir afin d’être envoyé au cachot le plus souvent possible. Là, au moins, il peut échapper à son harceleur.
Un soir, pourtant, refusant de céder son morceau de fromage à son bourreau, il le mange avant sa soupe – ce qui est formellement interdit par le règlement. Ce simple geste déclenche la fureur des gardiens qui se jettent sur lui pour le frapper avec une rare violence.
Cet incident met le feu aux braises. Comme un seul homme, tous les jeunes prisonniers se lèvent et se ruent sur leurs geôliers. Commence alors une course folle qui les conduira sur les routes de Belle-Île, une évasion collective aussi inattendue que perdue d’avance mais qui leur permettra d’entrevoir, quelques instants le rêve d’une vie meilleure.
Philippe Nessmann relate ici un évènement réel. Le 27 août 1934, une cinquantaine de prisonniers de la colonie pénitentiaire pour jeunes délinquants de Belle-Île-en-Mer s’évadent. Dépassés par les évènements, les gendarmes de l’île offrent une récompense de vingt Francs à toute personne qui attrapera un fugitif. En quelques heures, tous les mutins sont retrouvés.  Jacques Prévert, qui séjourne alors dans la région, entend cet appel et, choqué, en tire un bouleversant poème, La Chasse à l’enfant.
Comme dans l’album, la révolte de Belle-Île eut pour élément déclencheur le passage à tabac d’un garçon qui avait mangé son fromage avant sa soupe. De ce jeune homme, l’histoire n’a pas retenu l’identité. L’auteur imagine son parcours à partir de témoignages recueillis auprès des prisonniers de l’époque. Il lui donne aussi un prénom, Joseph, que le lecteur découvre à la toute fin de l’album. En recouvrant sa liberté, le personnage acquiert une identité propre. Recueilli par une tante qui lui trouve un emploi, il va pouvoir enfin trouver sa place dans la société.
Des magnifiques illustrations de Piero Macola émane toute la tristesse des personnages. Les gris, les bleus froids dominent dessinant un univers sombre et sans espoir. Les visages ont les yeux cernés de noir, les bouches ouvertes par l’effroi. Tout cela vous touche au cœur.
À la fin de l’album, un dossier très bien construit donne des indications sur le contexte historique. On y trouve des photos d’époque et des réponses aux questions que pourraient se poser les jeunes lecteurs : Qui envoyait-on en colonie pénitentiaire ? Comment s’est déroulée la révolte de 1934 ?… Un grand paragraphe explique également le rôle d’Alexis Dahan, le journaliste qui, de 1926 à sa mort en 1979, écrivit sans relâche pour faire connaître l’horreur des bagnes pour enfants. Rappelons que celui de Belle-Île ne ferma ses portes qu’en 1977.

Une Ile

Une Ile
Alice Brière Haquet, CSL
À pas de loups, 2024

Robinson… et compagnie

Par Anne-Marie Mercier

« Certains matins j’aimerais bien partir ». C’est ce que dit cette petite dame frisée aux joues roses. Partir, tout quitter, c’est un rêve d’ile, bien sûr.
Mais le sourire de la petite dame dit d’emblée que partir n’est pas vivre seule. Il faudrait emmener le chien d’abord, « et puis quelques amis », et puis la famille, et puis les gentils voisins, mais aussi quelques crétins, « pour l’équilibre », des animaux, des enfants, et. Page après page, l’image du départ, lisse, qui nous plonge dans le rose et le bleu, se remplit de formes sommaires en noir et blanc qui représentent toute notre humanité et la vie qui l’accompagne, pour se vider à nouveau : c’est comme une respiration.

C’est simple, frais, vrai et rempli d’amour de l’humanité… à condition de pouvoir parfois la quitter un peu…

Rosie court toujours

Rosie court toujours
Marika Maijala
Traduit (finnois) par Lauriane Renquet
Hélium, 2021

Cours plus vite, …elle a filé

Par Anne-Marie Mercier

Cet album surprenant au grand format allongé, nous vient de Finlande. C’est un petit bolide. Il marque, par une impression de vitesse et d’espace dévoré. Traitées en pastels gras appliqués à grands traits, saturées de couleurs, imitant un style enfantin, elles nous font suivre un lévrier de course, nommé Rosie.
On la voit d’abord dans ses compétitions, puis au repos dans sa cage, puis échappée et cherchant un endroit pour vivre : elle traverse une ville puis une autre, découvre la mer… Après plusieurs espoirs déçus (la maison et le jardin d’une vieille dame ? un cirque ? une petite fille dans une voiture ?), elle trouve la vraie liberté, celle de courir avec d’autres chiens, dans un jardin «public» c’est-à-dire qui n’appartient à personne, comme elle désormais.

C’est un album où l’air circule, où on sent l’odeur de l’herbe et de la mer: un bel espace de liberté et un plaidoyer pour elle.

Chevalier d’Eon, vol. 3: La forteresse

Chevalier d’Eon, agent secret du roi, vol. 3: La forteresse
Anne-Sophie Silvestre

Flammarion (grands formats), 2011

Le feu sous la glace

par Anne-Marie Mercier

9782081265356.gifPas plus que dans les autres tomes (moins, même) Anne-Sophie Silvestre ne s’embarrasse ici de la véracité historique. Il semble même qu’elle ait décidé de s’en amuser de plus en plus, d’un volume à l’autre et de jouer avec le vraisemblable, le vrai et la chronologie. Puisque le chevalier d’Eon lui-même a tout inventé de cette histoire russe, pourquoi ne pas le suivre, en effet?

 Et, vrai de vrai, c’est un régal de fantaisie et d’aventures. On rit beaucoup, par exemple à l’idée des chants de carabins français qui s’échappent de la terrible  forteresse… Les thèmes se rapprochent des romans populaires (le prisonnier mystérieux, l’enlèvement, l’enfant-roi caché…) comme du roman d’espionnage (il s’agit de faire évader un espion français puis de l' »exfiltrer » incognito). Les descriptions des paysages du nord emportent loin, on va à bride abattue en troïka sur la glace des lacs gelés, on boit de la vodka pour se réchauffer, on chante, on rêve… enfin  , on apprend beaucoup sur l’histoire russe des 17e et 18e siècles. Et on laisse le pauvre chevalier bien mal en point à la fin du livre : à suivre!