Je suis un hikikomori
Florence Aubry
Mijade (zone J), 2010
La Chute, vue d’enfance
Par Anne-Marie Mercier
Ce petit roman évoque moins le fait de société évoqué par son titre (hikikomori désigne les jeunes gens qui au Japon s’enferment dans leur chambre pendant des mois voire des années) qu’une situation poignante et pourtant banale dans laquelle beaucoup d’adolescents se retrouveront. Le narrateur est un jeune garçon qui vit seul avec sa mère. Il est au début du récit enfermé dans sa chambre depuis plusieurs semaines, seul avec son ordinateur. Il ne sort pas. Personne n’entre, la nourriture est déposée devant sa porte. Le récit de ce temps de retrait volontaire du monde est alterné par celui des événements parfois minimes qui ont amené cette situation, depuis son arrivé en ville au début de l’année scolaire, avec des évocations de sa vie d’avant, avec des copains, le chant des grenouilles, une vie heureuse jusque là.
Le point de départ est ordinaire : la solitude de celui qui arrive dans un nouveau lieux, de nouveaux groupes, les tentatives pour être remarqué, se faire des amis ; les amis, le point central est là : pourquoi certains en ont-ils et d’autres pas ? est-ce l’apparence, la voix, l’attitude, ou autre chose de plus mystérieux ? Enfin, c’est le sentiment de honte qui domine : la honte absolue, non pas celle d’un innocent accusé, ou d’un être dont on se moque, mais celle du traître, du lâche, de celui qui a perdu la face devant ses pairs et qui a surtout perdu l’estime de soi. La fin du récit ouvre cependant vers un espoir de retour à la vie et à l’amour pour autrui à travers la fascination pour la légèreté et l’innocence d’une toute petite fille.
Il est rare en littérature de jeunesse, domaine où les héros doivent être des images acceptables pour le lecteur, d’entrer dans la peau d’un narrateur placé dans une situation aussi désespéré par sa propre faute. Il est également rare de voir combien une mauvaise plaisanterie (on songe à Kundera, brièvement) peut provoquer de désastres : pour qui veut paraître spirituel, la frontière entre le bon mot et la faute de goût ou l’erreur fatale est souvent mince. La conjonction de deux thèmes très importants pour les ados et ceux qui le sont restés (les « jeunes adultes »), l’envie d’être populaire et la maladresse des propos et des situations fait de ce texte une belle exploration des difficultés de la relation aux autres.