Un autre rivage

Un autre rivage
Chloé Alméras
Gallimard Jeunesse 2022

Quand la mer a monté…

Par Michel Driol

Après que la mer a monté, tout un village se retrouve sur des bateaux en quête d’un lieu pour aborder et refaire sa vie. Racontée à la première personne par une enfant, cette histoire montre le village en butte aux puissants qui ne veulent pas l’accueillir, jusqu’à ce qu’un oiseau blanc prenne ces réfugiés climatiques sur ses ailes et les transporte dans une ile où ils pourront retrouver une vie normale.

Comment aborder, à destination des plus petits – à partir de 4 ans – ces problématiques de migration climatique, d’exil, d’inhospitalité de nos sociétés, sans les traumatiser ou les désespérer ? Cet album réussi tient cette gageure, par ses choix narratifs d’abord. C’est une enfant qui raconte, une enfant avec une famille, dont une petite sœur qu’elle protège, avec laquelle elle invente des histoires, de façon à permettre l’identification de l’enfant lecteur. Par son écriture, qui utilise les métaphores pour dire le monde hostile de ceux qui refusent d’accorder l’hospitalité. Par ses techniques d’illustration ensuite. Si la mer envahit tout, les bateaux constituent des espèces de cellules closes, protectrices, ovales, dans lesquelles se serre la famille – à l’image de ces enfants qui se précipitent, le dimanche matin, dans le lit des parents. Enfin par le recours à l’imaginaire, qui ouvre la voie à une fin heureuse quand le lecteur adulte sait que la fin est souvent tragique. Cet oiseau blanc qui sauve les naufragés, après que plusieurs ont refusé l’asile aux réfugiés, renvoie aussi à la colombe de la paix, à une puissance protectrice, et le texte a l’intelligence de laisser le lecteur l’identifier. Je l’ai reconnu, dit sobrement la narratrice… Cet imaginaire, c’est aussi celui des sources d’inspiration des illustrations, qui semblent plonger à la fois dans les cultures polynésienne, aborigène et sud-américaine. L’album se clôt sur une utopie, peuplée de gens accueillants, vivant en lien avec la nature, comme la promesse d’un lieu où les exilés pourront à nouveau s’enraciner, à l’image des arbres évoqués dans la dernière phrase.

Un album empli de délicatesse et d’émotion, qui sait conjuguer la magie et l’humanité pour souhaiter qu’un autre futur soit possible sur la terre, notre maison commune.

Pas chez nous !

Pas chez nous !
Yaël Hassan
Le Muscadier – Collection Rester vivant – 2022

Bienvenue à B* ?

Par Michel Driol

La préfecture décide d’ouvrir  à B*, bourgade du Var, un foyer pour accueillir une quinzaine de migrants, au grand dam de son maire, d’extrême droite. Plutôt que de résumer le roman, afin de laisser à chaque lectrice et lecteur le plaisir de suivre l’intrigue, on va en donner la liste des principaux personnages. D’abord l’héroïne, Amélie, fille du maire, qui rêve de liberté, et est tombée amoureuse d’Anton, un néofasciste violent. Sa principale amie, Clara, bien différente d’elle, fille du directeur du journal, élève sérieuse et ouverte, qui rêve de devenir journaliste. Issam, un jeune migrant dont toute la famille a péri en Syrie. Et, du côté des adultes, le père et la mère qu’Amélie, que tout oppose (l’un d’extrême droite, hostile aux migrants, l’autre de gauche, favorable), Crystel qui a monté une association pour le vivre ensemble, et la grand-mère d’Amélie, ancienne institutrice fortement opposée aux idées de son fils.

Ecrit en suivant au plus près le point de vue d’Amélie, le roman ne se refuse pas à une certaine polyphonie, en prenant en compte différents regards sur l’accueil des migrants et demandeurs d’asile, mettant en particulier en évidence, au-delà du refus idéologique de l’extrême droite, cette peur de l’inconnu qui disparait lorsque l’inconnu devient connu. Le roman s’inscrit dans un espace géographique bien délimité, le Var, pour une intrigue pleine – hélas- de réalisme, dans une petite communauté où tout le monde se connait. Dans ce quasi huis-clos en plein air, il montre surtout que les certitudes peuvent vaciller, et que tout le monde peut évoluer dans le bon sens, et prendre conscience, à son rythme, des dangers que représente l’extrême droite, dangers que le roman expose sans fard : tags sur les murs, certes, mais surtout haine des juifs et des étrangers, violence sans limite et incontrôlable. Les deux adolescentes, Amélie et Clara, sortent grandies et transformées des événements qu’elles traversent. A un certain moment, il faut savoir dire non, ce que font, petit à petit, tous les personnages que Yaël Hassan traite avec empathie – à l’exception des néonazis. Avec une mention spéciale pour le personnage du père d’Amélie, véritable caricature du politicien récupérant tout à son avantage, sans grande conviction au fond. Malgré son côté sombre, c’est un roman optimiste, dont l’auteur indique que le déroulement et le dénouement lui ont été inspirés par la réalité.

Un roman qui résonne avec l’actualité récente, comme de nombreux autres ouvrages de littérature jeunesse qui n’hésitent pas à s’engager au nom des valeurs d’hospitalité et d’ouverture aux autres, comme ces auteurs à laquelle la bibliothécaire jeunesse que rencontre Amélie rend hommage, comme un clin d’œil adressée par Yaël Hassan à celles et à ceux qui, comme elle, croient que la littérature pour la jeunesse peut ouvrir les yeux sur le monde contemporain et faire changer les représentations et préjugés.

L’invité arrive

L’invité arrive
Du Fu, Sara

HongFei, 2014

D’un diamant tendre à la main

Par Dominique Perrin

saraL’invité arrive est un poème chinois du 8e siècle, dont l’apparente et comme impersonnelle simplicité semble contenir les plus anciens trésors de la convivialité humaine :

 « Les eaux printanières se répandent
au nord et au sud de ma maison,
tandis que des nuées de mouettes
passent jour après jour.
Je n’avais jamais balayé l’allée aux fleurs,
faute de visiteurs ;
mon portillon de paille s’ouvre enfin,
pour vous accueillir aujourd’hui. (…) »

Les éditions HongFei associent au rayonnement transhistorique de Du Fu l’art de Sara, maitresse en papiers déchirés évoquant la vie et sa poussée de sève. L’image pastel  très sobre superpose à la transparence du texte celle des choses mêmes : feuillages et fleurs, ciel et eaux, verres accueillants et portillon de paille… Notons enfin que l’ouvrage de haute taille qui en résulte associe à la plus grande classe plastique trois pages finales de contextualisation. Que de telles œuvres se publient en temps de crise incite à esquisser un pas de danse…