Mäko

Mäko
Julien Béziat

L’Ecole des loisirs (Pastel), 2011

La carte fait le menu

Par Matthieu Freyheit

MäkoMäko est un morse du pôle. C’est aussi un artiste, qui à partir de ses observations des fonds marins sculpte la glace des surfaces, faisant naître une cartographie givrée des profondeurs. Dressant, surtout, une carte des coins à poisson, facilitant la pêche des animaux de la surface. Sauf que. Sauf que réchauffement oblige, les sculptures de Mäko disparaissent, emportées par la dislocation des glaces. Et tandis que les sculptures disparaissent, les poissons les accompagnent, chassés eux aussi par le changement climatique en cours. À la disparition des poissons répond la multitude des prédateurs, phoques et pingouins, qui au centre de l’album apparaissent dans une double page qui démultiplie les regards angoissés devant la faim qui gagne les ventres. La famine, de fait, n’appartient pas qu’au genre humain. Mais l’album ne cherche pas la dramatisation et tente d’offrir par l’imaginaire une réponse impossible à un sinistre annoncé. Mäko imagine une baleine, et la baleine apparaît, remplie des poissons qu’elle déverse en offrande aux affamés. Mais le miracle ne se reproduit pas nécessairement : le morse finit par sculpter des poissons imaginaires, et les océans se dépeuplent autant qu’ils continuent sous son effort d’être peuplés de rêves de vie. Ce bel album, aux tracés proches d’un style présent dans la bande dessinée, décline en couleurs froides la vie de la banquise, comme sa lente dérive.

 

 

Pauvre Petit Chat

Pauvre Petit Chat
Michel Van Zeveren
Pastel, 2012

Ne pas regarder le doigt… 

par Christine Moulin

47853L’idée de départ est originale : un pauvre petit chat blanc est perdu. La lune s’en rend compte et, affublée d’un grand nez, se met à lui parler. Elle le rassure, le prévient des dangers qui le menacent, le houspille parfois: bref, une vraie mère…!

Sur fond noir, au sombre de la nuit, le récit « en randonnée » (qui ne nous mènera pas bien loin: on ne quitte pas le quartier du petit chat!)  permet ici de s’identifier au héros et d’affronter, pour se rendre compte qu’on peut y échapper, les dangers qui menacent les petits: le bruit qui fait peur, la porte qui claque et qui fait mal, mais aussi la honte, la peur de l’abandon… Qu’il sera doux pour les enfants de trembler pour de faux!

L’adulte, quant à lui, a le droit de voir dans cette histoire un reflet de la façon dont on traite les exclus dans notre société: les indifférents d’hier se glorifient d’être les « sauveurs » d’aujourd’hui. Un écho de la façon dont on peut lire le phénomène des « Restos du coeur »? Qui sait ?

La chute, comme toujours chez Michel Van Zeveren, laisse la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations et de réflexions… La lune, par exemple, pourrait-elle être une figure de l’auteur qui fait mine de se désoler des malheurs de son personnage mais qui doit bien les lui faire subir pour qu’existe l’histoire, jusqu’au silence final, celui sur lequel se referme le livre…?

Quand j’étais petit

Quand j’étais petit
Mario Ramos

L’école des Loisirs (Pastel), 2011 (réédition, première édition 1997)

Un album sans texte à portée philosophique

par Sophie Genin

9782211043229.gif Sur la quatrième de couverture de cet album animé qui ne paie pas de mine au premier abord, on trouve une citation de George Bernard Shaw (écrivain irlandais ayant obtenu le prix Nobel de Littérature en 1925) :

« Beaucoup de gens ne sont jamais jeunes ; quelques personnes ne sont jamais vieilles ».

En effet, chaque double page de cet album sans texte s’éclaire à la lumière de ces mots : sous l’animal adulte (toujours humanisé), on découvre l’enfant qu’il a été : la maman chat à la fenêtre qui ne voit pas les souris les chassait petite, le lion sans abri qui fait la manche se déguisait en roi, le rhinocéros bougon qui part au travail en costume s’asseyait dans l’herbe et jouait avec les petits oiseaux… Ils ont tous changé, et pas forcément en bien, sauf la girafe, déjà curieuse petite et l’éléphant artiste de la couverture, comme un double de Mario Ramos (qui semble dire : « quand j’étais petit » !). Petit, l’éléphant peignait déjà… sur les murs !
Ce bel album, simple et pudique, est à mettre entre toutes les mains, des petits mais surtout des grands, histoire de se poser quelques questions sur l’éducation, l’avenir, l’évolution des rêves d’enfance, ce temps de latence où tout était possible, avec un peu de nostalgie ? oui, aussi !