Ma mère des banquises

Ma mère des banquises
Didier Lévy – Illustrations de Tiziana Romanin
Les Editions des Eléphants 2023

3 semaines d’absence

Par Michel Driol

La maman de l’héroïne est partie étudier les ours polaires. Impossible de la joindre durant 3 semaines. Mais elle a laissé dans l’appartement une lettre par jour pour sa fillette qui, en échange, tient son journal pour évoquer cette absence, sa vie avec son père.

Evoquons d’abord  le côté très cinématographique des illustrations. Tout commence par un plan large, dans un aéroport, on la fillette et son père, de dos, voient un avion, derrière les verrières. Puis alternent les pages en couleur chaudes, dans l’appartement, ou parfois dans la rue, montrant la fillette et son père, avec un témoin muet, le chat. Des scènes quotidiennes, la vaisselle, le brossage de dents, le câlin pour montrer cette vie à deux. Alternent avec ces pages celles où on voit la mère, couleurs froides, paysages tourmentés de banquise, avec l’omniprésence des ours blancs, dessinés, photographiés. Ces illustrations opèrent un vrai travail de montage pour rendre encore plus sensible cette histoire de séparation, d’éloignement.

Ensuite le texte, celui du journal de la fillette, journal destiné à la mère. Elle évoque la situation qu’elle trouve douloureuse, à la fois fière de ce fait sa mère, et en même temps, désireuse de ne pas la voir s’éloigner ainsi. Des phrases simples, un vocabulaire d’enfant, pour dire ses sentiments et raconter  au quotidien le temps qui passe lentement, les routines, et la tendresse de la relation qui se noue avec son père. Le texte fait preuve de finesse et d’une grande sensibilité, sans aucune espèce de mièvrerie. La fillette montre en fait une grande maturité dans sa façon de vivre l’absence, de comprendre et d’accepter la passion de sa mère, de ne jamais lui en faire le reproche.

 Enfin, la situation. Ce n’est pas le père qui part explorer le monde, c’est la mère la scientifique, la voyageuse. Cela mérite d’être souligné, pour ce que cela dit aussi de la volonté d’émancipation que manifeste ici la littérature pour la jeunesse, en déconstruisant simplement les stéréotypes, pour rappeler que l’essentiel est dans la relation et dans l’amour, et que chacun peut vivre ses passions.

Un album tout en douceur pour évoquer la situation vécue par de nombreux enfants lorsque, pour des raisons professionnelles, un des parents est obligé de partir au loin.

Le Secret des sables

Le Secret des sables
Levi Pinfold
Traduction (anglais, UK) par Claire Billaud
L’école des loisirs, 2023

Nouveau classique, beauté pure

Par Anne-Marie Mercier

L’album s’ouvre sur un poème : « Roses blanches nous vous suivons vers l’Oracle du Vallon/ Désert de mort puis la fontaine d’une demeure souveraine / Au calice ayant goûté, nous entrons dans le palais / Rompons le pain pour le Gardien, descendons toujours plus loin / En plongeant dans le bassin, nous tombons entre ses mains / Loin de tout ce qui est, prisonniers à jamais. »
Pour l’héroïne de l’histoire, une fillette qui roule avec ses trois grands frères (Bill, Dany et Bob) dans une vieille voiture à travers le désert, « c’est juste une chanson stupide ». Ils la connaissent tous ; on apprend par la suite que leur mère la chantait. Négligeant l’avertissement qu’elle contient et contre l’avis de leur sœur, les garçons en accompliront toutes les étapes : arrêt pour cueillir des fleurs blanches pour leur mère – elles fleurissent curieusement au milieu du désert – rafraichissement à la fontaine qui se trouve devant un hôtel gigantesque et apparemment abandonné, collation sur la table magiquement dressée pour eux, bain dans la piscine intérieure de l’hôtel, et disparition : les garçons sont-ils devenus les dauphins que l’on voit évoluer dans la page qui suit leur entrée dans l’eau ?
La fillette restée seule les cherche partout et finit par rencontrer un grand lion, l’Oracle. Il lui révèle que ceux qui se sont nourris et ont bu chez lui doivent rester sous sa loi (comme dans le mythe de Perséphone, ou l’Odyssée et La Belle et la Bête. Si elle veut sauver ses frères, elle doit rester prisonnière pendant trois jours dans ce paradis (le titre original est « Paradise Sands ») ; si elle mange ou boit quoi que ce soit, elle restera avec ses frères. On retrouve ici le thème d’une sœur qui doit subir des épreuves pour sauver ses frères métamorphosés (comme dans « Les Cygnes sauvages » d’Andersen », Le Tunnel d’Anthony Browne…).
« Le premier jour un banquet avait été dressé ». Si les images du bâtiment avaient déjà un air de déjà-vu (L’Île des Morts (Die Toteninsel) d’Arnold Böcklin, Chirico… des architectures italiennes des années 30 et 40 ?), la scène du banquet est à rapprocher d’un tableau représentant la Cène (celui de Ghirlandaio ? un peu de Vinci ?). La blancheur et la rectitude des plis de la nappe et de la colonnade en arrière-plan contrastent avec la noirceur des eaux d’un bassin et du bois de grenadiers en arrière sur lequel se détachent les colonnes (rappel : la grenade symbolise la mort, c’est le fruit que Perséphone a mangé et qui l’a condamnée à passer la moitié de son temps avec Hadès, le Dieu des enfers, qu’elle a dû épouser). La sa robe bleu pâle de la fillette fait contraste avec l’apparence des autres convives, des animaux blancs ou noirs (mouton, chat, cheval…). Le deuxième jour, le ciel s’est éclairci et d’autres animaux apparaissent (éléphants, girafes, singes). Le troisième jour, il n’y a plus que « la chaleur et le soleil » et des corbeaux avec la fillette, qui n’a toujours rien bu ni mangé, mais qui donne de l’eau à ses fleurs « pour les garder en vie ».
Cette erreur fait que, si elle peut quitter le gardien avec ses frères, ses propres enfants devront subir la même épreuve. L’enchantement se dissipe, tout s’évanouit, il ne reste plus que le désert, la voiture dans laquelle elle retrouve ses frères endormis, auprès desquels elle s’endort à son tour.
Un rêve ? L’interprétation reste ouverte. Les dernières pages laissent planer le doute : arrivés à destination (l’image nous fait comprendre que la mère est à l’hôpital), il semble que la mère, voyant les fleurs, devine quelque chose de toute l’histoire, sans doute parce qu’elle-même l’a déjà vécue. Au fait, la famille est d’origine amérindienne ; un talisman est accroché au rétroviseur. Et Perséphone et sa mère Céres (ou Proserpine et Déméter), c’est encore une histoire mère-fille.
Le style de Levi Pinfold est proche de celui de Van Allsburg, par cette façon de laisser l’interprétation en suspens (par exemple dans L’Épave du Zéphyr, Boréal Express, L’Etranger, etc.) mais aussi par la délicatesse du trait et l’art de jouer avec différents niveaux de gris. La couleur ici est rare : robe bleu pâle de la fillette, orange des fruits du grenadier ; le reste est baigné d’une poussière grise, ocre ou beige. Les multiples références littéraires et picturales font de cette œuvre un carrefour de sens, mêlant les genres et les époques. De nombreux traits réalistes coexistent avec un ancrage fort dans le fantastique. Enfin c’est superbe et mystérieux, à lire et à relire.

Levi Pinfold est l’illustrateur de la série Harry Potter en édition collector ; il est sur la liste  Yoto Carnegie Shortlist en 2023 pour The Worlds We Leave. Il est l’auteur de La Légende du chien noir (Little Urban , 2015) et a illustré Le Barrage de Davis Almond (D’Eux), 2020). Un auteur illustrateur à suivre !

 

 

Sénégal

Sénégal
Artur Scriabin – Joanna Concejo
Atelier du poisson soluble – 2020

Il a neigé sur yesterday

Par Michel Driol

Un album tout en demi-teintes qui évoque des souvenirs d’enfance : le seul jour où il a neigé au Sénégal. Le narrateur se souvient de la chanson que sa mère chantait ce jour-là, chanson qu’il n’a entendue qu’une seule fois, chanson qu’il écoutait, qu’il écoute…

Très poétique, l’album propose une rêverie pleine de mélancolie autour des souvenirs, associant avec émotion la voix de la mère et la chanson avec l’événement extraordinaire de la neige tombant sur la savane. Le texte est hommage filial à la voix de la mère, voix qui traverse les choses comme la migration des oiseaux ou les moissons, voix qui traverse aussi le temps dans les souvenirs du narrateur. La voix de la mère, la chanson, font naitre des espaces et des temps qu’elle a sans doute vécus, une autre neige, au loin. Ces souvenirs qui se mêlent, ceux de la mère, ceux du narrateur, n’ont rien de triste, mais font naitre la nostalgie d’un passé révolu, à la fois merveilleux comme ce jour de neige, cette observation des flocons, du paysage qui change, et douloureux comme cette sensation de froid quand on n’est vécu que d’un pantalon court et d’un tee-shirt troué. La force du texte est de suggérer plus que décrire, d’emmener le lecteur dans un autre univers, vers ce Sénégal lointain, vers cette mère dont on entend encore la voix.

Ce texte tout en nuances est sublimé par les magnifiques illustrations de Joanna Concejo. Dans des tons fanés, estompés comme les souvenirs, elle propose des images d’un réalisme poétique qui racontent une autre histoire en s’inscrivant dans les interstices du récit. Elles donnent figure au couple des parents, dans une première image montrant un baiser, elles reproduisent des cartes postales, possiblement Venise et l’Angleterre. Elles racontent peut-être ce qui pourrait être la vie de blancs au Sénégal, entre intérieur aux assiettes décoratives un peu kitch accrochées au mur et grands espaces, savane et fleuve. Ce double récit, celui du texte, celui des illustrations, contribue aussi à créer cette atmosphère de rêverie qui enveloppe l’album.  On notera que Joanna Concejo a obtenu, non sans raisons, le Grand Prix de l’illustration jeunesse à Moulins pour cet ouvrage.

Un superbe album surprenant et envoutant dont la poésie vient autant du texte que des illustrations.

Rosie

Rosie
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2020

Où est ma maman ?

Par Anne-Marie Mercier

L’argument de ce très bel album pourrait sembler mince, puisqu’il tient à un fil : celui qu’une petite araignée cherche désespérément.
En fait il est lourd de sens, puisqu’au bout de ce fil, à la fin de l’album, on découvre la mère de Rosie qui s’exclame à l’avant dernière double page « Ma fille ! », en écho aux « où est mon fil ? » répétés de page en page par Rosie.  Ce jeu sur les mots rend la métaphore de la fil-iation bien claire pour tous et rattache cet album à tous ceux, bien connus, où l’on voit un petit chercher sa maman (et parfois son père), avec de l’originalité en plus : un insecte, et encore plus une araignée comme héroïne, ce n’est pas courant. Les arachnophobes n’ont rien à craindre d’ailleurs : Rosie est très mignonne ; c’est une petite boule rose aux grands yeux étonnés (où perle, à la fin, une larme) et aux pattes en bâtonnets qui la font ressembler à une boule hérissée d’épingles.
L’autre mérite de cet album tient à la dynamique des pages qui font rebondir la lecture de l’une à l’autre : en suivant un fil, un geste (l’épisode avec les moustaches du chat est superbe), une plante, on suit les aventures de Rosie, tantôt jubilatoires, tantôt effrayantes. Pour ajouter à ce continuum, chaque décor placé à droite des doubles pages pourrait se coller à celui qui s’inscrit à gauche dans la page suivante pour former un leporello continu. Les paysages étranges, tantôt tracés délicatement sur fond blanc, tantôt envahissant tout l’espace comme la forêt de champignons, les créatures géantes rencontrées (à l’échelle d’une toute petite araignée), tout cela propose un beau voyage en images et une histoire captivante et… attachante.

C’est le troisième album de G. Dorémus proposé aux tout-petits, après les jolis Quatre pattes et Tout doux, tous aux éditions du Rouergue.

 

Une Maman c’est comme une maison

Une Maman c’est comme une maison
Aurore Petit
Les Fourmis rouges, 2019

 

Tout est bon dans la maman

Par Anne-Marie Mercier

Construit comme une litanie religieuse, l’album égrène à chaque page la formule « une maman c’est comme… » suivie d’un autre substantif, ou parfois avec des variations longues (« une maman c’est comme la lune dans la nuit ») ou brèves (« une maman c’est doux »). De la période qui précède la naissance (où la mère est une maison, un véhicule), à la naissance (où elle est un nid, une fontaine…) jusqu’à l’âge où l’enfant se déplace seul (elle est alors une barrière, une cachette…)
Dans toutes ces situations on a le point de vue très utilitaire d’un enfant qui voit tout ce que sa mère lui apporte, et en profite… jusqu’au moment où il s’en éloigne, comme on s’éloigne de la maison pour gagner son autonomie. C’est un rappel sans doute salutaire aux mères trop dévouées : même très entouré, un enfant doit pouvoir s’éloigner. La mère apparait comme une présence constante, efficace dans les jeux comme dans les souffrances, l’enfant en profite et c’est tant mieux.

Cette leçon et cette belle évidence sont portées par des images aux couleurs flashy, au dessin simple et parfaitement lisible, images de stabilité et de bonheur. Chaque pièce de la maison, chaque paysage apparait comme un prototype du genre où la mère et l’enfant, mais aussi les amies et surtout le père (bien présent dans certaines pages, participant aux travaux de la maison et aux repas) entourent l’enfant. C’est une célébration tonique des relations que l’enfant tisse dans ses toutes premières années, et un bel album sous une jaquette qui se déplie… comme une affiche.

 

 

 

L’Arbre et le fruit

L’Arbre et le fruit
Jean-François Chabas
Gallimard (Scripto), 2016

Violences familiales : lutter contre le silence

Par Anne-marie Mercier

«  Les victimes ont honte et se terrent. C’est ainsi que les bourreaux prospèrent »

« Quand on partage la vie de ce genre de personne, on n’est pas seulement touché par le mal qui nous est fait directement. C’est le côtoiement constant de l’infamie qui ronge. On respire un gaz mortel, celui qui a tué maman. »

larbre-et-le-fruitLe lecteur n’est pas pris par surprise : le livre est sombre, porteur de sujets graves, l’image de la couverture le lui dit clairement sans être explicite (bravo à Cécile Boyer) : folie de la mère, violence du père, solitude des enfants, naufrage collectif d’une petite famille que tout le monde croit ordinaire pendant longtemps, puis où seule la mère est présentée comme fautive.

On entre tout doucement dans le sujet, d’abord avec le journal de la mère, Grace, internée en soins psychiatrique et persuadée qu’elle va sortir bientôt, que ce n’était qu’une crise passagère due à l’attitude de son mari, méprisant et violent – on le découvrira plus loin raciste (les parents de Grace ont survécu à Mathausen, leurs enfants ont vécu dans le silence) et pervers… On poursuit avec le journal de l’enfant, tétanisée, incapable comme sa mère de se confier à qui que ce soit, paralysé par la honte et la crainte de ne pas être cru… Et les deux voix continuent tout au long du roman à se croiser, la mère rechutant perpétuellement, de plus en plus incapable de réagir aussi bien chez elle qu’à l’hôpital, où ne l’écoute pas lorsqu’elle finit par confier, tardivement, l’origine de son trouble.

Le texte est poignant, le personnage du père accablant, celui de la mère pathétique. Mais on retient surtout celui de la jeune Jewel, lucide, qui essaie de convaincre sa mère de la nécessité d’une révolte, révolte qu’elle mène seule, devenant selon les mots du père la « chienne » de sa mère. La belle leçon de ce livre, portée par le titre, est qu’il n’y a pas de fatalité à être l’enfant d’un homme odieux et à vivre une enfance terrible : Jewel n’a pas hérité des préjugés de son père. Petit à petit elle arrivera à aller la rencontre des autres, et à se battre, à tous les sens du terme (magnifique portrait de boxeur), et gagnera.

Un livre beau, poignant, captivant, utile, vrai, nécessaire.

Une amie pour la vie

Une amie pour la vie
Laëtitia Bourget, Emmanuelle Houdart
Thierry Magnier, 2012

Union des contrastes

Par Anne-Marie Mercier

Une amie pour la vie Laëtitia Bourget, Emmanuelle HoudartAmour et amitié nourrissent les ouvrages de ce duo d’artistes. Le même cœur, plus proche de l’organe que de sa représentation stylisée, en parcourt les pages. Ici c’est un beau portrait d’une vie d’amitié entre deux filles, puis femmes, mères, vieilles femmes, à travers toutes les étapes de leur vie. Le texte est sans surprise dans la description de la perfection tandis que les images  d’Emmanuelle Houdart mêlent stylisation et réalisme, épure et surcharge, provoquent parfois le malaise, suscitent toujours l’émerveillement.

L’ouvrage foisonne de petits détails et notamment de titres d’ouvrages qui sont autant d’hommages à d’autres illustratrices et illustrateurs.

Les 5 poches

Les 5 poches
Jean-Louis Cousseau,
illustrations de Didier Jean et Zad
2 Vives Voix(Bisous de famille), 2012

 Les 5 clés du savoir être

Par Chantal Magne-Ville

Les 5 poches est un magnifique conte de sagesse contemporain, qui retrace le parcours difficile d’un enfant qui est resté longtemps « attaché aux jupes de sa mère », au sens littéral du terme, jusqu’à ce qu’il parvienne à l’âge adulte. Ce lien privilégié est symbolisé par 5 poches dont la mère ne révèle jamais le contenu de son vivant, repoussant les questions par un : « Tu sauras plus tard, promis ». Quelques images, instantanés pris sur le vif, suffisent à faire pressentir le mal être de cet enfant, sa difficulté à se conformer aux attentes sociales malgré la protection indéfectible de sa mère. La pudeur est de mise, l’expression des sentiments souvent implicite grâce à une phrase qui sait se faire poétique, prenant souvent les mots au pied de la lettre : c’est ainsi que la vie prend l’enfant par les cheveux et tire sans douceur pour le faire grandir. Le texte multiplie les symboles tout en demeurant extrêmement lisible.

Maladroit, objet de la risée des autres, mal adapté, l’enfant trouve son salut en se faisant oublier sous une normalité de surface qui a pour corollaire la solitude. Tout comme le chat botté, au décès de sa mère, il ne reçoit pour tout héritage que le contenu des 5 poches, mais aussi une lettre où est renfermé le mode d’emploi du savoir être. Foin des espèces sonnantes et trébuchantes, les cinq objets transmis cachent en réalité sous leur apparente banalité les cinq clés qui permettent d’échapper à la colère, à l’aveuglement, à la frustration, à la perte de repères et aux pensées négatives. C’est une véritable leçon de vie, apaisante, qui fait le constat que la lettre disait vrai : l’adulte qu’il est devenu est parvenu à s’approprier peu à peu ces nouveaux pouvoirs, en se replaçant dans toute sa lignée familiale, ce qui illustre la force de la filiation et de la transmission intergénérationnelle. Reste le motif de la pelote dont la mère elle-même ne sait à quoi elle sert, audacieuse réinterprétation du mythe de la Parque. L’image fonctionne le plus souvent en collaboration féconde avec le texte, mariant réalité la plus concrète et créations symboliques : témoins  la floraison des désirs qui grimpent partout dans la chambre ou la descendance, avec le chat qui a fait des petits, ou  encore le couple qui se constitue à la sortie d’un labyrinthe. La peinture sur papier de soie, par ses effets de texture, laisse penser à un tissu vivant, à l’image du message de vie qui est véhiculé et de l’idée qu’il ne faut jamais perdre le fil.

Une leçon de vie qui se découvre en toute simplicité, grâce à la force des mots, à la fois lourds de sens et immédiatement saisissables, ce qui en réserve la lecture à des enfants qui ont dépassé « l’âge de raison ».

2 Vives Voix : la jeune maison d’édition créée par Didier JEAN et ZAD en 2009: « des albums qui ont pour ambition d’aborder avec sensibilité des sujets peu traités dans les livres, de renforcer les liens intergénérationnels, et surtout de libérer la parole. »

Le Mariage de Simon

Le Mariage de Simon
Agnès Desarthe, Anaïs Vaugelade

Ecole des Loisirs, 2011

Simon, un cousin de la famille Quichon ?

par Sophie Genin

cochons,anaïs vaugelade,agnès desartheLe texte d’Agnès Desarthe avait déjà été édité en 1992 dans la collection « Renardeau » de l’Ecole des loisirs, mais il était illustré, à l’époque, par Louis Bachelot. Pour cette réédition, une habituée des cochons en propose sa version. En effet, après avoir donné vie à de multiples aventures de la famille très très nombreuse des Quichon, Anaïs Vaugelade présente ici celles de Simon.
Ce jeune cochon fait songer à Porculus, de Arnold Lobel (classique de l’Ecole des Loisirs réédité en 2003), quand on le découvre sur la première page, tranquille, dans sa marre de boue grise. Seulement voilà, Simon a la malchance d’avoir une mère ! Et cette mère ne cesse de le harceler pour qu’il se marie ! Il évite la question, prétextant qu’il est trop jeune, jusqu’au jour où Bouliba, la marieuse, est réquisitionnée et lui présente trois jeunes cochonnes qui ne plaisent pas du tout au futur marié. Ce dernier, sur le point de fuguer le lendemain, s’écrie, sur un ton mélodramatique : « Adieu ma mare, adieu ma mère ! ». Mais il finira par trouver l’amour : une jeune cochonne qui, comme lui, n’a aucune intention de se marier ! Et si vous voulez comprendre l’illustration de la quatrième de couverture (un couple de mariés juchés sur un oeuf au plat, le tout dans une poêle !), lisez cet album drôle qui fait forcément songer, surtout aux célibataires forcenés, à la pression familiale concernant le mariage !