Trois garçons

Trois garçons
Jessica Schiefauer
Traduit (suédois) par Marianne Ségol-Samoy
Thierry Magnier, 2019

Trois filles et des métamorphose

Par Anne-Marie Mercier

Les relations entre jeunes gens des deux sexes sont au cœur de ce récit, sombre et souvent violent. Deux univers s’opposent : celui des trois amies, âgées de quatorze ans, qui n’ont pas envie de quitter l’enfance et ont entre elles des relations pleines de douceur et de gaieté, de fantaisie, et celui de la rencontre avec les garçons, lieu de danger, de souffrance et d’humiliation, dans un cadre scolaire où les adultes semblent aveugles, indifférents ou complaisants, on ne sait.

Le récit vire au fantastique lorsque par accident les jeunes filles découvrent une substance qui les fait changer de sexe pour quelques heures : après plusieurs nuits passées à jubiler dans des corps puissants (elles se transforment en garçons, mais pas n’importe lesquels, c’est un peu la faiblesse du roman sur le plan des stéréotypes) et à boire des bières avec d’autres du même « genre », le groupe se scinde : si ses amies se sont lassées de rencontres et de conversations sans intérêt, la narratrice, fascinée par un de leurs nouveaux camarades, part en vrille avec lui, dans la drogue et la délinquance, et éprouve pour lui un désir qu’elle a de plus de mal à cacher… Le groupe explose du fait de l’addiction de celle-ci à la substance qui lui permet de se métamorphoser, comme explose sa relation au garçon dont elle est amoureuse, à sa famille, à la société. La fin propose une issue un peu pacifiée, mais entre filles…
Le roman est globalement très sombre dans son portrait de la masculinité, c’est sa faiblesse, mais aussi sa force : le récit est percutant et porte un certain regard féminin adolescent. Il dit bien le malaise de certaines filles, à l’estime de soi abimé; la narratrice illustre un rapport difficile à son corps et toutes les trois sont paralysées par la peur des garçons, présentés ici comme des êtres impitoyables et destructeurs ou, au mieux, inintéressants. Il y a cependant de belles échappées lumineuses dans le portrait  des amies de la narratrice, Momo la fille d’artistes, créatrice de déguisements, Bella, la botaniste, quasi orpheline (une héritière de Fifi Brindacier) régnant sur une serre aux plantes étranges et parfois… magiques.

Jessica Schiefauer a obtenu en 2011 le prix August (prix suédois, en référence à August Strindberg) en catégorie jeunesse pour ce roman (qui a été adapté au cinéma sous le titre « Pojkarna » (titre original du roman) ou « Girls lost », 2016, et au théâtre) et pour le suivant paru en 2015.

 

 

 

AniMalcolm

AniMalcolm
David Baddiel
Traduit (anglais) par Rosalind Elland-Goldsmith
Seuil, 2018

Animal, mon frère

Par Anne-Marie Mercier

Malcolm n’aime pas les animaux ; ça ne l’intéresse pas et il aurait préféré avoir un ordinateur pour son anniversaire plutôt qu’un stupide chinchilla. On se doute bien qu’en littérature de jeunesse, du moins dans sa part la plus conventionnelle, ce n’est pas bien. Le pauvre Malcolm sera redressé grâce à l’intervention d’un vieux bouc croisé lors d’un séjour dans une ferme pédagogique.

Le sel de l’histoire est dans le procédé utilisé pour changer Malcolm : on le change effectivement : il subit toutes sortes de métamorphoses (tortue, cochon, singe…). Si la spécificité de ce qu’on peut imaginer être un  point de vue animal y est peu pris en compte, cela donne lieu à toutes sortes de péripéties souvent drôles et ces animaux apparaissent comme fraternels et compréhensifs. Ça ne casse pas trois pattes à un canard et Macolm est une vraie tête à claque, mais ces animaux sont vachement sympas…

Félines, Stéphane Servant

 Félines  
Stéphane Servant,
Rouergue, 2019

 

 Puissantes métamorphoses

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Une, puis plusieurs jeunes filles de la ville subissent une étrange métamorphose, leurs corps se couvre de poils, leurs sens s’aiguisent, leur force se décuple et parfois, une violence sauvage les déborde.

Passée la stupeur, certaines se cachent à leurs proches, ne viennent plus au collège, d’autres l’assument. L’une d’elles, Louise, la narratrice, revendique son étrangeté et la vit même comme une richesse.

Un parti politique extrémiste appelle à la haine de ces créatures. Certaines décident d’entrer en résistance, elles organisent même une manifestation et s’appellent désormais les félines. Le gouvernement met en place des mesures pour les contrôler et les enferme dans un camp de travail.

Le roman est déroutant au début, on a du mal à croire à cette métamorphose mais peu à peu, on est envoûté par cette porosité des frontières entre monde animal et monde humain, on est horrifié par l’intolérance et la violence des « normaux », et on devient admiratif de la solidarité et de l’intelligence de groupe des félines

Un roman très fort qui pose de déroutantes questions sur notre identité humaine, et sur notre rapport à l’animal.

Décidément, Stéphane Servant poursuit une oeuvre originale et puissante.

 

Un Jour il m’arrivera un truc extraordinaire

Un Jour il m’arrivera un truc extraordinaire
Gilles Abier
La Joie de lire (encrage), 2016

Les Oiseaux/ Psychose

Par Anne-Marie Mercier

« J’ai toujours su qu’un jour il m’arriverait un truc extraordinaire. Depuis que je tiens debout, j’ai la conviction que je suis né pour accomplir un miracle. Ce n’est pas possible autrement. Sinon, comment expliquer la contradiction entre les rêves qui me dévorent et le corps dont je dispose. »

un-jour-il-marrivera-un-truc-extraordinaireLe narrateur, treize ans, en paraît neuf. Il a peur de tout, et écrit et dessine des aventures au lieu de les vivre. Son quotidien est apparemment celui d’un adolescent normal dans un collège normal, avec les interrogations écrites, les brutes locales, les amis attentifs, les blagues, les soirées chez l’un(e) ou chez l’autre… jusqu’au jour où il découvre qu’il se transforme petit à petit en oiseau : un jour c’est un nez qui semble forci, un autre, c’est un orteil qui disparaît… jusqu’au moment où, après avoir pensé longtemps qu’il devenait fou, il se considère prêt à s’envoler.

Ce qui pourrait être un récit fantastique (assez réussi tant le suspens est bien maintenu) est un excellent roman de psychologie, montrant comment la honte et la gêne sont surmontés sur la question du symptôme mais non sur ce qui l’a causé: le narrateur parle avec ses amis, qui eux ne voient rien, la famille s’aveugle: le dessin permet de faire partager son angoisse, mais la folie finit par submerger le narrateur jusqu’à l’explication finale, peu attendue et toute psychologique.

Sin le veilleur

Sin le veilleur
Françoise de Guibert (texte) – Audrey Calleja (illustrations)
Seuil jeunesse 2016

La métamorphose d’une tache d’encre

Par Michel Driol

sinPetite tache sur un cahier oublié au grenier, Sin, un beau jour, se libère, et, sous la forme d’un personnage sombre et inquiétant, parcourt la ville, à la recherche d’enfants endormis, qu’il réveille et effraye. D’abord satisfait de son pouvoir, Sin a finalement la tête transpercée des hurlements des enfants, jusqu’à sa rencontre avec Alice, endormie dans son lit. Sin prend alors conscience du vide de son existence, mais il ne connait pas les mots qui rassurent. Dans son cahier il trouve des exercices, mais aussi une histoire qu’il vient raconter à Alice, avec sa voix caverneuse. Alice s’endort, et Sin veille.

Cet album dessine un parcours subtil entre des thèmes et des situations qui parleront aux enfants : entre inquiétude et quiétude, entre mal et bien, entre cauchemars et rêves apaisants, Sin se cherche, apprend sur le monde et sur lui-même, découvre le pouvoir du langage.  La dimension étrange – ou merveilleuse – est renforcée par la poésie du texte, confortée par les illustrations qui échappent au réalisme, faisant de Sin un personnage d’abord pathétique dans sa lutte pour s’extraire à sa condition de tache, puis inquiétant dans la jubilation de sa toute puissance, avant de donner à voir un personnage maladroit, émouvant et plein de tendresse.

Le lecteur lettré reconnaitra les clins d’œil à Lewis Carroll – le lapin doudou d’Alice – et à Andersen – le texte se terminant sur l’apothéose de lumière de la petite fille aux allumettes. Mais la méconnaissance de cet intertexte ne sera pas un obstacle au lecteur plus jeune qui pourra à la fois s’identifier à Sin et à Alice, tout en retrouvant, mise en abyme, la situation de lecture du soir, avant de s’endormir.

La Louve

La Louve
Clémentine Beauvais
Alice jeunesse (Histoires comme ça), 2014

Conte ancien et moderne

Par Anne-Marie Mercier

La LouveMêlant des thèmes courants en littérature de jeunesse, Clémentine Beauvais a réussi à élaborer une histoire originale, prenante, aux personnages attachants.

C’est une histoire de métamorphose, mais celle-ci n’est explicite qu’à la fin : le récit est conduit à la première personne par une enfant, Romane, qui vit dans un orphelinat. Pour sauver son amie et calmer une mère louve-sorcière en colère, elle endosse une peau de louveteau. Au fil de plusieurs tentatives d’abord infructueuses, elle est progressivement et définitivement changée. Le lecteur en est averti par quelques indices : son ouïe et son odorat qui semblent se développer, son envie de courir après des proies…

La modernité du récit fait que la métamorphose est heureuse contrairement à ce qui se passe dans les contes traditionnels : Romane trouve ainsi une famille, elle qui n’en avait pas, et le bonheur. Autre signe des temps, la malédiction de la mère louve tient non seulement au meurtre de l’une de ses filles, mais aussi à la destruction opérée par les humains dans la nature. Elle leur lance un ultimatum représenté par une colombe de glace : quand la colombe aura fondu, au bout de trois jours, une enfant doit mourir. L ‘album est rythmé par ce décompte du temps installé par la fonte de la colombe, on assiste aux atermoiements des adultes, aux trois tentatives menées par trois enfants, jusqu’au dénouement final, dans le froid et la nuit. Les illustrations jouent sur les contrastes, entre ombres et lumières, formes inabouties et achevées.

En voir plus : récompenses, articles… sur le site de l’auteure, un blog passionnant.

Animorphs (vol. 5, Le Prédateur)

Animorphs (vol. 5, Le Prédateur)
K. A. Applegate

Traduit (américain) par Noël Chassériau
Gallimard Jeunesse (Grand Format), 2014

Noé dans l’espace

Par Matthieu Freyheit

CinquièAnimorphsvolme tome d’une série forte de quarante-huit épisodes, publiée au milieu des années 1990.

On ne peut que saluer la réédition par Gallimard de cette œuvre devenue un classique du genre en littérature de jeunesse, série-fleuve de la métamorphose. Ce n’est pas pour rien sans doute, au vu du succès actuel de la thématique, que la série Animorphs continue d’être lue. Mais le sujet ne fait pas tout : claire, efficace, l’écriture de Katherine Alice Applegate a surtout l’intelligence d’une certaine neutralité, évitant d’être trop strictement marquée par le style des années 1990. Et dans un domaine éditorial où ‘devenir classique’ est encore une notion à étudier, la pérennisation qu’assure cette réédition ne peut que nous intéresser.

Du côté de l’histoire, par conséquent, rien de tout-à-fait neuf : la guerre menée contre les répugnants Yirks bat son plein, et le lecteur est ici amené à partager les doutes qui habitent l’un des héros, Marco. Et, toujours, une belle suite de métamorphoses, ici singulièrement variées, jusqu’à souffler l’idée d’une arche parodique d’animaux pris au piège d’un vaisseau ennemi.

Le démon des brumes

Le démon des brumes
Luc Blanvillain
Seuil, 2013

 Des démons et de la magie

Par Maryse Vuillermet

le démon des brumes imageUn alchimiste de l’an 1013 laisse brûler sa femme et son enfant dans l’incendie de son laboratoire,  sans rien tenter pour les sauver.

Deux adolescents de 2013,  Laura et Raphaël,  s’aiment. Mais le nouvel élève Melvil attire tous les regards dans le lycée. Et,  dès son arrivée, des faits étranges se succèdent à un rythme effréné, des accidents et même deux morts d’enseignants. Personne ne sait qu’il est le Masque, le démon des brumes, métamorphosé en adolescent qui doit plaire à Laura, s’en faire aimer, et qu’il est chargé de réaliser une prophétie millénaire. Il est capable, aidé de son assistant, l’orfèvre, de faire souffrir les êtres qui l’entourent en leur causant, par magie, leur plus atroce terreur ou le type de mort qu’ils craignaient par-dessus tout.

Je n’ai pas vraiment apprécié ce roman, les personnages adolescents ne sont pas approfondis, très stéréotypés, malgré un dispositif d’écriture original, le journal mental de Laura qui nous permet de suivre les méandres de sa pensée et de ses peurs. Trop de magie tue la magie : trop d’êtres maléfiques ou avec des pouvoirs puissants mais différents et pas toujours expliqués, Melvil, son assistant, Laura, fille de la brume, parce que sa mère enceinte s’est baignée dans un étang et qu’elle a la bague, Apolline, son amie et ses visions, Villeneuve, le médiéviste. Les péripéties, maladies, comas, meurtres, incendies, les fluctuations dans les amours, les amitiés, les métamorphoses et les retournements de situation, comme des sorties de coma ou de mort cérébrale,  se suivent à un rythme trop soutenu pour moi et peu crédible. Le style, qui se veut lisse, ne sauve pas le roman.

Hemlock

Hemlock
Kathleen Peacock
La Martinière Jeunesse, 2013
Traduit de l’anglais par Nathalie Azoulai

Une épidémie de loups garous !

Par Maryse Vuillermet

hemlockUn mélange improbable d’ingrédients très classiques, qui ont fait leur preuve, mais le tout donne un premier roman de ce qui s’annonce déjà comme une série, somme toute, assez réussi.
Le roman commence par l’assassinat d’Amy, brillante lycéenne, par un grand loup-garou blanc. La ville a peur car c’est le troisième meurtre de la bête. Peu à peu, on s’aperçoit que les loups garous sont partout et pour cause, le SL, syndrome du loup-garou est une maladie qui s’attrape par griffure et morsure. Ceux qui sont contaminés en sont très malheureux, ils ne sont pas triomphants, ils sont honteux et désolés mais ne se contrôlent pas et ont besoin de sang. Par ailleurs, l’état, aidé par des milices, les Trakers, organise des chasses à l’homme féroces et les loups garous sont internés et maltraités dans des camps. L’originalité, dans ce cas, c’est que les Trakers sont les méchants et les loups garous et ceux qui les protègent, par amour de la nature et respect de la diversité, sont les gentils.
Donc, ce récit est à la fois une enquête policière sur ce crime, un roman d’épouvante sur une épidémie atroce, un roman politique car les autorités se servent de l’épidémie pour asseoir leur domination sur la ville, et bien entendu, c’est un roman d’amour ! Mackenzie, l’héroïne,  s’aperçoit qu’elle est aimée par Kyle, son meilleur ami et par Jason, l’amoureux d’Amy. Mais elle comprend peu à peu que tous, autour d’elle, cachent des secrets, des souffrances, Jason noie son chagrin dans l’alcool, Kyle se révèle être un loup-garou, sa meilleure amie protège son frère, le dernier à avoir vu vivante Amy. Alors, Mac décide de mener l’enquête et d’affronter les pires dangers, mais n’est-elle pas la fille d’un bandit qui l’a élevée dans les bas-fonds et la violence avant de l’abandonner?
Quelques invraisemblances et des personnages trop sommaires nuisent au plaisir de lecture, mais le mythe du loup-garou est le plus fort, l’ambiguïté des personnages, leur lutte contre leurs pulsions violentes, les scènes troublantes où le loup caresse l’adolescente rachètent les imperfections d’un premier roman.

Quand je serai un animal

Quand je serai un animal
Aurélia Alcaïs
Seuil jeunesse, 2014

Décidément, les métamorphoses…

 Par Christine Moulin

quand je serai animalDécidément, les métamorphoses ont le vent en poupe! En voici de fort belles, présentées par le truchement de dessins à la plume, en noir et blanc, rehaussés de discrètes touches de couleur: comme le titre l’indique, toutes les variantes de la transformation animale sont explorées (le chien ne laisse dépasser que la tête d’une dame très « comme il faut », le lion l’emporte sur l’humain qui n’apparaît plus que dans la crinière et dans… une montre, incongrue à son poignet de Roi des Animaux, la chouette sert de monture hybride, le koala de doudou géant, la Biche est entièrement biche sauf qu’elle porte tous les attributs d’une coquette, etc.). Tour à tour légèrement inquiétantes, drôles, attendrissantes, les illustrations sont étayées par un texte répétitif tout aussi séducteur, qui déroule les fantasmes enfantins, indiquant encore une fois, s’il en était besoin, que la métamorphose, tout en nous permettant d’oublier les limites de la nature humaine, nous guide, parfois par des détours, vers le chemin de l’âge adulte (« quand je serai animal » rappelle le plus traditionnel « quand je serai grand »). L’enfant rêve ainsi, grâce à ce beau livre,  à tout ce qui lui sera possible… plus tard, quand son corps se sera transformé, quand sa fragilité se sera faite force, quand ses peurs se seront évanouies (« je n’aurai plus peur du loup; je serai si sage et si calme que je m’impressionnerai moi-même »), quand certains mystères se seront éclaircis (« j’irai dormir discrètement dans le lit de mes parents »), quand il pourra transgresser les règles qui lui pèsent (« je ne mangerai plus que de la viande, sans couverts et sans serviettes »). Parfois, au détour d’une page, surgit une gaminerie, fantaisiste et poétique: « Quand je serai Âne, j’irai voir mon cousin lapin et on parlera oreilles ». La chute, quant à elle, ramène doucement le lecteur vers une réalité d’autant mieux acceptée qu’elle a été merveilleusement chahutée le temps d’une lecture.