Jours de lune

Jours de lune
Katsumi Komagata
(Les Grandes personnes) 2021

Livre d’artiste pour les petits

Par Michel Driol

Peu de texte dans ce magnifique et original album, seulement ceci, en exergue : « Tout comme la lune croit et décroit, de petits changements s’opèrent au cours de la vie. Un processus qui se répète au fil du temps ».

Par des moyens purement graphiques (jeu des découpes, couleurs, formes) l’album rend sensibles ce passage du temps – à travers la lune qui décroit et croit – et des métamorphoses – à travers des objets, fruits, légumes, paysages. La découpe de la lune devient ainsi un objet sur la page suivante, dans un décor presque géométrique, sur un fond fait de fines bandes de couleurs voisines. On prend ainsi plaisir à identifier des animaux. Une seconde partie reprend le même procédé, mais dans une perspective d’abord plus cosmique et géométrique, plus abstraite, avant de retrouver le décor du début, la ville surmontée de la pleine lune, comme pour dire que tout ceci va se répéter au-delà du temps et de l’espace ainsi évoqués.

Katsumi Komagata, avec des moyens graphiques à la fois simples et élaborés, propose ici  un ouvrage dont la poésie ne laissera pas indifférents ses lecteurs. Véritable œuvre d’art, l’album ouvre sur un univers à la fois familier et étrange, plaisir des yeux ouvrant sur un imaginaire riche et puissant, convoquant les éléments naturels, le feu (avec le soleil), l’air (avec le ciel), l’eau (avec l’océan), la terre enfin pour nous convier à une traversée du monde, tout comme la découpe traverse la page pour nous ouvrir à une autre perspective.

Ainsi Katsumi Komagata prouve qu’il est vraiment possible de réaliser des livres d’artiste universels, à destination des plus petits.

Monts et merveilles

Monts et Merveilles
Juliette Binet
Rouergue 2019

Recréer le monde ?

Par Michel Driol

Cet album sans texte introduit le lecteur la maison d’un jeune couple. Passe la porte une espèce d’immense paquet rose, informe, qui s’avère être rochers ou montagnes. Puis l’homme et la femme repeignent de bleu les murs gris, gonflent des ballons géants qui deviennent collines vertes. Un rouleau de papier bleu, et voici un ruisseau ou une route. Un autre rideau multicolore en arrière-plan, de paravents sur lesquelles elle cloue des étoiles. Ne reste plus qu’à contempler cet univers, passer la nuit… Et découvrir qu’au matin des plantes poussent, des lapins surgissent dans un nouvel Eden où se promènent l’homme et la femme.

L’album invite à un trajet, à un voyage poétique qui va de l’intérieur de la maison à l’extérieur, par la métamorphose complète de l’univers familier de la maison. De quelle maison s’agit-il ? Celle propre à ce jeune couple, ou notre terre, notre maison commune ? Monts et Merveilles n’enferme pas le lecteur dans une interprétation, mais lui ouvre un univers imaginaire et onirique, où tout peut se transformer, où la volonté d’un jeune couple permet de transformer la grisaille ordinaire pour y faire naitre la vie. Chacun pourra, librement, s’emparer des images, de l’histoire, et construire son interprétation. Interprétation esthétique et littéraire, où l’on voit comment les créateurs se réfugient dans leur œuvre qui les sauve (on songe à Comment Wang-Fô fut sauvé de Marguerite Yourcenar). Interprétation plus métaphysique ou mythologique, avec la création par les hommes du paradis terrestre, le jeune couple figurant Adam et Eve au milieu d’un paysage apaisé et apaisant. Interprétation écologique et politique : en se prenant en mains, on peut faire renaitre la vie là où il n’y avait que sécheresse et grisaille (Et l’on n’est pas très loin de Regain de Giono).

Le lecteur va de surprise en surprise, se questionne, rêve à son tour d’un autre monde possible. Le titre de ce riche album semble comme un écho inversé de la chanson Démons et Merveilles des Visiteurs du Soir. Le jeune couple n’est pas statufié comme dans le film, mais fait battre le cœur du monde.

Grandir

Grandir
Laëtitia Bourget & Emmanuele Houdart
(Les Grandes Personnes) 2019

Ce changement-là…

Par Michel Driol

S’il est un thème récurrent en littérature pour la jeunesse, c’est bien celui-là. On s’attend donc, avec un tel titre, et deux auteures qui travaillent ensemble depuis 2002, à une grande originalité dans le propos et le traitement graphique. Et, disons-le d’emblée, on n’est pas déçu. Dès la couverture, un bandeau coulissant dévoile ou cache un visage à deux âges de la vie, avec, paradoxalement, la vieillesse à gauche et la jeunesse à droite. Ainsi, le dispositif laisse s’éloigner la jeunesse vers la droite, et quitter la page, pour laisser place à une maturité qui envahit la couverture.

L’album conjugue un texte d’une grande précision et sobriété, d’une écriture millimétrée pleine d’échos,  avec des illustrations qui, au contraire, foisonnent de détails dans un univers imaginaire où se mêlent l’humain, l’animal et le végétal. Passées les premières pages, consacrées à l’arrivée au monde (D’abord je n’étais pas là /et puis j’étais là mais alors juste moi), le texte articule ensuite des propositions à l’imparfait (page de droite) avec d’autres au passé composé, page suivante, à gauche. (J’étais petite/je suis devenue grande). Ainsi, par métamorphoses successives, grandir apparait comme une série de transformations, les unes positives (de l’insouciance à l’utilité) les autres négatives (de l’entourage à la solitude). Car Grandir n’accompagne pas simplement, comme souvent en littérature de jeunesse, l’enfance et l’adolescence, il embrasse une vie entière, de la naissance (première image, une fusée qui se dirige vers le bas de la page, vers des verdures, jusqu’à la mort (dernière image, une fusée identique ou presque qui s’éloigne du bas de la page, qui quitte les verdures pour aller au-delà de l’espace physique de l’album). La vie est ainsi perçue comme une série de métamorphoses, physiques, psychologiques, affectives, relationnelles, comme une sorte de mouvement perpétuel qui fait passer d’un état à l’autre.

On ne peut donc s’empêcher de penser à la littérature baroque, au Ronsard de l’Hymne de la mort :

Mais la forme se change en une autre nouvelle,
Et ce changement-là Vivre au monde s’appelle,
Et Mourir, quand la forme en une autre s’en va…

De fait, les illustrations d’Emmanuelle Houdard dans leur complexité s’inscrivent aussi dans cette vision baroque du monde, où tout se transforme, où rien n’est stable, où les passages d’un ordre à l’autre sont possibles : les pieds sont des racines, les humains peuvent avoir des ailes ou porter une maison sur leur dos… Elles rendent compte d’une vision du monde parfois cruelle (le contraste entre l’enfant roi, choyé, auquel des animaux, comme trois rois mages, apportent des présents et la vieille femme seule devant un gâteau qu’on dirait d’anniversaire, mais sans bougies ou convives autour…), parfois pleine de fantaisie (l’image de la femme indépendante, chargée à outrance dans ses multiples poches de crayons, ciseaux, herbes, pelotes de laine…).

Ce voyage à travers une vie est avant tout un hymne à l’existence : s’il est parfois cruel, on l’a dit, il n’est jamais mièvre et surtout invite à savourer chaque instant pour ne rien regretter. Un album qui donne envie de réécouter Violetta Parra chanter Gracias a la vida

L’Auberge entre les mondes. Péril en cuisine !

L’Auberge entre les mondes. Péril en cuisine !
Jean-Luc Marcastel
Flammarion jeunesse, 2017

Auberge espagnole inter planétaire

Par Anne-Marie Mercier

Nathan est orphelin, il a été placé en foyer, puis en famille d’accueil, comme son ami Félix. Tous deux étudient dans une école hôtelière. Monsieur Raymond, un de leurs professeurs est aussi restaurateur et tient une auberge dans les montagnes, il leur propose un stage chez lui. Jusqu’ici tout est très normal, à part le mystère qui plane sur la mort des parents de Nathan.

Dès leur arrivée il se passe des choses étranges et terrifiantes : une créature inconnue et gigantesque leur barre la route, l’homme qui est venu à la gare semble se transformer, son oiseau apprivoisé semble parler, et Félix à son tour se transforme en félin lorsque Nathan est attaqué à son tour…

Le récit est mené tambour battant : Nathan se réveille choqué et peut croire un instant que ce n’était qu’un cauchemar, mais l’histoire se poursuit dans le cadre de l’auberge, ses cuisines, ses caves et resserres qui sont autant de portes vers d’autres mondes et d’autres salles à manger où les convives qui se pressent viennent de toute la galaxie, ? ou de plus loin…

Sans prétentions philosophiques en dehors du discours humaniste obligé, et sans originalité autre que celle, qui mérite d’être soulignée, du cadre aubergistico-cuisinier (à la fin du livre on trouve les recettes de l’auberge !), ce roman plein d’action et d’humour se lit bien et laisse présager des suites savoureuses.

Sur le site de l’éditeur, une interview de l’auteur.

Dieux et déesses de la mythologie grecque

Dieux et déesses de la mythologie grecque,
Françoise Rachmuhl, Charlotte Gastaud
Flammarion, père Castor, 2013

Divines histoires de familles

Par Yann Leblanc

L’album s’oDieuxetdéesses_mythologiegrecque,uvre avec un arbre généalogique présentant la lignée des Olympiens et leurs descendants à partir de leurs ancêtres, Chaos, Ouranos et Gaia, les Titans et parmi eux Cronos, le père indigne qui dévorait ses enfants. Des conflits entre parents et enfants ou entre époux, frère et sœur, nièce et oncle, etc., il n’en manque pas dans ces histoires. Le tour de force de cet album est de donner de manière synthétique beaucoup d’informations, tout en se donnant l’air de raconter des histoires pour le plaisir. Ainsi on tire le portrait de Zeus, Héra, Poséidon, Déméter, Athéna, Arès, Aphrodite, Héphaïstos, Hermès, Artémis, Apollon et Dionysos; on raconte leur naissance, leurs amours, leurs métamorphoses ou celles qu’ils infligent. Les illustrations de Charlotte Gastaud sont un mélange assez réussi de son style ordinaire et de tracés à l’antique, de décors colorés japonisants et de blancs sobres.