Si Rose était là

Si Rose était là
Jennifer Couëlle – Bérengère Delaporte
La courte échelle 2022

Ce qui nous reste de ceux qui sont partis…

Par Michel Driol

On est un matin d’hiver qu’on croirait semblable aux autres, et Toinette cherche comment s’habiller. Tout, le froid, l’odeur des tartes, la neige est l’occasion d’évoquer Rose, la grand-mère, qui, si elle était là, dirait ceci ou ferait cela. Puis on apprend que Rose est allée dans ce qu’on appellerait en France un Ehpad, et Toinette se souvient des promenades avec sa grand-mère, de sa relation particulière avec la nature, de la sensation de la mousse sous les pieds nus. Toinette se souvient aussi de sa dernière visite à Rose, contagieuse, où elle avait dû rester dehors et avait fait l’ange dans la neige. On n’est pas un matin d’hiver comme un autre, c’est celui où il faut choisir sa tenue pour aller enterrer Rose, sa grand-mère.

Voici un ouvrage venu du Québec, qui, par certains côtés très discrets, fleure bon le québécois de certaines expressions, « le sucre à glacer », ou le parler enfantin et édulcorant, comme « la maison pour personnes qui ne peuvent plus décider ». Voici un ouvrage dont les illustrations, vives, lumineuses et colorées, montrent l’amour et la complicité entre une petite fille rousse et une grand-mère aux cheveux blancs, partageant les mêmes activités. Voici enfin un ouvrage dont l’écriture, dans sa simplicité poétique, dit aussi bien l’absence que la présence par ce qui s’est transmis. C’est la simplicité évidente de la formule récurrente, « Si Rose était là » qui à la fois signale le manque, mais n’attend qu’à être complétée par les attitudes, propos, conseils bienveillants de Rose, toutes ces choses que Toinette garde en mémoire. D’une certaine façon, c’est Rose qui conseille la tenue à porter pour ce jour douloureux,  « elle me dirait d’enfiler ce que j’ai de plus réconfortant », et ce sera un pyjama dont les couleurs vives tranchent avec le gris du deuil de la dernière page, au cimetière. Douceur et tendresse sont là pour qualifier cette transmission, qui touche à des petits riens comme à l’essentiel : trouver belle la neige, douce la mousse, et garder des glands au fond de la poche pour oublier la grisaille des trottoirs. Il y a là comme une façon pleine de délicatesse de décrire cette relation intergénérationnelle si marquante, de faire comprendre sans rien expliciter en quoi elle est fondamentale, et de montrer en quoi la vie passe aussi par l’acceptation douloureuse de la mort de celles et ceux qui nous ont précédés. C’est aussi un bel album sur le temps qui passe. Trois indicateurs de temps le rythment, introduisant à trois modalités temporelles essentielles. Toujours, c’est la permanence de l’habitude, parfois, c’est l’exceptionnel, et un jour ce sont tous les futurs à venir. C’est dans ces variations autour du temps vécu et ressenti que se glisse le présent de l’adieu à la grand-mère et le présent de l’enfance.

Après la pandémie de COVID, comme évoquée en filigrane dans cet album, un album lumineux, sans pathos, pour accompagner avec finesse et sensibilité les enfants qui ont perdu leurs grands-parents, mais qui sauront conserver présents en eux leur souvenir et leurs leçons de vie.

Ce jour-là

Ce jour-là
Pierre Emmanuel Lyet
Seuil Jeunesse 2022

Se souvenir des belles choses

Par Michel Driol

Beaucoup de gens à la maison, pour la plupart inconnus du narrateur, un petit garçon. Un grand père qui n’a pas l’air là. Une grand-mère absente. Tout est dit, en quelques mots, en quelques images, de cette atmosphère particulière du deuil. De son silence. Le petit garçon part alors dans la montagne, sous une fine neige. Et il se souvient des cheveux, des robes à fleur, des chevilles enflées… Survient alors le grand-père, qui vient le rechercher. C’est le retour, tous les trois, dit le texte, alors que l’image ne montre que deux personnages…

Ce n’est certes pas le premier album à évoquer la question du deuil, de la mort d’un grand parent, mais c’est l’un des rares à savoir le faire avec douceur, simplicité, et, je crois, un vrai regard d’enfant. Un enfant un peu égaré dans cette réception feutrée comme le sont les veillées, les retrouvailles familiales autour d’un absent. Quelques mots suffisent, associés à la force des images qui montrent un enfant perdu, minuscule, au milieu des adultes, images qui soutiennent le texte (ces jambes comme une forêt enneigée) autant qu’elles s’en éloignent en proposant des couleurs primaires là où le texte parle de noir et blanc. Subtil décalage qui dit le mal être de l’enfant. Somptueuses compositions aussi qui évoquent la complicité et qui disent l’absence, comme cette double page où s’opposent l’enfant et le fauteuil vide de la grand-mère. Il y a une grande justesse et une grande force d’évocation dans ces premières pages, si touchantes pour suggérer plus que pour dire la mort. Puis c’est la promenade solitaire dans la montagne, où tout est là pour rappeler la grand-mère par de subtiles correspondances, entre la neige qui tombe et les cheveux blancs, entre la pomme de pin et le chignon, entre les feuilles mortes et les dessins sur la robe… Tout, dans la nature, est un écho à la grand-mère, à travers une série de « je me souviens » qui tiennent autant de Perec pour la forme que de l’expérience propre à chacun. Ce sont des petits faits, des sensations, des souvenirs ou des oublis qui culminent avec la main de l’enfant dans celle de la grand-mère, lors de la dernière rencontre, dans une position symbolique, la main de l’aïeule en haut, comme « au ciel », celle de l’enfant en bas, comme « sur terre ». Tout se termine sur une fin qui tient du rêve, avec cette dissonance déjà évoquée entre le texte et l’image, entre le vécu de l’enfant, ses désirs, sa perception des choses et la réalité, mais tout se termine dans la même atmosphère colorée que celle qui accompagne tout l’album qui réussit le tour de force d’être lumineux, vivant, et non pas lugubre. Pour autant, c’est une atmosphère douce-amère, entre gaité et nostalgie, qui s’en dégage pour célébrer le souvenir de ceux qu’on a aimés.

Gentillesse de la grand-mère, qualité de la relation avec son petit fils, sentiments confus de l’enfant, voilà un album touchant et subtil pour parler de la disparition des êtres chers, et de la façon dont tout ce qui nous entoure rappelle leur souvenir.

Note : on retrouvera les illustrations de Pierre-Emmanuel Lyet dans un autre ouvrage qui évoque la mort avec un angle très différent, Quand les escargots vont au ciel.

Papa partout

Papa partout
Emilie Chazerand illustrations de Sébastien Pelon
L’élan vert 2022

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Dès le début, la mort du père est là, à peine euphémisée : Maman dit qu’il est au ciel désormais, puis énoncée directement, en une phrase non verbale qui sonne comme un couperet : Mort. Au début, pour le narrateur, il n’y a que le vide et le chagrin, le souvenir des choses qu’ils ne feront plus. Puis c’est la découverte de la présence du père dans tous les objets, vêtements, même ces objets intangibles que sont l’ombre sur la plage et le reflet des yeux dans le miroir.

Voilà un bel album bouleversant, plein de simplicité, pour dire différentes phases du deuil vues à hauteur d’enfant, de la colère et du sentiment de l’injustice profonde jusqu’au retour du sourire et de la paix intérieure, ce que l’on nomme résilience. L’album sait éviter l’écueil du pathos par une écriture qui sait être à la fois métaphorique et enfantine pour exprimer ce que traverse l’enfant. Il est question de l’oreiller salé au réveil et du cœur haché menu, par exemple. Les anaphores disent la répétition des marques de l’absence, mais surtout celles des signes de présence avec la série des groupes nominaux qui commencent par « Dans… », façon de rendre concrète l’universalité de cette présence mystérieuse de l’absent. L’illustrateur a su jouer aussi de la simplicité et de l’expressivité, semblant prendre au pied de la lettre certaines expressions comme « il est au ciel », ou donnant à voir une vision du jeu de Puissance 4 comme une sorte de prison derrière laquelle est caché l’enfant, dont seul l’œil cherche à voir au delà du jeu. Quant aux aplats de couleurs, ils se réchauffent progressivement, allant jusqu’au jaune éclatant de la plage et de la maison finale. A noter que les pages de garde reprennent aussi ce code de couleurs.

Un bel album, mélange de tendresse, de fragilité et de force, pour évoquer les étapes du deuil lié au décès le plus éprouvant qui puisse affecter un enfant.

Un parfum de bruyère

Un parfum de bruyère
Françoise Legendre
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Cauchemar ou réalité ?

Par Michel Driol

Louis passe ses vacances dans la maison de sa grand-mère, en Bretagne. Cette année-là, il fait de façon récurrente le même rêve, dans lequel il offre de la bruyère à Anna, tandis que pèse la menace de Raymond.

Bruyère, lande, petite maison, sculptures sur le lit, c’est tout l’imaginaire un peu fantastique de la Bretagne qui est convoqué dans ce roman. Le rêve est-il réalité ? Les choses sont-elles doubles à l’image de la grand-mère qui se révèle avoir un double prénom, et que le rêve de Louis renvoie à son propre passé ? On se sent à la fois plongé dans le monde contemporain, et dans les légendes bretonnes où rôde la mort. Ce roman signe la fin d’une époque, celle des vacances chez la grand-mère, et peut-être aussi la fin de l’innocence. C’est en tous cas une belle façon de faire entrer les enfants au cœur de l’écriture fantastique dans ce qu’elle a de plus authentique et de plus envoutant.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, dont l’imaginaire s’accorde tout à fait à la Bretagne et aux interrogations des enfants sur le passé de leurs grands-parents.

Les Choses à se dire

Les Choses à se dire
Pei-Chun Shih, Amélie Carprentier
Hongfei, 2022

Ce que vivent les roses…

Par Anne-Marie Mercier

Dans un jardin, chacun vaque à ses occupations : une abeille butine de fleur en fleur, un escargot passe de feuille en feuille, jusqu’au soir où il rencontre une fleur, si belle qu’il veut la maintenir éveillée pour pouvoir lui parler.

La fleur elle, regrette le départ de l’abeille, à qui elle avait encore tant à dire. Elle se réjouit de l’arrivée de l’escargot, mais il est tard et elle a tant à dire… Elle perd ses pétales un à un, tandis que l’escargot la rassure : « il est temps encore »… et il promet de recueillir ses mots pour les transmettre à l’abeille.
Ce joli récit nostalgique qui évoque le départ de ceux à qui on n’a pas assez parlé, que l’on n’a pas assez écouté, évoque l’écoute et la transmission. La dédicace à une grand-mère y prend tout son sens. Les abeilles et les escargots montrent deux façons de se mouvoir dans la vie et d’aborder les autres, quant à la fleur elle est la sédentaire qui attend… et contemple les belles abeilles tourbillonnantes.
Mais les images restent gaies, colorées, en gros plan sur les personnages et ceux-ci ont une bonne figure toute ronde et souriante, évacuant toute tristesse.

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin
Paul Martin, Jean-Baptiste Bourgois (ill.)
Sarbacane, 2022

Le Jardin du temps perdu

Par Anne-Marie Mercier

Violette Hurlevent, qui nous avait tant charmés dans le premier tome est de retour. C’est une bonne nouvelle car ce Jardin Sauvage est un lieu infini de possibilités et d’aventures (voir la recension du premier tome) et Violette, accompagnée de son chien Pavel est une héroïne attachante.

Seulement voilà : Violette aborde ces nouvelles aventures sans son chien, et elles sont inextricables sans lui, ce qui fait que l’action piétine autour de plusieurs énigmes avant de pouvoir lancer enfin l’héroïne à l’assaut des obstacles, une fois son chien retrouvé/ ressuscité.
En « réalité », tout est difficile : Pavel est mort. Violette, la petite fille terrorisée du premier volume, a grandi, s’est affirmée, elle a vécu d’autres drames et la voici âgée, perdant sans doute un peu la tête d’après ses enfants et son petit-fils, et cherchant à retrouver le havre de son imaginaire d’enfant. Sautant dans le jardin, elle retrouve son corps de fillette et toute son énergie ; hors du jardin, rattrapée par la fatigue de l’âge, elle reste capable de lutter  pour convaincre, réparer, protéger : elle est en effet la « Protectrice » du Jardin et de ses habitants, plantes, animaux, « jardiniens », et jusqu’aux humains du monde ordinaire qui, comme elle, s’y sont incrustés.
Imaginaire, vie fantasmée ou réalité ? Tous ces niveaux sont entremêlés, à l’image de la ronce géante qui menace le Jardin. La tentation de fuir le réel et de réparer les pertes passées pour construire un « Jardin Parfait » que le temps n’atteindrait pas, attitude que refuse Violette, est incarnée par la présence inquiétante d’un adulte appelé le Baron, qui, monté sur un grand cheval noir, a mis le Jardin en coupe réglée et réduit ses habitants en servitude volontaire. Face à lui, Violette incarne l’acceptation du temps, de ses blessures, le pardon et l’amour de la vie, donc du désordre.
L’auteur fait ici le portrait d’un réel complexe qui imbrique différents niveaux de réalité et propose une réflexion sur les frontières du temps et de l’espace. Mais il y a aussi de beaux combats, des voyages qui donnent le vertige, des trouvailles originales, des êtres fantastiques hostiles, à qui Violette sait parler et dont elle arrive à capter les secrets.

Catrina

Catrina
Mickaël Soutif
L’Atelier du Poisson soluble 2018

Un sujet tabou pour poète maudit ?

Par Michel Driol

Après un repas mexicain, bien arrosé de tequila, Alejandro ne retrouve pas sa femme, mais Catrina, la femme squelette, crevassée et glacée : la mort en personne qui le prend dans son filet, et le conduit au cimetière, où il découvre sa femme et ses enfants festoyant sur sa tombe pour le jour des morts. C’était cela, le somptueux repas initial…

Sur un fond violet, illustré de scènes en pâte à modeler de couleurs vives, ce curieux album plonge les lecteurs dans l’imaginaire mexicain. Oui, nous allons tous mourir, alors pourquoi ne pas en rire ? C’est un climat de sérénité, d’apaisement,  sans tristesse ni chagrin, que montrent les dernières pages.  C’est donc une façon bien originale qu’a cet album d’aborder le thème de la mort à destination des enfants, en faisant partager une autre expérience quasi ethnologique, en nous plongeant dans un autre univers. Le Mexique est partout, dans les noms des plats, dans la légende de Catrina, dans le monde représenté par les illustrations (bâtiments, costumes), mais c’est surtout la mort qui est omniprésente (ossements, crânes…), une mort séduisante, même si on la suit avec effroi.  Proposant un récit aux aspects quelque peu fantastiques, l’album est en fait plein de légèreté afin de dédramatiser, par sa forme même, son sujet. Ce sont des rimes pleines de facétie qui offrent un beau contraste avec le sérieux du thème, ce sont les couleurs vives des illustrations qui contrastent avec le noir attendu des représentations de la mort. L’album ouvre à un univers baroque, dans lequel la mort fait partie de la vie, qui se clôt par une célébration et l’assurance de voir la vie continuer, et les siens heureux de continuer à vivre. Tel est le sens de la fête mexicaine des morts. Il n’est donc pas question de peine, de deuil, d’un au-delà incertain, mais d’une rencontre, d’amour, de fleurs et de repas partagé.

Un album très original, tant par sa forme, sa technique d’illustration, que par sa façon d’aborder le thème de la mort, en faisant partager aux lecteurs une autre expérience du Jour des Morts.

La retrouvée

La retrouvée
Jo Hoestlandt
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand on revient sur les lieux du bonheur passé

Par Michel Driol

Dans une chambre d’hôtel, cinquante ans plus tard, un homme se souvient de son enfance, des week-ends qu’il passait, avec sa mère, dans cette même chambre, des longues promenades sur la plage, des jeux, de sa complicité avec cette mère aux longs cheveux si blonds à qui il arrivait de citer un poème de Rimbaud.

Construit en faisant alterner le présent de l’homme – anonyme – qui fume, se promène et les souvenirs de l’enfance, le récit, dans une écriture très contemporaine, mêle les époques comme pour dire l’amour fusionnel entre ce fils et sa mère, fusion dans l’espace de la chambre, fusion par-delà le temps. Le roman fait appel à plusieurs imaginaires, dont certains s’adressent à des enfants, comme celui de la plage, de ses jeux, du cerf-volant, de l’intimité avec la mère, d’autres plus à des adultes, avec ces grands hôtels du bord de mer, et Rimbaud, bien sûr, cette éternité retrouvée dans les figures superposées de la mer et de la mère. Un récit qui sait aborder des problématiques et des sentiments complexes avec des mots et des expressions d’une grande simplicité pour toucher le plus grand nombre.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui aborde avec finesse et sensibilité la question du deuil, mais surtout des souvenirs comme une recherche du temps perdu..

L’Envol

L’Envol
Marie Boulier
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand la grande sœur décède

Par Michel Driol

En fait de morts, Zéphyr n’a connu que celle de son hamster et de Jacques Chirac, qui ont été accompagnées de minutes de silence. Maintenant, c’est sa grand sœur Alma qui s’est tuée en parapente. Il raconte ses émotions, les bouleversements, la veillée avec la famille et les copains d’Alma, la cérémonie à l’église, et la dispersion des cendres…

Raconter le deuil à hauteur d’enfant, avec émotion, c’est ce que réussit parfaitement Marie Boulier dans ce petit roman. Comment se mêlent la tristesse et les fous rires, les souvenirs des jours heureux et l’anticipation de ce que sera l’avenir avec un grand vide, d’autant plus grand que c’est celui laissé par la sœur ainée, qu’on devine pleine d’humour et d’appétit de vivre. Suivant chronologiquement les différentes étapes, le récit accompagne Zéphyr, qui triture sans cesse ses billes au fond de sa poche comme un geste obsessionnel, et nous fait partager avec beaucoup de sensibilité ses questionnements à la fois naïfs et profonds.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui traite avec pudeur et réalisme la question du deuil, et de la mort qui vient bouleverser une famille, avec un titre richement polysémique.

Le Fantôme de mon grand-père

Le Fantôme de mon grand-père
Yann Coridian – illustrations d’Anjuna Boutan
Neuf de l’Ecole des loisirs 2021

Conversations avec un disparu

Par Michel Driol

Le grand-père paternel de Jeanne, la narratrice, est mort avant sa naissance. Se rendant au cimetière avec son père, elle voit un curieux chat près de la tombe. Et le soir, au milieu de la nuit, le grand père vient rendre visite à la petite fille. Tous deux, durant deux nuits, vont faire connaissance.

Habituellement, en littérature de jeunesse, c’est la mort des grands-parents qui est traitée, de façon à aborder la phase du deuil. Le parti pris de ce court roman est différent : il s’agit de nouer un lien qui n’a jamais existé, de rencontrer un disparu. Jeanne, qui a huit ans, est fille unique, dans une famille qu’on pourrait qualifier d’aisée, voire de bobo. Elle raconte sa vie à hauteur d’enfant, n’en percevant pas forcément tous les aspects (comme le fait que le père, quelque peu déprimé, est en recherche d’emploi). Mais le roman vaut peut-être autant par ses ellipses, ses silences, que ce que dit sa narratrice. Que faisait le grand-père à Clermont-Ferrand où il est mort ? Pourquoi le père ne veut-il pas trop aller au cimetière ? Quel est le sens des mots posthumes que, par l’intermédiaire de Jeanne, le grand-père adresse à son fils ? Le romancier a recours à un fantastique qui ne vise pas l’épouvante. Rien d’obscur, ou d’inquiétant dans ces visites, familières, familiales, où le mort mange avec la petite fille. Et on est bien dans le fantastique, puisque le grand-père laisse son chapeau… qui s’envolera une nuit de grand vent. Les illustrations renforcent ce côté rassurant par leurs cadrages, leurs couleurs, et la façon de représenter un fantôme qui n’a rien de l’imagerie qui y est habituellement associée.

Un roman qui a recours au surnaturel pour dire l’importance du lien intergénérationnel dans  la construction de soi.