Le Chant du séquoia

Le Chant du séquoia
Nathalie et Yves-Marie Clément – illustrations d’Emma Guinot
Editions du Pourquoi pas ?? 2023

Leurs chants sont plus beaux que les hommes

Par Michel Driol

Deux récits se succèdent, autour de deux personnages, de deux lieux. Dans le premier, Parker, un jeune Cherokee californien, trouve auprès de son grand père, en pleine nature, la force de surmonter la blessure que lui a causé son échec cuisant au concours de chant de son école, au cours duquel on l’a insulté, et de se remettre à chanter dans la plus pure tradition indienne. Dans le second, Maria Rosa, reçoit dans sa maison de retraite brésilienne un jeune journaliste qui lui demande de raconter comment, dans les années 70, elle est devenue une célèbre défenseuse des droits des peuples d’Amazonie. L’épilogue réunit ces deux personnages au Rassemblement des Gardiens de la Mère Nature, laissant entendre le discours de Maria Rosa et le chant de Parker.

Deux histoires qui ont en commun d’être des récits initiatiques, deux voyages effectués par un grand père et son petit fils ou sa petite fille. Deux récits dans lesquels l’un transmet à l’autre ce qu’est vraiment le chant pour les Cherokees, une communion-fusion avec la nature tout entière. L’autre, c’est le dernier voyage effectué par une petite fille qui remonte le fleuve avec son grand père. Deux récits qui racontent des moments de bascule, dans lesquels deux enfants découvrent le monde, l’un dans sa poésie et son harmonie profonde, l’autre dans la sauvagerie et la brutalité des hommes.

Ce que ces deux textes racontent et décrivent, c’est bien sûr la façon dont les peuples autochtones d’Amérique du Sud ou du Nord ont été réduits à néant par les Blancs. Le grand-père de Parker a été arrêté pour avoir voulu défendre son village contre la volonté d’une compagnie minière de le détruire pour exploiter de nouveaux filons. Le grand père de Maria Rosa est assassiné sous ses yeux pour simplement demander qu’on ne détruise pas leur tribu afin de faire passer une route servant à desservir une exploitation aurifère. Mais c’est aussi le lien fort que ces peuples entretiennent avec la nature, avec la forêt en particulier, avec le travail et avec le temps. Chez les Palikur, le peuple de Maria Rosa, on ne chasse que ce dont on a besoin, on a le temps de se transmettre les secrets des plantes, de discuter, de chanter… Le grand père de Parker vit dans un mobil-home loin de tout, à proximité du Parc National de Sequoia.

Mais ce sont aussi, et peut-être avant tout, deux récits qui mettent en avant la parole et la poésie face à la barbarie, aux humiliations. C’est dans l’épilogue que ces deux dimensions se rejoignent. On y assiste d’une part au discours de Maria Rosa, plaidoyer pour la mère Nature, pour une sobriété écologique, mais aussi invitation à se réveiller, à ne pas baisser les bras, quel que soit son âge. Puis c’est le chant traditionnel cherokee, un chant de bienvenue, interprété par Parker. Le chant, la poésie, sont une façon d’entrer en communion avec la nature, de se faire arbre, oiseau… On ne peut s’empêcher de penser alors au poème de Nazim Hikmet les Chants des hommes… pour les opposer aux mines des hommes, aux destructions des hommes, à la cupidité des hommes.

Les illustrations d’Emma Guinot jouent sur les couleurs : une dominante verte pour Parker, une dominante orange pour Maria Rosa, et une façon d’unir ces deux couleurs dans l’épilogue.

S’ouvrant par une citation de Cacique Raoni Metuktire, fondateur de l’Alliance des Gardiens de Mère Nature, cet ouvrage est à la fois une belle façon de faire connaitre les valeurs des peuples autochtones d’Amérique et de nous sensibiliser à d’autres valeurs que celle de l’argent et de la consommation ou du show business…

Passeur de souffle

Passeur de souffle
Patricia Hespel
La Martinière jeunesse, 2023

Une Fantasy aux reflets écologiques

Par Loïck Blanc

Ce roman transporte le lecteur dans une aventure qui l’incite à méditer sur la nature qui nous entoure. Bren, guidé par une prophétie énoncée à sa naissance, entreprend une quête qu’il croit être celle de sa propre gloire. Toutefois, au fil de son périple et de ses rencontres, il découvre le sens véritable des paroles prononcées le jour de sa naissance. La prophétie prend alors une tout autre signification, tournée vers une quête plus grande et collective dont il n’est finalement qu’un instrument. Il entreprend alors cette quête à la place de celle, personnelle, qu’il croyait devoir poursuivre.
Le récit s’habille d’une métaphore saisissante, décrivant une terre en proie à un mal insidieux qui se répand parmi les peuples. Bren, après s’être libéré de ce mal grâce à ses compagnons de voyage, s’éveille progressivement à la valeur de la Terre et à la menace qui la ronge. Ce spectre de la destruction est alimenté par la volonté de gloire personnelle des hommes et leur obsession pour le gain, les poussant à mettre en péril le souffle vital de la nature.
Sous la forme d’une œuvre de fiction captivante, l’autrice invite le lecteur à suivre la difficile remise en question de son héros, qui prend conscience de la fragilité de la nature et de la corruption qui la ronge.
Cet ouvrage de fantasy mérite d’être découvert sans attendre, car il offre bien plus qu’une simple lecture : il propose une plongée fascinante dans la quête de sens et dans la nécessité de préserver notre précieuse planète.

Mes Saisons

Mes Saisons
Bernadette Gervais
Les grandes personnes, 2023

Entre photos et pochoirs

Par Hélène Davoine

Avec cet imagier Bernadette Gervais nous invite à savourer avec elle ce qu’elle désigne, avec son titre, comme « ses » saisons et c’est bien à un parcours personnel que nous sommes invités : les saisons apparaissent photographiées en noir et blanc ou dessinées avec force détails et couleurs. Quand on observe ces animaux, ces plantes, ces champignons, on a l’impression de la suivre en balade. En cheminant, elle prend en photo ou dessine ce qu’elle croise sur sa route : des bourgeons, des insectes jaunes et noirs, des champignons, des araignées, des feuilles.
Les pages se suivent et ne se ressemblent pas. On regarde la terre et ses traces d’animaux. On regarde le ciel, ses nuages et la voie lactée. Une photo du brouillard suit le dessin d’un cerf et d’une biche et on se surprend à les chercher dans la brume. Les sujets sont parfois rapprochés parce qu’ils se ressemblent, par leur nom ou par leur aspect. La photo des graminées est striée comme l’est le dessin du cirrostratus de la page d’en face. Le chardon a pour voisin le chardonneret. On suit son parcours mental à travers les images et son cheminement dans la nature. On se laisse entraîner, on repense à nos propres marches champêtres, on admire ses photos et ses illustrations. Rarement, imagier n’aura été aussi propice à la rêverie.
La dernière image du livre représente deux traces de pas dans la neige et cette seule image résume très bien cet ouvrage : une belle invitation au voyage.

 

 

La Fille de la forêt

La Fille de la forêt
Judith Drews
La Martinière jeunesse, 2023

Une amie imaginaire

Par Anne-Marie Mercier

Une fillette, Anna, se sent attirée par la forêt au-delà du lac au bord duquel elle vit. Un jour, elle saute le pas et plonge pour se rendre sur l’autre rive. Elle y rencontre une autre fillette portant des bois de jeune cerf, qui l’emmène avec elle pour lui faire découvrir les merveilles de la forêt, particulièrement ce qui lui faisait peur : les ours, les sangliers, les loups. Initiée par son amie, elle a aussi la vision de la terre-mère qui lui transmet un message : il faut qu’elle soit elle-aussi la gardienne de la nature.
À la fin , Anna se réveille de son rêve, mais a-t-elle seulement rêvé ?
Il y a dans cet album beaucoup de bonnes intentions, mais les personnages peinent à exister, les procédés sont un peu usés. Les images manquent parfois de relief, mais c’est peut-être un élément à porter au crédit de l’album : sa dimension onirique est renforcée par les brumes qui traversent ses pages.

Les Gens du Parc

Les Gens du Parc
Emma Robert, La Jeanette
Cipango, 2023

Des fleurs, des gens, des rêves

Par Anne-Marie Mercier

Au Parc, Timothée ne court ni ne marche ; il s’assoit et observe les gens. Il leur donne un nom, les imagine chez eux, leur invente un passé, s’inspire de leur vie pour rêver la sienne. Madame Pétale aime les fleurs, Monsieur Rêve contemple le ciel, Monsieur Moineau aime les oiseaux, le Magicien étonne les enfants, les amoureux dansent…

Ces sont des vies belles et ouvertes sur le monde. Timothée lui-même porte un beau regard sur les gens qui l’entourent et sur le parc, nous invitant à travers eux à apprécier fleurs, nuages, oiseaux, etc.
Les illustrations riches en couleurs et en détails mettent en valeur les visages, sur fond de fleurs et de verdure, montrant bien toute l’humanité du propos.

Les Ébouriffés

Les Ébouriffés
Anne Cortey, Thomas Baas
Grasset jeunesse, 2023

Par dessus les nuages…

Par Anne-Marie Mercier

Cet album qui se lit et se contemple de façon inhabituelle (le texte en haut, le dessin en bas, sous la pliure) ne propose pas d’histoire. La temporalité est celle d’une journée, celle que vivent les « ébouriffés », trois personnages de tailles différentes (deux adultes, homme et femme et une fillette ou tout simplement un grand une moyenne et une petite, on ne sait).
Tout d’abord, avant leur apparition au saut du lit (d‘où le titre), il y a la nuit qui entoure la maison où ils dorment, la brume, les animaux qui s’activent à l’aube. Puis les volets s’ouvrent, ils apparaissent et se précipitent dans le décor, un décor de sapins et de montagne. Dans la brume, l’étang est un océan, le ciel est au bout de la branche, ils y courent, escaladent, sautent, quelle énergie !
Ils chevauchent un nuage en forme de cheval et volent loin, au-dessus d’un paysage chamboulé par la tempête. L’album se clôt par un retour au calme, à la quiétude du lac sans rides et de la maison dont la cheminée fume sous les étoiles.
Les illustrations sont magnifiques, mêlant les aquarelles aux fusains. Les couleurs, rares, éclatent, et les sourires de ces ébouriffés échevelés sont communicatifs. Les paysages qui ressemblent à ceux de la Franche-Comté donnent envie de s’y réfugier, bien au frais… au fait, vous allez où cet été ?

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Le vieil Homme et les mouettes

Le vieil Homme et les mouettes
Rémi Courgeon – Rozenn Brécard
Seuil Jeunesse 2023

Martin, ou le souvenir d’enfance

Par Michel Driol

Enfant, le narrateur était fasciné par un pêcheur à pied, Martin Lenchanteur, suivi par une foule d’oiseaux de mer. Mais il n’osa jamais lui demander son secret. Devenu adulte, longtemps après la mort du mystérieux pêcheur, le narrateur rencontre son frère, qui lui explique tout.

Ce qui frappe d’abord dans l’écriture de cet album, c’est le ton de la confidence, peut-être autobiographique. Le narrateur, dont on découvre, en effet, à la fin, qu’il s’appelle Rémi, s’adresse à un lecteur pour partager avec lui le souvenir d’un homme qui l’a marqué enfant. Un original, solitaire, qui pêche et dont personne ne mange le fruit de la récolte. Un marginal, timide, vivant à l’écart, dont le nom sonne comme un paronyme de Merlin l’Enchanteur. Toute la première partie du récit le présente, épié par un gamin aux lunettes rouges, tantôt seul, tantôt au milieu d’une foule d’autres pêcheurs. C’est d’abord l’histoire d’un silence, d’une question non posée, de la fascination éprouvée par un enfant qui n’ose pas faire le premier pas et demander. Par crainte ? Par timidité ? Jusqu’à ce qu’il soit trop tard, et que l’homme meure. Sa longue silhouette s’est fondue dans les souvenirs flous d’une enfance qu’on croit avoir rêvée. Belle phrase que celle-ci, qui dit tout, avec poésie, avec simplicité,  du temps qui passe, de l’oubli, de la nostalgie de l’enfance. Cette phrase marque la fin de la première partie. Après une ellipse, on retrouve le narrateur adulte, confronté à un nouveau mystère. La cabane est ouverte, et habitée par un homme qui ressemble en tous points à Martin. Son frère, qui va, à son tour, raconter l’enfance de Martin et révéler la raison pour laquelle les mouettes le suivaient. Pourtant, lorsque le narrateur tente de faire la même chose, rien ne se passe, et il se trouve confronté au même mystère, au même secret, bien gardé par le Mont Saint Michel.

Sans doute cet album évoque-t-il deux enfances, celle du narrateur, puis celle de Martin. Pour autant, il évoque surtout le mystère de cette relation particulière aux oiseaux, relation dont on n’aura pas l’explication rationnelle car, en reproduisant les mêmes gestes, le narrateur n’arrive à rien.  C’est bien de là que provient la magie de l’album : il est des questions auxquelles on ne peut avoir de réponse. Cette magie, ce mystère sont renforcés par le décor féérique de la baie du Mont Saint Michel, magnifiquement représentée par Rozenn Brécard, dans des tons marron et bleu, laissant toute leur place au blanc et aux reflets. Ce qui frappe aussi dans cet album, c’est l’importance de la ligne horizontale qui sépare le ciel de la mer, ligne évoquée par la première phrase du texte, et presque toujours représentée dans les illustrations, comme une façon symbolique de séparer deux mondes, deux espaces que les oiseaux et Martin réunissent dans de superbes plans, comme une façon de montrer le statut à part de cet homme.

Un album plein de merveilleux pour évoquer le lien entre l’homme et les oiseaux, entre le naturel et le surnaturel, entre l’enfance et l’âge adulte,  en un lieu chargé d’histoire et de magie qu’est la baie du Mont Saint Michel, magnifiée ici tant par la poésie du texte que par la qualité des illustrations.

Le Jardin de Baba

Le Jardin de Baba
Jordan Scott  – Sydney Smith
Didier Jeunesse 2023

Une grand-mère polonaise au Canada

Par Michel Driol

Tous les matins, le père du narrateur le conduit chez sa grand-mère, où il prend son petit-déjeuner. Puis ils vont à l’école. Sur le chemin, la grand-mère ramasse des vers de terre que, le soir, à la sortie de l’école, elle met dans son jardin. Jusqu’au jour où à la place du cabanon de la grand-mère on construit un immeuble, jusqu’où jour où la grand-mère vient habiter chez le narrateur.

Sur un script universel fréquent en littérature de jeunesse, les deux auteurs signent ici une histoire touchante et douce. Touchante, parce qu’intime. Il s’agit de montrer l’amour d’une grand-mère pour son petit-fils, un amour qui ne passe pas par le langage (elle parle peu l’anglais, lui ne doit pas parler le polonais), mais par les gestes, les attentions, la complicité dans des rituels immuables qui se renversent à la fin, lorsque c’est le petit fils qui apporte le petit-déjeuner à sa grand-mère. Touchante ensuite par ce qu’elle inscrit cette histoire familiale dans une Histoire plus grande, celle de l’immigration de la Pologne au Canada, histoire suggérée plus que dite dans l’album. (Elle est explicitée dans la postface). Quelques photos en noir et blanc accrochées au mur, montrées par l’illustration qui représente aussi Baba, la grand-mère, coiffée d’un fichu, à la façon des babouchkas  des pays de l’Est de l’Europe. Un intérieur de cabanon où semble recréée une petite Pologne, avec ses conserves de cornichon et ses betteraves. C’est donc l’histoire d’un double exil, celui de Pologne d’abord, puis celui de la zone périurbaine où vit la grand-mère (un cabanon, derrière un terril de soufre, près de l’autoroute…) à l’appartement où elle perd ses repères. Elle que l’on voyait active dans toutes les illustrations est désormais montrée derrière une fenêtre ou dans son lit. Ce récit plein de pudeur est aussi un beau récit de transmission. Transmission de cet amour pour la nature (le narrateur plante des graines de tomates cerises et continue de ramasser des vers de terre). C’est un récit plein de douceur qui parle aussi de la perte de l’utopie de l’enfance, du temps où l’on croit que les choses sont immuables et vont durer éternellement.  Le présent d’habitude des premières pages, qui porte le récit des rites qui lient Baba et le narrateur, se termine brusquement par un imparfait, qui sonne comme un glas. C’était comme ça… Cette nostalgie, qui a peut-être ici quelque chose de slave, est l’un des charmes de cet album superbement illustré par les aquarelles lumineuses de Sydney Smith dont les cadrages savent saisir des instants particuliers, et magnifient une pluie qui semble assez omniprésente.

Un magnifique album, autobiographique, pour dire tout ce que l’auteur doit à sa grand-mère, et, de façon plus universelle, ce qui se transmet d’une génération à l’autre.

C’est quoi la sagesse, grand-père ?

C’est quoi la sagesse, grand-père ?
Jean Marie Robillard – Fabien Doulut
Utopique 2023

Légende d’automne

Par Michel Driol

Grand-Aigle et Petit Castor ont l’habitude de descendre ensemble en canoé la rivière, et de discuter. A la question de son petit-fils, c’est quoi la sagesse ?, le grand-père montre un chêne qui, après avoir été l’arbre le plus majestueux de la forêt, se contente d’abriter les écureuils. Le voyage continue jusqu’aux rives du lac Massawippi où le grand-père raconte la création des hommes par le Grand-Esprit. Source-Claire, Flamme-Pure, Douce-Brise, Rouge-Terre qui vont rencontrer quatre femmes, Fleur-qui-Sommeille, Cheveux-au-Vent, Fleur-de-Matin et Perle-de-Rosée. Des ancêtres pour qui tout est sacré, la terre, l’eau, le souffle du vent ou le battement de l’aile d’un papillon. Quatre fils du Grand-Esprit dont on se transmet l’histoire, de génération en génération.

A la question philosophique du titre, l’album répond avec poésie, de façon indirecte, par la métaphore et la légende au cours d’un voyage initiatique. Le Grand-Père parle par images, des images que Petit-Castor, représentant du lecteur, ne comprend pas forcément, ce que souligne le texte. « Je t’apprendrai à plonger tes racines d’homme au creux du ventre chaud de notre Terre-Mère et à y puiser la force qui te portera ». D’une certaine façon, tout est dit dans cette promesse du lien qui doit unir les hommes et la terre, de la façon dont la Terre est mère nourricière. La métaphore du vieux chêne vient donner une première approche de cette philosophie, que l’iconographie rend encore plus sensible. Un chêne grandiose, dont les branches déclinent les quatre saisons, dont les racines s’enfoncent profondément dans la terre, et qui protège les deux personnages. A la fois figure des racines nécessaires et de l’acceptation du temps qui passe, de l’automne à l’été. Métaphore que le petit fils explicite : Tu es un peu comme cet arbre. Vient ensuite le récit des origines, que le grand-père transmet à son petit-fils là où son propre grand père le lui a transmis, comme une façon d’enraciner son petit-fils dans une histoire qui les dépasse. Un récit des origines poétique, qui associe l’homme aux quatre éléments, le feu, l’air, l’eau et la terre, qui souligne l’importance de l’amour, et évoque le mythe d’une nature où vivaient en harmonie les hommes et les animaux. Au-delà de cette façon de célébrer l’union de l’homme et de la nature, voire du cosmos, d’un plaidoyer pour une écologie respectueuse du vivant, c’est la dimension de la transmission qui retient particulièrement notre attention. Transmission entre un grand-père et son petit-fils, c’est un lieu commun en littérature de jeunesse. Mais ici cette transmission trouve sa source dans les générations précédentes, et vise à faire de chacun le maillon d’une grande chaine qui commence à la création du monde. Cette transmission est aussi celle qui nous met, nous, occidentaux, à l’écoute des cultures et des sagesses amérindiennes, pour faire passer une sagesse venue du fond des temps à l’heure où les dérèglements climatiques et le culte de la vitesse, du nouveau, du moderne nous entrainent dans une course effrénée. Voilà un album qui nous dit de prendre le détour de la poésie, de la contemplation pour tenter de refaire un tout avec la nature qui, d’une certaine façon, fait corps avec celles et ceux qui nous ont précédés. Ce qui coule dans les arbres, ce n’est pas que de la sève, c’est le sang de nos ancêtres.

Si les contenus philosophiques sont peut-être un peu complexes pour des enfants, la poésie de l’album, la qualité de ses illustrations, avec ses dominantes de marron et d’ocre rendront sensible au plus grand nombre la question de notre rapport avec la nature : en sommes-nous une partie ou nous est-elle étrangère ? Comment peut-elle nous donner des leçons de sagesse et nous apprendre à mieux vivre ?

A la belle étoile

A la belle étoile
Texte Nathalie Tuleff, musique Guillaume Lucas, Illustrations Janna Baibatyrova
Trois petits points 2023

Vive l’eau

Par Michel Driol

Pour la première fois, Rosetta et Lucien partent en vacances, dans le pays voisin, chez Opa et Oma. Au milieu de la nuit, ils entendent du bruit autour de leur tente. C’est Albert Hisson qui leur explique qu’il n’y a plus d’eau dans le ruisseau, et qu’il doit partir. Remontant le lit de la rivière, les deux amis découvrent Corentin le ragondin, qui leur explique que des hommes ont fait « un grand bazar » et que l’eau ne coule plus. Avec l’aide des ragondins, Rosetta et Lucien parviennent à refaire couler la rivière.

Voici un nouveau CD des aventures de Rosetta, un conte écologique dans lequel les enfants et les animaux parlent ensemble et collaborent pour faire revenir l’eau de la rivière, symbole de vie pour tous, une eau que la folie ou la négligence des hommes empêche de couler. Mais, en fait tout commence par l’observation des étoiles depuis le sommet du donjon, la quête des étoiles filantes qui permettront de faire un vœu, situation que l’on retrouve dans le dernier chapitre. C’est une façon d’inscrire le récit aussi bien dans le cosmos tout entier que dans l’imaginaire merveilleux du conte. Le texte est plein d’une poésie simple, celle de la nature, du bonheur et des plaisirs quotidiens. Nathalie Tuleff, qui lui prête sa voix,  en propose une interprétation toute en finesse, modulant les accents au gré des animaux rencontrés, non sans humour. L’accompagnement musical fait la part belle au phrasé tout en souplesse de Brahms et Debussy.  Un signal sonore discret indique le tourne-page, et permet de découvrir les illustrations aux couleurs vives, sans texte, de l’album qui accompagne le CD. Des illustrations qui s’inscrivent elles aussi avec bonheur sous le signe des étoiles.

Une histoire qui s’adresse certes aux plus petits, mais dont la poésie et la sensibilité ne laisseront pas les plus âgés indifférents.