Dans la gueule du loup

Dans la gueule du loup
Michal Morpurgo – Barroux (illustrations)
Gallimard Jeunesse 2018

Le Partisan

Par Michel Driol

On vient de fêter les 90 ans de Francis au village du Pouget. Durant la nuit, rythmée par les hululements d’un petit-duc et les coups d’une cloche fêlée, il se remémore sa vie. Ses rapports avec son jeune frère, qui, au début de la seconde guerre mondiale, s’engage dans la Royal Air Force, et meurt dans un accident d’avion. Sa décision alors, lui le pacifiste, objecteur de conscience, de s’engager contre ses convictions, et de se jeter dans la gueule du loup comme espion britannique, résistant en France occupée.

Une histoire vraie, dit le sous-titre. L’histoire de Francis et Pieter Cammaerts, les deux oncles maternels de l’auteur. C’est dire ce que représente ce récit pour son auteur, sans doute le plus personnel qu’il ait écrit. Sa réussite tient à la façon dont il retrace la vie de son oncle, à la première personne, comme s’identifiant à lui qui revoit les épisodes importants de sa vie défiler.  La sobriété et la pudeur du récit n’excluent pas la sensibilité et émotion, en particulier parce que Francis s’adresse chapitre après chapitre à son père, à Pieter, ou à ses autres compagnons de lutte, d’autres résistants et résistantes qui parfois ont payé de leur vie leur engagement. Il s’étonne d’être parvenu à 90 ans et leur rend hommage, incluant dans cet hommage les plus anonymes, en particulier les femmes. Ce dispositif narratif qui mêle le passé et le présent, les vivants et les morts, est d’une grande force et contribue à donner de l’épaisseur humaine au héros. Tout autant que la précision des souvenirs, des actions conduites par Francis, ce qui frappe ce sont les valeurs qui animent ses engagements. Valeurs humanistes, courage, amour : le roman fait le portrait en action d’un héros de notre temps, d’un enseignant, d’un pacifiste convaincu qui se jette dans l’action clandestine afin que la mort de son frère ne soit pas inutile.

Les illustrations de Barroux, « avec [ses] propres armes, la ligne et la lumière », du noir, du blanc et du gris, donnent une réelle intensité dramatique aux scènes représentées, mais se concentrent aussi sur les visages, les joies, les peurs, les angoisses.

Un cahier documentaire, illustré des photographies des personnages, complète le récit.

Un récit particulièrement émouvant dans sa simplicité, pour rendre hommage à la vie d’un héros de la Seconde Guerre mondiale, le replacer dans son milieu familial, qui est aussi celui de l’auteur, à travers ses identités successives de frère, père, professeur et espion, et permettant à tous de comprendre aujourd’hui ce que signifie le verbe « résister ».

C’en est trop, Herman Hesse

C’en est trop, Poèmes 1892-1962
Herman Hesse, Edition bilingue Allemand Français, Trad. François Mathieu
Editions Bruno Doucey, 2019

Une poésie intemporelle

Maryse Vuillermet

Herman Hesse, auteur révolté,  connu pour ses positions pacifistes a écrit des romans qui l’ont rendu célèbre comme Le loup des steppes et il a obtenu le Nobel En 46.
Or, ce qu’on sait moins, c’est qu’il a écrit toute sa vie de la poésie. Et c’est très heureux que les éditions Bruno Doucey nous proposent une édition bilingue des poèmes d’une vie  » soixante-dix ans d’écriture, des emportements de la jeunesse aux chants du crépuscule.  »
Ces poèmes sont très accessibles, ils décrivent le quotidien, ses joies, ses peines, ses révoltes, ses amours dans un langage poétique universel. Certains de ces poèmes sont de purs cris de révolte et des condensés d’émotion dans lesquels les jeunes se reconnaîtront.

« Je jette mes vieux bâtons de randonnée
Dans l’herbe mouillée
C’est à crever, j’en ai les larmes aux yeux
De nouveau, il faut que je parte
(…)
Je crache en silence dans un buisson
Vous tous qu’il faut servir, c’en est trop,
Ministres, excellences, généraux
Que le diable vous emporte ! »

Madame Livingstone

Madame Livingstone
Barly Baruti,  Christophe Cassiau-Haurie (Ill.)
Glénat, 2014

Par Edwige Planchin

Madame LivingstoneA peine entré dans le livre, nous comprenons que nous nous immergeons dans un univers complexe, construit, riche et profond. Pendant la première guerre mondiale, un aviateur belge, Gaston Mercier, est chargé de couler, sur le lac Tanganyika, un cuirassé allemand. On lui assigne pour cela un guide énigmatique : un métis en kilt surnommé « Madame Livingstone ». Outre l’intérêt historique (l’exportation jusqu’en Afrique de cette guerre), la rencontre de ces deux hommes dans un conflit qui n’est pas le leur suggère des questionnements philosophiques sur l’identité, l’appartenance à une patrie, la perception de l’autre… On apprécie particulièrement la personnalité fine, intelligente et assumée dans sa singularité du métis, rompant ainsi avec l’image du « noir » dans la BD. Ainsi que l’évolution psychologique de Mercier. Un travail énorme et particulièrement réussi qui provoque avec force du dégoût pour la guerre et l’envie de rencontrer l’autre au-delà de toute forme d’appartenance à un groupe.

Le Dernier Ami de Jaurès (juillet 1914)

Le Dernier Ami de Jaurès
Tania Sollogoub
L’école des loisirs, 2013

Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

Par Anne-Marie Mercier

CouvmediumGabaritLe dernier ami de Jaurès, c’est un adolescent solitaire et amoureux qui tente de lui tenir lieu de garde du corps au moment où des menaces se précisent, peu avant son assassinat le 31 juillet 1914, et surtout peu avant la mobilisation générale de la « grande » guerre à laquelle Jaurès s’opposait. La vie de Jaurès et celle du jeune homme – amoureux pour la première fois – alternent avec des scènes qui évoquent la vie du temps dans les couches populaires : travail, conversation, bal… et le quartier de la rue de la Gaîté.
Mais ce qui fait que ce roman est bien plus qu’un roman historique, ce sont les courts chapitres intitulés « prologue » qui donnent l’arrière-plan des événements : l’assassinat de Sarajevo, les réactions de l’empereur d’Autriche, de Poincaré, du Tsar et de Guillaume II, les manoeuvres en sous-main du ministre autrichien des affaires étrangères pour pousser à la guerre des dirigeants qui n’en veulent pas, les manifestations pacifistes en Russie comme en France, les ultimatums, l’engrenage. Il accroche à ces événements les réactions de Jaurès qui tente de sauver la paix, qui prépare ses discours, les prononce devant une foule qui l’acclame, mais aussi qui désespère et ressent la solitude.
C’est un Jaurès très humain qu’on nous présente, et le grand homme du Panthéon, celui-ci dont le nom a servi à nommer tant de places et d’avenues prend chair au milieu de multiples personnages secondaires issus du peuple. Tout cela vit, aime, souffre, se passionne et se dispute et  montre les multiples façons de réagir à ces événements.

Une occasion de se souvenir de la chanson de Brel, « Jaurès »?  Ici.