Grand n’importe quoi chez les Tout-bien-faire

Grand n’importe quoi chez les Tout-bien-faire
Agnès de Lestrade, Yves Dumont
Utopique, janvier 2024

Et si le mieux était l’ennemi du bien ?…

Par Edith Pompidou-Séjournée

Nous voici chez les Tout-bien-faire, chez eux, tout est bien comme il faut : du village à la maison, de la maison au jardin et il en va de même pour les enfants, qui sont polis et bien habillés. Les couleurs dans un camaïeu gris-bleu-vert sont classiques et en parfaite harmonie. Mais l’ordre et le calme sont rompus par l’arrivée de la famille des Grands-n’importe-quoi. Rien de commun chez eux, à commencer par les prénoms un peu extravagants de papa Gontran et maman Kunégonde ou de leurs filles Antoinette et Poulette. Bien sûr, ils veulent changer de décor et commencent par repeindre leur maison en rose et vert à pois. Les Tout-bien-faire sont outrés et catégoriques : « Ils sont chez nous ! Ils n’ont pas le droit ! » Puis, les Grands-n’importe-quoi décident de déstructurer leur jardin en y semant des mauvaises herbes, en faisant les fous comme à leur habitude. Mais lorsqu’ils décident de mettre une étoile sur le toit c’est la catastrophe et tout le monde se blesse. Heureusement, leur voisin médecin, Anselme, passe par là et les soigne tout en leur faisant remarquer : « voilà ce qui arrive quand on fait n’importe quoi ! ».
Une fois guérie, la petite famille décide de remercier son docteur en lui faisant une surprise. Ils peignent des pâquerettes sur sa maison, la nuit, en cachette. Le lendemain matin, Anselme n’en croit pas ses yeux, il est fou de rage et accuse son voisin. Dans leur querelle, ils s’affrontent à coup de pots de peinture.
Les autres habitants, alertés par la dispute, apprécient toutes ces couleurs et décident de décorer la ville. La question de la standardisation en rapport à l’individualisation ne se pose plus. C’est le bazar, mais tout le monde est heureux et repeint sa maison comme il veut. Tout se termine par une grande fête : pourtant, une famille manque à l’appel, les Grands-n’importe-quoi qui sont partis en laissant un mot pour expliquer qu’ils vont « essayer de faire mieux la prochaine fois ».
Les Tout-bien-faire sont déçus : finalement, ils avaient mal jugé les Grands-n’importe-quoi qui leur ont apporté le petit grain de folie nécessaire pour enjoliver leur vie et se rebaptisent d’ailleurs : « les Tout-bien-faire-mais-pas-tout-le-temps » ! Tout est bien qui finit bien, il suffirait donc d’accepter l’autre tel qu’il est pour mieux le découvrir et devenir meilleur… Belle leçon de vie en tous cas avec beaucoup d’humour et de légèreté !

 

 

Chère Fubuki Katana

Chère Fubuki Katana
Annelise Heurtier
Casterman, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

C’est à une véritable immersion dans le Japon contemporain que nous invite Annelise Heurtier: évidemment, le mieux serait de pouvoir vérifier l’exactitude de ses descriptions (!) mais en attendant, on a vraiment l’impression d’y être. Tout est là pour créer l’illusion: le vocabulaire, la description des lieux (cela va du Mont Fuji, bien sûr, aux bars à thèmes – plus précisément, un bar à chats, qui joue un rôle important dans l’intrigue-); les boutiques; les odeurs, la nourriture, les coutumes.

Tout cela pourrait rester superficiel: mais le parti pris de l’auteure nous permet un réel dépaysement et une plongée passionnante dans l’univers japonais. En effet, nous adoptons le point de vue d’une adolescente, Emi, ce qui nous permet de comprendre de l’intérieur la vie familiale; l’univers scolaire, d’autant plus que l’héroïne est victime de harcèlement. Plus encore, ce sont les représentations sociales, les règles tacites, les tabous que nous découvrons: ainsi, à travers les lois d’airain qui obligent à taire ses émotions, on retrouve, décuplés,  les tourments de n ‘importe quelle adolescente (notamment un dramatique manque de confiance en soi et un sentiment de culpabilité incessant).

A cela s’ajoute un procédé particulièrement réussi: l’héroïne, pour s’échapper de la réalité quand elle devient suffocante, imagine la scène qu’elle est en train de vivre sous forme de mangas car elle est fan de ce genre.

Et enfin, l’intrigue est pimentée par une touche de mystère: des lettres énigmatiques adressées à la Fubuki Katana du titre émaillent le récit et créent un suspens qui rend la lecture fluide et prenante.

Bref, ce roman est une vraie réussite dans la mesure où il parvient à la fois à nous faire découvrir une culture très éloignée de la nôtre, sans lourdeur, sans explications indigestes, et à nous la rendre proche, en dégageant l’universalité des émotions.

 

 

Il a neigé

Il a neigé
Richard Curtis – Rebecca Cobb
NordSud 2016

Folle journée d’hiver

Par Michel Driol

Par un jour de neige, seuls un élève et un professeur n’apprennent pas que l’école est fermée. Or ces deux-là se détestent : l’un est le plus sévère de l’école, l’autre le plus mauvais élève du pays. Avant la récréation, le professeur fait classe, comme à son habitude, avec un seul élève. Mais, lors de la récréation, il l’aide à fabriquer un bonhomme de neige, puis tous les deux jouent : patin à glace, skis… en détournant les objets pédagogiques. Le jour suivant, tout le monde revient en classe, et rien ne semble avoir changé. Mais, au lieu de la punition, le professeur montre à l’enfant un projet fantastique de ville en iglous, qu’ils réalisent lors de la chute de neige suivante.

Découvrir l’autre, avoir un projet commun, aller au-delà des stéréotypes dans lesquels on est enfermé et dans lesquels on enferme l’autre, vaincre les préjugés et la solitude : voilà ce dont parle cet album avec finesse et humour. Il semble suggérer qu’il faut, pour cela, bénéficier de circonstances particulières : la neige, qui fait retomber en enfance le vieux professeur et le rapproche alors de l’enfant, dans une complicité souriante que l’image montre très explicitement. L’album entraine le lecteur dans une folle journée, faisant alterner les doubles pages contemplatives montrant la ville, la neige qui tombe, et les pages découpées à la façon de la bande dessinée en strips verticaux qui multiplient les situations et donnent autant d’occasions de voir évoluer les relations entre les deux personnages.

Un livre plein de charme, drôle, aux illustrations sympathiques,  qui aborde des sujets sérieux avec légèreté.

Chacun voit Mehdi à sa porte

Chacun voit Mehdi à sa  porte
Jean-Hugues Oppel
Syros, Mini, 2013 

Très mince intrigue pour une très grande question

Par Maryse Vuillermet

 

chacun voit mehdi à sa porte image Simon, en camping dans le midi a perdu son fils. Il questionne les campeurs qui tous disent l’avoir vu passer et l’envoient dans toutes les directions. Il suit leurs conseils mais ne retrouve pas son fils. Au bout d’un moment, il se rend compte que quelque chose ne va pas. Et c’est un vieux monsieur noir qui lui explique qu’en fait, si lui, un noir cherchait son fils, tout le monde supposerait que  son fils   est un enfant noir,  alors que ce pourrait être un petit blond adopté.

C’est la force du  préjugé.  Les campeurs ont  certainement tous vu un petit garçon  de type arabe, parce que ce n’est pas dit,  mais on suppose que Simon  a ce type, donc les gens en déduisent que son fils doit avoir le même.

 Simon retrouve son fils en grande conversation avec une petite fille !

Déclaration d’anniversaire

Déclaration d’anniversaire
Eléonore Cannone
Océans ados 2012

 Belle leçon de lutte contre les préjugés

 Par Maryse Vuillermet

 Aurélien,  dix-sept ans, Juliette, sa mère  Bénédicte, son autre mère,  Teddy, le frère de Bénédicte, Cindy,  l’amie de Teddy et  Milfred le chien s’expriment tour à tour. C’est un jour spécial, c’est l’anniversaire d’Aurélien,  Ses mères ont invité Teddy, et sa petite amie qu’elles ne connaissent pas. Aurélien est inquiet parce qu’il a quelque chose à annoncer !

Au début, on pense que ce roman va nous parler de l’homosexualité féminine et de l’adoption ou l’éducation des enfants par des couples homosexuels. En fait,  pas du tout ou pas exclusivement. On s’aperçoit que chacun a des préjugés, des idées préconçues sur les autres,  par exemple que les enfants élevés par des couples homosexuels sont traumatisés, Or, Aurélien élevé par deux femmes  se dit  très heureux.  Teddy n’a jamais eu que des petites amies belles et stupides, or, la petite amie de Teddy  est jolie et caissière,  les caissières jolies ne lisent pas, or, elle lit énormément, l’annonce d’Aurélien ne concerne pas la sexualité  ou la drogue, mais son avenir, et,… il veut faire une école de commerce, ses mères, artistes et bobos  trouvent ça horrible…

 Ce petit roman est construit ainsi sur toute une série de préjugés qui vont tous être battus en brèche grâce au dialogue et à l’écoute, basés sur  l’amour et la confiance. La notion de famille est également interrogée.  Une famille, c’est un groupe de personnes qui s’aiment,  pas forcément mariées, ni  mères et pères biologiques. Aurélien a donc une belle famille mais les parents de Bénédicte et Teddy ont refusé d’accepter la vie de leur fille et ne la voient plus « La famille n’est pas toujours fondée sur les liens du sang. C’est parfois le cas. Pas toujours. Elle est surtout fondée sur les liens du cœur. » (p99)

Au passage, un autre préjugé est détruit, et il nous concerne, en effet,  un clin d’œil  très appuyé est fait à la littérature jeunesse p 47 : « La littérature jeunesse est souvent sous-estimée, m’a-t-elle expliqué. Il n’y a pas de grands auteurs de littérature générale et de petits auteurs de littérature jeunesse. Il y a des grands et des petits dans les deux. On croit toujours que les auteurs font leurs premières armes en littérature jeunesse et qu’une fois qu’ils sont grands, et qu’ils ont fait leurs gammes de mots, ils peuvent enfin se lancer dans la  vraie littérature, rien n’est plus faux ; Et là-dessus, elle m’a sorti des petites merveilles de son rayon jeunesse.  Mon univers venait encore de s’ agrandir. Depuis, je lis de tout. »

Comme nous !

Un bon roman donc court mais plein de sagesse.