De pire en pire
L’Atelier du Trio : Cathy Ytak, Thomas Scotto, Gilles Abier – Illustrations de Claire Czajkowski
Editions du pourquoi pas ? 2022
Comme une réécriture du petit Poucet
Ils sont trois enfants dans la famille, Cami, l’ainée, 11 ans, Gibus 10 ans et Tosh, 7 ans. Tout va bien dans leur vie, faite de bonheurs et de bêtises, parfois bien grosses, jusqu’au jour où ils entendent leurs parents dire « On en a 3 sur le dos, il faut en liquider un. Et on ne tarde pas ». Après une explication sémantique du terme liquider, qui n’a rien à voir avec l’eau, les 3 enfants discutent pour savoir lequel sacrifier… Argumentation serrée ! Jusqu’à l’explication finale avec les parents et le happy end inattendu !
Cet album se présente comme une pièce illustrée à trois personnages, dans une écriture théâtrale très contemporaine qui mêle le dialogue entre les protagonistes et le récit par l’un ou l’autre d’événements hors champ. Huit tableaux pour raconter cette histoire reposant sur un quiproquo, qui n’en est un que pour les enfants, pas pour les lecteurs, qui ont bien compris ce dont parlent les parents. « On vit à crédit. On en a 3 sur le dos. Il faut en liquider un ». Les lecteurs adultes, à tout le moins ! Il sera intéressant de voir la réception de ces quelques phrases par les enfants… L’action se situe donc dans une famille « ordinaire », plutôt aimante, avec trois enfants complices, enjoués, qui ont leur heure de gloire ou de détresse absolue lorsque les deux ainés racontent dans des tableaux monologues leur dernière grosse bêtise (on laissera au lecteur le plaisir de les découvrir) : des bêtises qui risquent bien de leur couter la vie ! C’est que le mécanisme est celui de ces émissions de téléréalité où il s’agit d’éliminer quelqu’un. Après les bêtises qui pourraient être cause de « liquidation », on en vient à envisager ce que chacun apporte. à la famille, et ce qu’il lui coute aussi : et on passe en revue les achats de vêtements (aux vrais trous), d’ordinateurs hyper puissants, car le problème est bien économique, celui de la consommation à tout prix. Chacun fait la liste de ses atouts, c’est à dire de ce qu’il permet à la famille d’économiser par le fait de se nourrir de moins de viande et de plus de fruits, d’aller au collège en vélo ou de se promener en forêt au lieu d’aller s’inscrire dans un club de sport, ou même de manger jusqu’aux pépins de pommes ! Les enfants ont compris que la famille dépense trop, utilise trop de ressources, à l’image des terriens qui, le rappelle Gibus, ont déjà dépensé le 29 juillet tout ce que la Terre peut produire en une année. Avec beaucoup d’humour, on voit ici comment les trois auteurs instillent dans leur texte, l’air de rien, comme sans y toucher, une série de petits gestes pour sauver la planète ou faire des économies, pour concilier fin du mois et fin du monde. Et c’est bien ce qui fait la qualité littéraire de ce texte : tout en évoquant les changements possibles à l’échelle familiale des modes de consommation, il met au premier plan le désarroi de ces gamins, leur naïveté et leur bonne volonté, leur conscience économique et écologique, et surtout leur volonté farouche et irrésistible de ne laisser sacrifier aucun des trois et de s’entraider ! On comprend leur plaisir final lorsque la mère, parlant de voiture, dit qu’elle va se débarrasser de la sienne, et leur consternation lorsqu’elle annonce que c’est « pour en acheter une plus grosse ». Autre source de quiproquo potentiel vite élucidé !
Si, bien sûr, on souhaite qu’il soit monté sur un plateau, on prend néanmoins un grand plaisir à lire cet album dialogué plein de vie et d’émotion. Les illustrations de Claire Czajkowski y contribuent, qui, dans des teintes bleutées, donnent à voir les grands moments de l’histoire, de petits détails pleins de sens (les pantalons troués par de « vrais » trous par exemple) et surtout les bouilles impayables de ces trois enfants de plus en plus terrifiés, persuadés que tout va aller de pire en pire pour eux, et que leur dernière heure est arrivée.
Un texte vivant, drôle, autour de trois personnages sympathiques et bien dessinés dans leurs complémentarités et leurs complicités, qui sait évoquer des changements à faire dans nos modes de vie sans être moralisateur ou anxiogène, mais en étant tonique !