Rosie Pink et le paradis des mauvaises herbes

Rosie Pink et le paradis des mauvaises herbes
Didier Levy – Lisa Zordan
Sarbacance 2024

Papa, allons voir si la rose…

Par Michel Driol

Horace Pink fait pousser les plus magnifiques roses du monde, avec un soin maniaque, arrachant sans pitié les mauvaises herbes. Sa fille Rosie, elle, se prend de pitié pour ces mauvaises herbes, les recueille, les fait pousser dans un coin du jardin, attribué par son père, derrière le manoir, bien sûr ! Parmi les plantes qui poussent éclot une rose, bien plus belle que celles de son père.

Deux personnages qui s’opposent dans cet album, deux visions du monde et de la nature. D’un côté le père, toujours impeccable, soignant son jardin, alignant les roses, voulant ordonner et maitriser la nature, dans ses moindres aspects, jardinier expérimenté dont le texte souligne avec précision les moindres gestes. De l’autre sa fille, peinée de voir ainsi sacrifiées des plantes moins jolies peut-être que les autres dont le texte souligne la douceur et la tendresse, sa façon de faire pousser ses plantes parmi ses peluches. Rigidité du père, que l’illustratrice montre toujours tiré à quatre épingles, parfaitement coiffé, candeur et innocence de la fillette, aux yeux grand ouverts sur le monde, presque toujours montrée en action. La fin de l’album montre la transformation progressive du père, absorbé désormais par la contemplation de cette rose qu’il n’a pas fait pousser. Transformation dans son apparence :  décoiffé, mal habillé. Transformation dans ses rituels : on le voit assis dans un vieux fauteuil de jardin, en plein hiver. Transformation enfin dans sa conception de la roseraie, qu’il veut désormais libre et folle.

C’est bien de diversité et d’imperfection que parle cet album. L’enfance est là, qui accueille le monde à bras ouverts, avec tendresse, dans sa variété, sans idées préconçues. SI la rose est, dans nos civilisations, depuis longtemps, une sorte de reine des fleurs, il n’en va pas de même pour l’enfant qui voit la vie dans tout le monde végétal, et donc veut lui assurer le droit à exister. L’album prend parti : ce n’est pas en régissant la nature, en la soumettant qu’elle s’exprime le mieux, C’est en la laissant libre qu’elle fait éclore la plus belle des fleurs. Leçon de tolérance, d’ouverture, de sagesse, de respect du vivant.

Le texte nous transporte dans un univers où les enfants vouvoient leurs parents, comme pour marquer la distance entre les deux conceptions du monde et de la nature. Les illustrations, quant à elles, très colorées, très réalistes, semblent intemporelles. Si le père porte des lunettes sans branches, et un pull jacquard, la fillette, avec sa jupette à carreaux, semble une petite fille modèle des années 60. Les illustrations invitent à contempler les fleurs, les roses multicolores du père, alignées, toutes semblables, à la couleur près, aux pétales quelque peu anguleux, la rose très douce et ronde de la fillette, et les multiples mauvaises herbes d’une grande variété. Elles disent aussi la beauté de la nature, des oiseaux, des insectes, qu’elles montrent en faisant varier les échelles de plan les points de vue, les angles.

Un album sur les relations père fille, qui montre la magie de l’enfance, capable de transformer les hommes et de faire naitre la vie tout en invitant à respecter la nature.

Sauver papa

Sauver papa
Blanche Martire
Le Calicot 2024

L’enfant thérapeute

Par Michel Driol

Marguerite est une brillante élève de terminale dont les parents sont divorcés. Son père est poète, à ses heures, plutôt paisible, sa mère plus active enchaine les activités. Quant à elle, elle ne sait pas où elle en est, doute d’elle-même, si bien que, faute d’un conseiller d’orientation dans son lycée, sa mère l’envoie chez une psychologue qui l’aidera à découvrir en quoi son père lui est toxique, en prenant toute la place, et en attendant trop d’elle.

Cette nouvelle d’une trentaine de pages, particulièrement bien écrite et structurée, fait alterner sur une même soirée passée en boite de nuit les souvenirs et les confidences de la narratrice, tels qu’ils reviennent, au rythme de la musique. Il est question du mal être d’une adolescente, qui a de la difficulté à porter son prénom, Marguerite, fleur rayonnante. Qui est-elle réellement dans sa relation avec les autres, avec ses parents, avec son père surtout ? Ce père présent dès les premières pages, avec ce poème qu’il envoie à sa fille, ce père caméléon de la souffrance (ce sont ses propres mots) en attente d’une approbation, d’un retour de sa fille. Ce père, enfant de parents qui ont été famille d’accueil, a-t-il manqué d’amour ? Comment se fait-il qu’il soit devenu, en quelque sorte, l’enfant de sa fille ? Comment parler de cela avec son père ? comment se construire, et découvrir l’amour ? Telle sont les questions, fines, que pose cette nouvelle qui, pour une fois, aborde les phénomènes de relations toxiques  parents-enfants  autrement que par le biais de l’inceste ou de la maltraitance physique. On s’attache à ce personnage de Marguerite, à son errance mentale à travers cette soirée de fête, les bribes, les lambeaux de souvenirs auxquels elle se raccroche, sa sensibilité, sa fragilité. La force de la nouvelle réside dans sa construction, dans sa façon de retracer, en un temps et un espace clos, le parcours affectif de Marguerite, sa prise de conscience, les faits, petits ou grands, significatifs pour elle, à la façon d’un puzzle dont les pièces, petit à petit, viennent s’emboiter pour donner un sens et une orientation à une image de soi jusque-là brouillée, dans une écriture simple et douce, très classique dans la forme et la syntaxe.

Une nouvelle forte et concise, sans fioriture, qui montre comment les rôles de parent et d’enfant peuvent s’inverser, portée par une narratrice à la fois perdue et lucide.

Mon père le plus grand des agents bricoleurs

Mon père le plus grand des agents bricoleurs
Barroux
Little Urban 2019

Bricoler ensemble

Par Michel Driol

Voici un album qui parle d’un papa bricoleur… Est-on dans les stéréotypes de genre ? Certes non. En 14 doubles pages, qui chacune porte un titre, on découvre progressivement les facettes de ce père bricoleur, vu par sa fille, future bricoleuse. Cela va de la caverne à la sieste, en passant par la guerre et les cartes postales. Et, bien sûr, l’album parle de la relation entre un père et sa fille qui partagent la même passion du bricolage.

D’entrée de jeu, on est dans un imaginaire enfantin : la petite fille assimile son père à un agent secret, qui change de tenue le weekend, afin de bricoler. Dès lors, il possède un coin secret, et une assistante, sa fille… Tous les attributs liés au bricolage sont là : les multiples boites qui servent à ranger, les outils aux noms poétiques et énigmatiques,  les blessures aussi… Au service de tout le quartier, le bricoleur sait aussi se faire inventeur, et proposer à sa fille, en grand secret, une invention qui les rapprochera encore plus… On trouvera peut-être que la mère est quasi absente, réduite à un rôle d’infirmière ou de spectatrice. Cela participe de la volonté de l’auteur de mettre en évidence la relation père fille.

Le récit est conduit avec beaucoup d’humour, en particulier à cause du regard de la petite fille et de son ton familier et ses énumérations qui tentent de dire l’univers du père. Les objets sont quasi animés : le père leur redonne vie dans son espèce de jardin secret qu’il partage avec sa fille. Les illustrations – souvent en double page – montrent un univers coloré, désordonné, et donnent une impression de joie et de bonheur dans la complicité qui se noue.

Un album à la fois joyeux et tendre, plein de poésie et de douceur, qui montre que le bricolage n’est pas réservé aux garçons !