Les Poupées savantes

Les Poupées savantes
Arthur Ténor
Le Muscadier 2022

Alter poupée…

Par Michel Driol

Dans un futur proche Lilibellule reçoit pour son anniversaire une poupée savante, réplique exacte de son visage, qui doit l’aider dans son travail scolaire. Surviennent deux événements. Lilibellule est renversée par une voiture, et la poupée est enlevée par un gang de trafiquants de poupées  et robots. Comment la récupérer ?

Dans ce roman de science-fiction, Arthur Ténor propose une société dans laquelle s’affrontent les cyberprogressistes, partisans de développer au maximum toutes les formes d’intelligence artificielle, et les humaniloves, qui pensent qu’il faut rejeter l’usage des humanoïdes dans la vie quotidienne. Ces deux causes sont incarnées par Lillibellule, dont les parents gèrent une start-up consacrée au développement de robots et Cléon, qui semble épouser la cause humanilove. C’est à une réflexion sur le thème de l’intelligence artificielle que conduit ce roman. Représente-elle un danger pour l’humanité, en termes de perte de contrôle sur sa destinée, voire sur sa nature même ?  Les scènes finales confrontent les héros à eux-mêmes, aux envies de pouvoir absolu, à l’usage d’armes à distance, façon de se sentir tout puissant, mais aussi responsable. La vie et la mort ne sont pas des jeux vidéo, et le sens de la mesure, de la raison doivent l’emporter face à toutes les tentations.

Un roman de science-fiction qui pose des questions bien actuelles, aborde la question de ce qui fait notre humanité, celle de notre dépendance aux différentes formes d’intelligence artificielle, et touche aussi certains points sensibles pour les ados comme leur relation aux réseaux sociaux et aux fake-news.

Ma Super Cyber Maman

Ma Super Cyber Maman
Laure Pfeffer

Thierry Magnier, 2022

Machine attentionnelle

Par Matthieu Freyheit

« Tout le monde ne peut pas être orphelin. » On se souvient de la formule, rêveuse et provocante, que Jules Renard fait prononcer à Poil de Carotte. Margaux, elle, ne se voit pas du tout orpheline, et ce sont les absences répétées de sa mère qui lui en font commander…une deuxième.
Après avoir longtemps accompli des performances physiques, les robots de nos fictions, comme ceux qui investissent peu à peu le réel, accomplissent désormais des performances sociales, communicationnelles et émotionnelles. Robots de compagnie, empathie artificielle, ingénierie des émotions et des expressions : la conjonction de la robotique et de l’intelligence artificielle, de plus en plus indissociables selon Raja Chatila, engendre de nombreux fantasmes, et en réalise même certains.
La machine « intelligente » vient ici au secours de la famille dans un texte qui a le talent de ne jamais forcer le trait. La situation est elle-même improbable, mais cela n’a pas la moindre importance : la commande d’une cyber maman (qui aurait tout aussi bien pu être ici un cyber papa) inscrit la fiction de Laure Pfeffer dans la lignée de celles qui interrogent les compensations permises par la technologie. Le choix du terme « cyber maman » plutôt que « cyber mère » en titre, au-delà de la préférence euphonique, traduit les besoins de Margaux : présence, affection, moments partagés, rires… L’habituelle répartition des rôles (à la machine, le calcul ; à l’humain, l’émotion) est donc inversée : professionnelle de l’organisation, la mère de Margaux laisse cette dernière à la garde d’un « planning » aimanté sur le frigo, comme l’absence est épinglée sur le cœur.
C’est pourtant le planning de trop qui va bouleverser le cours des choses en conduisant Margaux à la commande, sur Internet, d’une deuxième maman qui serait tout à elle. Mais malgré le bonheur apporté en secret par la gynoïde (la mère humaine n’ayant bien entendu pas été informée de l’achat), la relation entamée laisse apparaître un dysfonctionnement qui ne dit jamais son nom : ignorante du monde, cette nouvelle maman se laisse guider par sa fille, au profit d’une relation où les rôles peinent à se définir.
L’auteure sait que le réalisme se situe souvent dans la métaphore : il n’est pas question ici d’une fiction qui se voudrait anticipatrice, mais d’une mise en scène de nos processus de délégation. Récemment, Gérald Bronner a mis au jour le hold up attentionnel accompli par nos outils technologiques (voir Apocalypse cognitive, 2021). La fiction, qu’elle soit science-fiction ou non, rappelle quant à elle que l’insularité des individus laisse volontiers aux smartphones et autres tablettes le soin d’occuper ce « temps de cerveau disponible » que les relations interpersonnelles directes ne prennent plus en charge. Car c’est bien une machine attentionnelle que commande Margaux ; une machine dont l’essentiel n’est pas dans l’émotion qu’elle affiche, mais dans celles qu’elle suscite, et que Laure Pfeffer traite avec une belle économie de moyens.

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3
Ben Hatke
Rue de Sèvres, 2016 et 2017

Série spatiale

Par Anne-Marie Mercier

Encore de l’espace!

Zita est une fille comme les autres… mais depuis qu’elle a sauvé la planète Scriptorius (de scriptor, l’écrivain), pas question de la laisser rentrer chez elle : elle doit aller sauver d’autres mondes en péril. Pour échapper à la cohorte de ses admirateurs et à des obligations de super héroïne, elle laisse imprudemment sa place à un robot qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau… et qui part sauver une autre planète à se place. Traquant l’imposteur, elle se met au ban de la société spatiale et est désignée comme « la terreur de l’espace ». En fuite, arrêtée, emprisonnée, contrainte aux travaux forcés… elle rencontre aussi bien de nouveaux amis que des anciens.

Les deux volumes sont aussi inventifs que le premier, plein d’humour; les formes de vie rencontrées par Zita défient les lois de l’univers connu aussi bien de de la sage SF… Les retrouvailles avec Joseph dans le troisième volume sont pleines de surprises, comme leur retour (provisoire !) sur terre, chez leurs parents. Zita, « fille de l’espace », « terreur de l’espace », « aventurière de l’espace » est l’héroïne d’une vraie série qui ajoute d’épisode en épisode, de nouvelles complexités à son monde et de la profondeur à ses personnages, sans trop se prendre au sérieux. Les adultes se régaleront eux-aussi.

BZRK, 2 ( Révolution)

BZRK, 2 ( Révolution)
Michael Grant
Traduit (anglais, États-Unis) par Julien Ramel
Gallimard Jeunesse, 2013

Entomorphose

Par Matthieu Freyheit

BZRK, 2 ( Révolution)Le premier tome contenait quelques longueurs et pouvait faire redouter l’expansion de l’intrigue sur deux autres gros volumes. Il pêchait, aussi, par certains excès de langage – certains clichés – qui pouvaient alourdir l’ensemble, tandis que d’aucuns pouvaient être rebutés par la représentation dérangeante de ‘la viande’ dans laquelle descendent les héros. Malgré tout, le roman fonctionnait très bien, et la réflexion bio-technologique proposée par l’auteur mérite de l’attention, d’autant qu’elle demeure, parfois, relativement complexe pour des adolescents comme pour des adultes.

Le deuxième tome balaie nos appréhensions. L’intrigue lancée, ce volume se permet d’avancer sans relâche, nourri du talent de l’auteur pour créer des personnages parallèles, et parfois s’en débarrasser aussitôt. Complexe sans être compliqué, BZRK Révolution délivre avec une langue claire les motifs d’une pensée riche sur les usages technologiques, mais également sur le devenir de l’humain et le posthumain. Qu’est-ce qu’être humain ? Comment définir l’individu quand l’individu semble, a priori, se diviser en son propre sein ? Car Keats et Plath apprennent à se servir de leurs biobots respectifs, alter-egos entomorphés dont la perte les entraînerait dans une folie profonde.

Michael Grant échappe par ailleurs à bien des stéréotypes : l’intégration technologique ne signe peut-être pas un adieu au corps, mais trouve au contraire la voie d’un renouvellement de notre indivisibilité. L’axiologie, en revanche, est davantage marquée que dans le premier volume : les bons et les méchants se distinguent (parfois trop nettement pour les seconds), malgré quelques doutes et quelques hésitations qu’on aurait souhaités plus nombreux. Les jumeaux Armstrong, certes hideux dans le premier tome, deviennent franchement monstrueux. Quant au couple de héros, Sadie et Noah, alias Plath et Keats, ils prennent leur importance respective, tout en nageant dans la confusion de leur relation. Car dans cet univers de contrôle et de maillage des esprits, rien ne semble digne d’un total crédit : qui/que croire ? Les sentiments ressentis ont-ils été ‘préparés’ ? Se battre pour le libre arbitre, certes, mais le libre-arbitre existe-t-il seulement encore, ou le combat vient-il trop tard ?

L’aventure, quoique surreprésentée, n’arrive pas à son terme. Quelques revanches (espérées) sont prises, et la balance s’équilibre entre BZRK et Nexus Humanus, tandis que le nœud se resserre continuellement. Le posthumain, visiblement, n’a pas de repos. Et c’est tant mieux pour nous, lecteurs encore humains (pour le moment).