Ceci n’est pas un livre sur les dinosaures

Ceci n’est pas un livre sur les dinosaures
Mélina Schoenborn, Felipe Arriagada-Nunez
Helvetiq, février 2024

Dialogue documentaire plein d’humour entre un écureuil et un dinosaure

Par Edith Pompidou-Séjournée

Comme son titre à la Magritte l’indique, il ne s’agit pas d’un livre sur les dinosaures mais d’un album à mi-chemin entre la BD et un documentaire sur les écureuils. Pourtant, c’est bien un dinosaure qui s’incruste à chaque page du livre venant couper l’exposé de l’écureuil qu’il juge trop ennuyeux. Ce dernier va devoir jouer des ruses les plus extravagantes pour se débarrasser du prédateur qui ne cesse de faire le malin et ainsi réussir à terminer son exposé. À chaque double page apparaît une nouvelle tentative de feintes de plus en plus drôles pour arriver à le chasser. Le documentaire est, malgré tout, très sérieux car il contient toutes les informations importantes sur la famille des sciuridés à laquelle appartiennent les écureuils (morphologie, habitat, localisation, gestation, …) avec le vocabulaire adapté. Mais sa lecture est attrayante et fluide grâce aux jeux cocasses entre les deux protagonistes, à leurs dialogues sous forme de bulles, plus ou moins grosses et colorées et à certains mots mis en valeurs par une police majuscule en gros caractères. Les illustrations simples et très colorées sont réussies permettant à la fois de mieux comprendre ou compléter les commentaires de l’écureuil pour informer le lecteur tout en suscitant son intérêt et sa connivence dans les situations rendues encore plus comiques par l’anthropomorphisme des personnages et les émotions qu’ils dégagent. En somme, un beau duel hilarant pour apprendre avec plaisir.

 

 

La Fête des bêtes à cornes

La Fête des bêtes à cornes
Gilles Bizouerne, Thierry Manes
Didier Jeunesse, 2023

Qui a dit que chien et chat ne font pas bon ménage ?

Par Edith Pompidou Séjourné

Dans cette histoire, dès le début, il s’agit de Frère Chat et Frère Chien qui ont l’air de s’entendre à merveille. Mais quel rapport avec les bêtes à cornes me direz-vous ? Une fête organisée par un rhinocéros, avec un buffle, une antilope, un bélier et bien d’autres animaux aux cornes plus subtiles, comme l’escargot, qui s’y rendent et auxquels nos deux compères aimeraient bien se joindre. Mais Monsieur Taureau en guise de videur intransigeant, leur interdit l’entrée faute de cornes. Le thème de l’exclusion associé à celui de la fête et donc de la musique avec des personnages zoomorphes et beaucoup de bovidés nous rappelle forcément l’incontournable album de Geoffroy de Pennart : Sophie la vache musicienne.
Pour tenter de s’amuser coûte que coûte, chien et chat usent de multiples ruses pour pouvoir se joindre à la fête et l’album prend alors des airs de bande dessinée. L’espace de la page se divise souvent en plusieurs images avec un texte en majuscules et ponctué d’onomatopées ce qui donne du rythme aux saynètes et accentue leur côté burlesque. Ainsi défilent leurs cascades rocambolesques pour pénétrer par le toit en se catapultant d’une éolienne ou en sautant en rappel par la grange ou encore en se dissimulant dans des buissons pleins d’épines. Mais toutes leurs tentatives sont vaines. Pourtant, ils finissent par trouver une corne de chèvre en essayant de creuser un tunnel. Le chien décide d’entrer en premier en la fixant sur sa tête et promet de s’amuser un moment puis de venir la donner à son camarade pour que lui aussi puisse profiter de la fête… Le plan marche à merveilles car Monsieur Taureau prend le chien pour une licorne et le laisse entrer, la fête est fantastique et le chien s’amuse tellement qu’il en oublie son complice. Le pauvre chat qui attend depuis longtemps, finit par trouver une brèche dans un mur pour voir ce qui se passe et aperçoit celui qu’il prenait pour son ami en train de faire le fou comme s’il l’avait complètement oublié. Il décide de se venger en le dénonçant à Monsieur Taureau qui tire alors sur les cornes de chacun des animaux présents et finit par démasquer le chien déguisé.
Les deux amis se retrouvent fâchés mais pas pour longtemps car le chien entraîne le chat vers une nouvelle fête… celle des bêtes à plumes… Fin ouverte donc, avec une nouvelle mission pour nos deux compères, déjà parés de plumes comme des petits indiens. Avec ce chien et ce chat qui se ressemblent et tantôt s’entraident et tantôt se fâchent pour mieux se réconcilier, on pense aux deux lapins d’un autre classique, l’album La Brouille de Claude Boujon.
La Fête des bêtes à cornes est singulier et plein d’humour, tous les animaux y sont très anthropomorphisés même s’ils évoluent dans l’univers de la ferme. Les illustrations donnent de nombreux détails sur leur apparence : avec lunettes, rouge à lèvres, chapeaux et autres perruques mais aussi sur les expressions très symboliques des visages qui feront rire tout en questionnant sur les parallèles humains à établir. Enfin, une foule d’histoires parallèles se joue en coulisses quand on regarde d’un peu plus près les images : on retrouve notamment deux oiseaux qui jouent aux cartes puis qui se regardent dans la frontale du chien, restée allumée, ou une petite souris qui nargue régulièrement le chat.

 

Le Concert de Lapin

Le Concert de Lapin
Emmanuel Trédez, Delphine Jacquot
Didier jeunesse, 2023

Cyrano violoniste

Par Anne-Marie Mercier

Lapin, l’amateur d’art naïf de l’album précédent de Emmanuel Trédez et Delphine Jacquot, Le Portrait du lapin, est à nouveau amoureux. À nouveau, il tente de séduire sa belle en ayant recours à l’art. Ici, c’est la musique : Biche aimant la musique et les musiciens, il veut la séduire en apprenant à jouer d’un instrument. Lequel ? la question du choix prend un certain temps et c’est l’occasion pour les jeunes lecteurs de découvrir de nombreux instruments, du triangle au trombone. C’est selon moi la meilleure partie de l’histoire.
Son choix se fixe sur le violon ; il convainc le violoniste à la mode, Lion, de lui donner des leçons en lui proposant beaucoup d’argent. On devine la catastrophe à venir, non celle qui viendrait du couple lapin/lion, même si à la fin Lapin se fait avoir encore une fois, mais celle d’un apprenti musicien qui croit que l’argent peut tout acheter et qu’on peut devenir un virtuose en quelques mois, surtout en ce qui concerne le violon.
Une supercherie, qui évoque celle de Cyrano de Bergerac, et dans laquelle cette fois Lapin est complice, risque de laisser les jeunes lecteurs perplexes (l’âge indiqué par le service de presse, 4 ans ne me semble pas approprié). En effet, le narrateur triche et ne reste pas assez en retrait pour éviter de perdre son lecteur. L’argent est un sujet central également, du début à la fin : Lapin, à la fin de l’histoire, dépité, décide de revendre le violon de son grand-père et la luthière découvre que c’est un stradivarius… bon, on veut bien gober des lapins musiciens mais des professeurs de violon qui ne détectent pas un bel instrument, ce n’est pas possible.
Comme dans l’album précédent, les illustrations montrant tous ces animaux habillés en gandins et élégantes dans des décors kitsch, sont belles et pleines d’humour.

 

 

 

La Carotte, la brute et le truand

La Carotte, la brute et le truand
Olivier Chéné
D’eux 2021

Western carottes rapées…

Par Michel Driol

D’un côté, un loup, pas très futé (normal, quoi…), et affamé (comme d’habitude). De l’autre un lapin malin (évidemment), fourbe et trompeur (on s’en doutait). Lequel lapin, pour se sauver, propose au loup du dentifrice à la carotte et un déguisement de carotte afin de mieux capturer les lapins. Triomphe du lapin, qui pense avoir ainsi sauvé le monde de la cruauté du loup. Sauf que la dernière image montre que le loup n’est peut-être pas aussi bête qu’on le croyait…

Bien évidemment, le titre est un clin d’œil à Sergio Leone. Gageons que peu d’enfants auront cette culture-là, mais, de plus en plus, les albums jeunesse s’adressent tant aux adultes médiateurs et qu’aux enfants. Evoquons d’abord le plaisir adulte que l’on a à lire cet album, dans les multiples détails graphiques qui évoquent le western : les carottes devenues révolvers, les plans et le découpage, très cinématographiques. Mais les enfants y verront d’abord une histoire de ruse, de trahison et d’apparences trompeuses, pour reprendre la quatrième de couverture. Ils apprécieront l’humour du texte (Les petits déjeuners [du loup] sont tous partis travailler), les expressions comme poser un lapin,  les multiples allusions aux vertus supposées des carottes (rendre aimables, faire des fesses roses) et le discours de représentant de commerce bien aiguisé du lapin. Car tel est son métier, carotteur professionnel plein de bagout et prenant un malin plaisir à tromper le loup en le laissant croire qu’il sera ainsi toujours nourri ! Le dialogue entre ces deux personnages archétypés est savoureux et plein de drôlerie. Les illustrations nous conduisent dans un univers très anthropomorphisé : villages aux maisons terriers dont les fenêtres  et les portes disent la ruralité heureuse, accessoires liés à la nourriture : serviette, fourchette, couteau, jeux divers des lapins (cartes, dames…).  Reste une question insoluble : Qui est la brute ? Qui est le truand ? tant la chute de l’album montre une inversion des rôles qui renvoie dos à dos les deux personnages.

Une histoire bien menée, pleine de fantaisie et d’humour, comme une fable… Car c’est double plaisir de tromper le trompeur… 

 

Tor et le prisonnier

Tor et le prisonnier
Thomas Lavachery
L’école des loisirs (mouche), 2018

Quel cirque !

Par Anne-Marie Mercier

Thomas Lavachery poursuit les aventures de Tor, l’ami des Trolls avec une nouvelle aventure à laquelle ses parents participent cette fois activement : ils ont été mis au courant dans un épisode précédent du fait que :
1 : les Trolls existent
2 : Tor est leur ami, ils sont gentils, si on l’est avec eux.
un jeune troll a été capturé par des chasseurs et vendu à un propriétaire de cirque cruel. Le père et l’oncle de Tor se font passer pour des dompteurs de lion (ce qu’ils ne sont pas) pour délivrer l’imprudent.
On retrouve la truculence des personnages, l’ « hénaurmité » des situations, et on se régale avec cette variation sur des thèmes connus.

Loup gris se déguise

Loup gris se déguise
Gilles Bizouerne ill. Ronan Badel
 Didier jeunesse, 2019  

 Les loupés du loup

Par  Chantal Magne-Ville

Depuis La chèvre et les sept biquets, la thématique du méchant qui se déguise pour tromper sa proie n’est pas nouvelle, mais  elle prend  dans cet album une fraîcheur toute particulière, avec les échecs successifs, mais presque réjouissants de loup gris, prêt à tester tous les déguisements pour assouvir sa faim.
Loup gris est déjà  bien connu des jeunes lecteurs, dans des  aventures où il se montre toujours maladroit et malchanceux, notamment dans sa quête de nourriture. Dans ce nouvel album, Gilles Bizouerne raconte les déconvenues  du loup  qui expérimente différents déguisements pour approcher ses proies.
Avec son  ton de conteur inégalable, il ponctue  d’onomatopées  pleines d’humour  les fanfaronnades de celui qui apparait comme un  grand naïf, rempli d’autosatisfaction, avant de déchanter. Héros positif pourtant, que ce loup que rien ne décourage !
L’illustration est un régal par les mimiques de chaque animal, croquées avec un humour jubilatoire. Le jeune lecteur sait toujours que rien n’est bien grave et identifie immédiatement les sentiments de chacun.
Ce bel album séduira  à coup sûr  les fidèles  amis  de loup gris, familiers de ses vaines tentatives pour apprivoiser le monde, mais celui-ci  aura sans doute un écho plus profond, puisqu’il incite à ne pas renoncer devant l’adversité, et à être porté par les encouragements de tous ceux qu’il aurait pourtant bien voulu berner.

Mia contre le monstre terrible

Mia contre le monstre terrible
Nadia Shireen
Album Nathan 2019

La soupe du monstre

Par Michel Driol

Lorsque Mia et Grochat se promènent dans la forêt, qu’ils saluent le hérisson, le renard, les lapins et les souris, ils ne se doutent pas qu’ils vont rencontrer un terrible monstre qui a besoin de tous ces ingrédients pour faire sa soupe. Avec ingéniosité, Mia convainc le monstre de ne pas les utiliser, et finit par enfermer le monstre dans sa marmite, pour se débarrasser de lui.

Voici un album qui présente une petite fille attachante, débrouillarde, pleine de ressources et d’inventivité pour sauver ses amis. Héroïne féminine et positive, Mia ne connait pas la peur, s’avère rusée, capable d’utiliser la parole contre la force brutale du monstre – un géant vert aux dents acérées, mais un peu benêt et crédule,  il est vrai ! L’histoire, pleine de rebondissements, est racontée avec vivacité (dialogues savoureux) et humour : humour du texte et des illustrations, très colorées, et fourmillant de détails (le renard sur la trottinette, les lapins écoutant un transistor). La composition fait alterner les doubles pages expressives et des vignettes, façon BD, qui permettent à la narration de s’adapter au rythme de l’histoire et au lecteur de s’arrêter sur les détails expressifs d’un visage, d’une recette aux ingrédients petit à petit barrés…

Un album drôle pour parler d’entraide, de défense des plus petits, et du pouvoir de la parole !

Au secours sortez-moi de là !

Au secours sortez-moi de là !
Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2016

Loup y es-tu ?

Par Anne-Marie Mercier

Il y a de nombreuses histoires dans lesquelles un loup est coincé dans un puits, restes du Roman de Renart, parodies telles que le Plouf ! de Corentin… mais ici c’es avec la même trame, tout neuf.

Donc, un loup est dans un trou : on le contemple, vu d’en haut (grosse contre-plongée, donc), inscrit dans le carré brun de la page qui montre en perspective ce trou de section carrée, ses bords et son fond, avec le loup noir dedans qui nous regarde. Immédiatement, le dialogue s’engage entre le loup et celui dont on devine vite qu’il représente le lecteur :

  • – Mais que fais-tu là-dedans ?
    – Je suis coincé !
    – comment ça ?

Le loup raconte qu’il a vu un trou dans lequel il y avait un enfant… Pas d’enfant en vue : l’a-t-il mangé ? il prétend que l’enfant est sorti par un tunnel, et que lui n’a pas pu l’imiter car ce tunnel est trop petit pour lui… Le croira-t-on ? La conversation continue, et le lecteur feint d’accepter la proposition du loup qui lui demande de pencher un peu le livre pour qu’il puisse sortir. Mais au lieu de cela le lecteur agite violemment le livre : on voit le loup passer d’un angle à l’autre, Bang, Bing ! Puis il feint encore de vouloir aider le loup, mais retourne le livre brusquement, faisant apparaître la quatrième de couverture qui constate : « Ouf ! le loup n’est plus là ! – On recommence ? »

On l’aura donc compris, ce livre est un étonnant livre-jeu, qui propose à un jeune pré-lecteur de jouer avec ses peurs et de manipuler le livre comme un objet piège.

Mais qui est celui qui dit à la fin « on recommence ? » Cette dernière phrase imite la typographie utilisée pour les propos du loup : le lecteur est-il invité à endosser la peau de ses peurs ? Le loup est-il complice du jeu ?

Bien des questions et une délectation certaine avec ce petit ouvrage cartonné.

Cédric Ramadier s’est fait une spécialité des livres « objets », avec Au secours voilà le loup, Le livre en colère, etc.

 

L’Araignée, le Roi et le Tigre / Anainsi, Kownu anga Bubu.

L’Araignée, le Roi et le Tigre / Anainsi, Kownu anga Bubu. Conte de Guyane, ndyuka-français
Miefi Moese, Sess (ill.)

L’Harmattan, 2013

« Nous allons raconter… »

Par Dominique Perrin

« Un jour l’Araignée se rendit au palais, et dit :

L’Araignée : Mon Roi, je peux conduire le Tigre. »

« Wan dey, Anainsi go na Kownu osuu, a taki :

Anainsi : Mi kownu, mi poy tii Bubu. »

 

araAinsi commence le conte, et voici l’amateur transporté un peu plus, un peu plus vite qu’il n’en a pourtant pris l’habitude avec l’immense répertoire du conte. On entre ici sans apprêt dans l’univers de la transmission orale, quitte à hésiter un peu sur le sens précis à donner au défi lancé de but en blanc par l’araignée (« Je peux conduire le Tigre »). Tout indique qu’un conteur, autrement dit une communauté, habite magiquement cet album très léger à la main ; dès lors, foin des explications et fioritures que les mimiques et les gestes précèdent, ainsi bien sûr qu’une culture tout entière, capable de s’offrir comme instantanément sur le théâtre de ses récits.

Culture transcontinentale du conte, car le lecteur européen sait, d’une certaine manière, que Monsieur l’Araignée est un Tartarin qui a les moyens de sa forfanterie, mais aussi culture Ndyuka à découvrir, à l’intersection d’un certain génie narratif, d’une langue manifestement chantante, et d’une illustration vivante, décomplexée, à l’égal d’un créole iconographique.

Et le catalogue des contes bilingues de l’Harmattant compte ainsi 158 titres de tous les continents ! 

Le Coffre enchanté

Le Coffre enchanté
Jean-François Chabas, David Sala
Casterman, 2011

Fable désenchantée

par Anne-Marie Mercier

« Ce que nous croyons posséder ne compte-t-il pas autant à nos yeux que ce que nous possédons vraiment ? »

Cette conclusion à la fable proposée ici est fort bien illustrée par le texte de Jean-François Chabas dans un récit très classique, sous forme de randonnée avec de belles variations subtiles, un peu d’humour et de cruauté. Les illustrations de David Sala (inspirées de Klimt)  mêlent les techniques et les couleurs de façon somptueuse.

Enfin, tout cela est bien « habillé », comme le coffre de l’histoire, avec une couverture évidée en forme de fenêtre à ogive et une tranche dorée. Cet habillage n’est pas là pour masquer du vide, mais donne une belle allure à la morale finale. Celle-ci est cependant peut-être trop cynique pour être comprise et acceptée par de jeunes enfants.