Touché

Touché
Woshibai
(Les Grandes Personnes) 2024

Ce que peut une main…

Par Michel Driol

Une couverture minimaliste d’une rare élégance : blanche, avec juste deux mains embossées, et ce titre polysémique. Touché, cela renvoie à la fois à l’objet que l’on touche, et à l’émotion qui nous touche. Touché est un album sans texte, aux illustrations à la ligne claire, juste du noir pour tracer des contours, et un fond blanc, montrant à chaque fois une ou deux mains Des mains qui touchent une feuille, un lapin, la coquille d’un escargot, une étiquette. Des mains qui tentent d’écraser un insecte, ou jouent au mikado. Des doigts qui tentent de saisir la lune ou laissent passer la lumière du soleil, enfoncent une touche de piano, ou remettent à l’heure une pendule. Deux mains qui, au final, se rejoignent.

Minimaliste dans sa proposition, sa technique d’illustration, l’album est, en fait, doté d’un fort pouvoir de suggestion. Suggérer les sensations sans les nommer : le piquant de l’épine de la rose, la douce chaleur de la fourrure du lapin, le froid de la vitre embuée sur laquelle on trace un  trait, et bien d’autres encore. Suggérer les actions aussi en les arrêtant : faire tomber un vase,  jouer avec une petite voiture, déchirer l’emballage d’un bonbon. Chaque page constitue ainsi un instantané disant l’infinie variété du monde : monde des animaux, des plantes, des objets, de la musique, tout cela étant perçu à travers un seul sens, et la force de l’album est de faire ressentir au lecteur ces sensations, de faire appel à sa mémoire sensorielle pour les lui faire éprouver à nouveau dans leur diversité. Chaque page évoque un moment de l’existence avec poésie : on est proche sans doute de l’atmosphère du haïku, non seulement dans le minimalisme, mais aussi dans la façon de célébrer la sensation, l’émerveillement et l’évanescence des choses.

Pas de mots afin de laisser toute la place aux sensations dans cet album qui sollicite la mémoire et l’imagination, tout en rendant un hommage à nos mains qui non seulement agissent, mais aussi sont l’organe principal d’un de nos cinq sens. Touchant à coup sûr !

Le Creux de ma main

Le Creux de ma main
Laetitia Bourget, Alice Gravier
Sarbacane (Sarbabb), 2024

Expériences sensibles

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane publient une collection pour les plus petit, nommée « Sarbabb ». Ses petits albums, carrés et cartonnés proposent aux tout petits des expériences sensibles à leur portée ou des histoires aux thèmes et aux rythmes adaptés.
« Dans le creux de ma main j’ai recueilli… » L’album énumère ce qu’un enfant peut saisir ou plutôt accueillir dans sa main : un flocon de neige, un oiseau blessé, un têtard, de l’eau, une luciole, un coquillage, de la farine…, toutes choses légères et délicates, jusqu’au bébé nouveau-né de la dernière page. Chaque chose apporte une connaissance : le temps qui passe, la croissance des plantes et des animaux, le savoir-faire de la pâtissière, le début d’une collection…
À chaque page de gauche, montrant sur fond blanc la fillette en action, correspond, à droite, l’animal enfui, le flocon fondu, la collection…, dans une image à fond perdu remplie de couleurs et de formes, jusqu’à la dernière double page qui présente une seule image, réunissant la fillette et le bébé. L’enfant qui tient ce livre est lui-même invité à se saisir de ces formes et de ces expériences.

Ferme les yeux

Ferme les yeux
Victoria Perez Escrivà, Claudia Ranucci
Traduit (espagnol) par Jeanne Calmels,
Syros, 2014

Par Anne-Marie Mercier

« Quand j’essaie d’expliquer quelque chose à mon frère, il n’est jamais d’accord avec moi :

– tu vois un arbre, c’est une plante très haute couverte de feuilles.

– Mais non, un arbre, c’est un très grand bâton qui sort de terre et qui chante. »

Et le dialogue se poursuit sur ce qu’est une couleuvre, une pendule, le fait d’être sale… jusqu’au père qui est pour l’un « est un grand monsieur avec un chapeau » et pour l’autre, « un bisou qui pique et qui sent la pipe ». Deux frères, donc, qui ont deux façons d’appréhender le monde, l’un plus rationnel et l’autre plus sensible.

On se rend compte peu à peu que celui-ci utilise tous ses sens, odorat, ouïe, toucher, goût, sauf celui de la vue. Cette impression se confirme lorsqu’à la fin du livre la mère des enfants répond à celui qui se plaint : « Peut-être que vous avez raison tous les deux […] Ferme les yeux ».

Aussi bien méditation sur la façon d’appréhender le monde selon les caractères qu’invitation à comprendre l’univers d’un enfant mal voyant, cet album est extrêmement adroit et… sensible. Pas de misérabilisme, pas d’apitoiement, le monde vu par l’enfant aux yeux fermés est plus riche et plus beau que celui du voyant, mais plus difficile (il ne voit pas ce qu’indique l’horloge, ne voit pas les objets lointains, n’a que faire d’une ampoule électrique).

Petite merveille publiée antérieurement en plus grand format (2009), ce petit album est paru dans la collection des « Mini albums Syros », beaux et abordables (5€50).