Notre feu

Notre feu
Alexandre Chardin
Rageot 2021

Un été, entre adolescence et âge adulte…

Par Michel Driol

A 17 ans, Colin est un athlète accompli. Il sort avec Luce, mais leur première relation sexuelle s’avère un fiasco pour lui. Il décide de rompre avec elle et part 3 semaines avec ses parents et son jeune frère sur une ile. Il y fait la connaissance d’Ada, qui a 20 ans, et de Tristan, un homme étrange, qui vit seul dans un phare, relève ses casiers de crevettes, et de homards, et semble en vouloir à la terre entière, et en particulier au maire. Eveil du désir et découverte de la sexualité, fin de l’adolescence et entrée dans l’âge adulte vont se conjuguer pour Colin cet été-là.

Alexandre Chardin propose ici un vrai roman d’initiation, celle de Colin, qui passe du cocon familial à la découverte d’un univers adulte, fait d’amour certes, mais aussi de relations complexes avec la vie. Colin est le fils ainé d’une famille aimante. Il a un frère plus jeune, avec lequel les relations ne sont pas toujours simples. Ces trois semaines-là sont pour lui la découverte de la sexualité et du désir avec  Ada, plus âgée et plus mure que lui, qui sera sa véritable initiatrice. C’est aussi la découverte de ce personnage étonnant qu’est Tristan : un ancien bourlingueur, marginal, bourru, que l’on sent à la fois fort et brisé par la vie, qui se prend d’affection pour lui et son plus jeune frère qu’il initie à la mer. Quelque part, c’est ici paradoxalement le roman de la sortie du cocon familial, des routines (Colin est un athlète accompli) sur une ile, lieu clos par excellence, pour découvrir la complexité des relations humaines et de la vie. Découverte de la sexualité, découverte d’un marginal attachant qui cache ses failles sous une apparence bourrue, dans une famille aimante, le tout sur une ile, lieu clos par excellence qui renvoie les personnages à eux-mêmes et ne leur permet pas de s’évader.

L’écriture d’Alexandre Chardin est à la fois pudique et sensuelle pour évoquer la découverte des relations sexuelles de son personnage principal. Il signe ici une éducation sentimentale, celle d’un personnage attachant, narrateur touchant et sympathique, soumis aux diktats du  monde contemporain (performance, plaisir, réseaux sociaux), qui reconnait aussi bien ses échecs que ses succès, et découvre en un été la complexité du monde des adultes dans lequel il s’apprête à rentrer. On ne révélera pas ici, bien sûr, le beau final du livre. On en dira simplement qu’il est à la hauteur du roman et marque vraiment pour son héros l’entrée dans l’âge d’homme, la fidélité à l’amitié, la sortie du cocon familial, la première vraie prise de responsabilité. On ne révélera pas non plus comment le titre du livre, polysémique, aux antipodes de l’univers maritime qui le baigne, résonne avec de nombreux passages.

Un roman qui montre aussi l’ouverture de la littérature jeunesse soumise à la loi de 1949 à des préoccupations et des thématiques qui touchent les adolescents d’aujourd’hui – trop soumis aux injonctions des réseaux sociaux, au culte de la performance dans tous les domaines, à la pornographie sur internet, au culte de la performance – pour leur parler, sans crudité, mais sans pudibonderie non plus, de l’éveil du désir et des relations amoureuses et humaines, dans leur complexité.

Un automne à Kyoto

Un automne à Kyoto
Karine Reysset

L’école des loisirs (medium), 2010 

Niponneries dangereuses

Par Anne-Marie Mercier

unautomneaKyoto.gifEntre le journal sentimental, le journal de voyage et le carnet de poésie, ce joli roman offre de belles vues sur le Japon en Automne, ses temples, sa culture, ses trains, son goût du « kawai » (mignon).

L’intrigue qui soutient l’ensemble montre un couple de parents qui se sépare, un père à la dérive et la souffrance de leurs filles. L’accent est mis sur les états de l’aînée, la narratrice, et sur sa fascination pour un homme plus âgé. La montée de son désir malgré un amour qu’elle a laissé en France, et ses manœuvres (fructueuses) pour le séduire sont évoquées sans détours mais sans appesantissement non plus. Le récit n’élude pas les remords et l’inquiétude de voir les raisons du cœur et du corps s’affronter.

L’héroïne note tout, dessine, recopie ses haïkus préférés (de Basho, Shiki, Issa…), écrit des listes à la Sei Shonagon (pas toujours très réussies) et fait des parallèles avec ses lectures (Murakami entre autres), ou avec des films et des dessins animés (Miyazaki). Cela ravira les adolescents qui rêvent de ce pays.

Enfin, c’est un roman très visuel, non seulement par les touches descriptives et les dessins qui le rythment mais par l’importance du regard de l’héroïne comme de celui de son amant, photographe.

 

La Première Fois: spécial-Saint Valentin

La Première Fois
Melvin Burgess, Anne Fine, Keith Gray, Mary Hooper, Sophie McKenzie, Patrick Ness, Bali Rai, Jenny Valentine
Gallimard (Scripto), 2011

Pour le meilleur ou pour le pire

par Anne-Marie Mercier

la1erefois.jpg    D’excellents auteurs, connus dans le monde de l’édition de la littérature pour adolescents, sont ici rassemblés par Keith Grey.  On trouve, dans ce recueil de nouvelles autour du thème de la « première fois », des textes de qualité et des écritures très diverses. Comme on est en littérature « de jeunesse », il y est davantage question de l’avant que du passage à l’acte lui-même (le texte de P. Ness échappe astucieusement à cette règle en multipliant les rectangles noirs sur les mots interdits).

Si le recueil vise à la diversité (amours hétéro et homo sont représentées), le point de vue des filles est cependant minoritaire et ne présente aucun passage à l’acte heureux; il propose même des histoires tragiques (celle d’une jeune indienne bafouée, celle d’une anglaise prostituée) contrairement aux textes concernant des garçons.

Le texte final donne une vision différente à travers le point de vue d’une femme adulte qui enseigne l’EPDPS (éducation et prévention pour le développement personnel et social – autrement dit « sexe et drogue » –) à des troisièmes, et se souvient de ses propres débuts – heureux, mais pas tout de suite, après un temps de tâtonnements avec le même partenaire. Ainsi, ses élèves, qui ont été souvent amoureux/ses (sondage à l’appui), mais pas plus de « huit semaines et trois jours » en moyenne, n’ont pas eu la possibilité de connaître une « première fois » accomplie. En conclusion, le tout n’est pas de « faire l’amour mais de le trouver »…

Un livre plein de philosophie, donc, mais qui sera instructif pour les garçons et dissuasif pour les filles…