Sœurs sorcières
Jessica Spotswood,
Traduit (Etats unis) par Rose Marie Vassalo et Papillon
Nathan, 2013 et 2014
Comment améliorer une œuvre ratée?
Par Anne-Marie Mercier
Connaissez-vous Imitation, la parodie de Twilight, parue chez Castelmore (filiale de Bragelone) en 2010 (au fait il y a aussi Hamburger Games, du même « auteur », The Harvard Lampoon) ? C’est assez drôle, vite lassant puisque c’est un concentré de tout ce qui est pesant dans Twilight. Eh bien, en lisant la moitié du premier volume de Sœurs sorcières et quelques pages du deuxième, j’ai eu l’impression d’entrer dans le même type de pastiche, tant j’y retrouvais, en plus dense, ce qui m’avait agacée dans Twilight (que j’ai par ailleurs lu jusqu’au bout avec… un certain intérêt) : les dialogues nous donnent l’impression d’être dans un sit-com pour ados : sentiments explicités, révoltes idem, etc.
L’auteur ne nous passe aucun détail. J’aimerais comprendre les raisons de ce déferlement d’adjectifs dans la littérature ados : sont-ils jugés incapables de visualiser une histoire sans cela ? La narratrice (ou plutôt l’auteur) veut-elle nous convaincre du fait que le film qui sortira immanquablement de son livre est tout prêt à filmer ? On ne nous cache rien, pas même la couleur des canapés. Quant à celle des robes, le moindre accroc compris, on en comprend mieux la raison : un statisticien nous dira un jour combien de signes ont été consacrés aux robes en littérature ado pour filles – parce que, tout en étant féministe à fond, ce livre est fait uniquement pour les filles, ça saute aux yeux dès la couverture.
Féministe donc : les griefs contre les hommes sont ressassés longuement de façon répétitive. Seules les femmes ont des « pouvoirs », du moins certaines. Les autres sont des bécasses qui méritent le sort qui leur est fait. Certes, c’est un monde imaginaire, certes, le machisme (la phallocratie comme on disait autrefois) règne : cette série est une uchronie qui se passe au début du XXe siècle, 200 ans après la destruction du pouvoir des sorcières qui régnaient à Salem sur toute la Nouvelle Angleterre. Une Confédération Inde-Chine contrôle l’ouest de l’Amérique, tandis que le sud du continent est dominé par par l’Espagne (ceci occupe trois lignes non développées dans les 150 premières pages du premier volume, je ne m’étonne pas qu’une jeune blogueuse française puisse écrire que ça se passe au 17e siècle). L’humour de l’auteur fait que, dans ce monde, Dubaï est le lieu de la liberté et de l’émancipation des filles.
Dommage : il y avait de quoi faire une belle série autour du destin de sœurs d’âges différents et de caractères opposés (on en connait de beaux exemples), de prophéties annonçant leur domination future (idem), de pouvoirs qui mal contrôlés deviennnent maléfiques, de révolte contre des sectes inquiétantes… et une uchronie aux caractéristiques intéressantes. Mais le livre m’est tombé des mains, me laissant l’impression qu’un bon relecteur aurait dû en biffer les deux tiers pour laisser l’intrigue, plutôt intéressante, se développer à un bon rythme (comme Twilight) et faire oublier les faiblesses du style.
Un résumé plus développé de l’intrigue et un avis plus positif sur le blog Un jour un livre