L’autre bout du monde
Chun-Liang Yeh, Sophie Roze
HongFei Cultures, 2011
Un joyau des éditions « Grand oiseau en vol »
Par Dominique Perrin
Les jeunes éditions HongFei Cultures (« Grand oiseau en vol » en langue chinoise), fortes de leurs six à sept publications annuelles depuis 2007, poursuivent un double projet. Interculturelles, elles font se rencontrer, à destination de la jeunesse, les cultures chinoise et française, et plus particulièrement des textes d’auteurs chinois classiques ou contemporains, souvent inédits en français, avec des illustrateurs vivant en France. Plus généralement, elles souhaitent accompagner la création de livres qui suscitent “l’intérêt du lecteur pour ce qui lui est moins familier et l’inviter à regarder l’inconnu, non comme une source de trouble et d’angoisse, mais comme une voie possible vers la beauté et la liberté”. Ce programme résonne fortement dans un contexte politico-économique tendu, où la Chine fait souvent l’objet d’un traitement médiatique à la fois ambivalent et monolithique en Europe comme dans l’ensemble du monde occidental. Sans doute peut-on regretter que ni le catalogue des publications ni les ouvrages ne mentionnent clairement le nom de leur traducteur, alors que la présentation en ligne de la maison indique que celles-ci sont le fait de Chun-Liang Yeh, co-fondateur des éditions, et qu’elles s’assument à la fois comme création et comme refus de se faire adaptation. Cette exigence est assurément emblématique de l’intérêt et de la qualité de la production « HongFei ».
L’autre bout du monde, publié dans la collection consacrée aux auteurs chinois de Taïwan, suit la journée d’un enfant qui part rendre visite à sa grand-mère, la veille de son entrée à l’école. C’est en fait l’occasion, à la faveur d’un bref échange sur un bâtiment colonial et de l’évocation plus ample d’une aïeule déconsidérée pour n’avoir pas eu les pieds bandés, d’un voyage dans le passé social et politique des habitants de Taïwan, et dans le futur en gestation de l’enfant.
Par ses thèmes croisés, la fraîcheur de son écriture et de son dessin, et sa stature tangiblement autobiographique, L’autre bout du monde peut sans doute être tenu pour un joyau des éditions HongFei, dont il assume avec beaucoup de tenue la vocation de ferment interculturel. Désir d’apprendre à lire et à écrire, désir de comprendre le passé, national et familial, désir de voyager physiquement ou mentalement, avec le but bien ferme de se forger un regard propre, y apparaissent dans leur intensité virginale, comme le merveilleux bagage de l’enfance lorsqu’elle s’irrigue à l’échange avec les « plus grands » – à qui le contact avec une humanité toujours neuve inspire l’art de transmettre, pour que les nouveaux venus soient bien des « nains juchés sur des épaules de géants ».