Pur sang

Pur sang
Romuald Giulivo
Rouergue 2024

Au bout de l’enfer

Par Michel Driol

Luca, le narrateur, se retrouve en Italie pour faire un stage d’équitation auprès du maestro Trappola, dit Janus, une ancienne gloire des spectacles équestres et tauromachiques. Mais les méthodes de ce dernier sont un peu particulières, entrainements forcés, brimades, séduction, et Luca se retrouve entrainé dans un été dont il gardera longtemps le souvenir.

Après un premier chapitre, confession d’une grande intensité d’un adolescent en colère, adressé tant au lecteur qu’à sa voisine dans le car, une vieille italienne qui ne le comprend pas,  Pur sang est un vrai thriller noir et ambigu. Noirceur des situations, à l’image de ce début sous la brume, que le soleil ne parvient pas à percer. Ambiguïté des personnages, à l’image de Janus, aux deux visages. Le despote pervers, malsain et séduisant, sadique, exigeant, autoritaire, attiré par les jeunes garçons,  ou la gloire des spectacles équestres auréolé de prestige ? Son assistant Nazir, chrétien syrien, lecteur des textes sacrés, jusqu’à quel point est-il dévoué à Janus ? Le compagnon de caravane de Luca, aussi bon cavalier que lui, intrépide, audacieux, mais que l’on verra pleurer. Luca enfin, qui dès l’incipit, avoue préférer les chevaux dans son assiette, que va-t-il faire dans ce stage couteux ? Et que  dire de l’ambigüité du dernier chapitre, que l’on laissera les futurs lecteurs découvrir… C’est, bien sûr, un roman d’apprentissage, dans lequel le héros est confronté au mal incarné ici par Janus. Janus qui pousse à bout ses élèves pour obtenir ce que lui veut, le spectacle parfait, dussent-ils y être blessés ou pire. On est par-delà le bien et le mal, dans un univers où la fin justifie tous les moyens, sans pitié. Mais le roman vaut aussi par l’arrière-plan historique. C’est l’Italie de la fin du fascisme, celle de Salo, dont les déviances et l’ombre planent aussi bien sur le grand-père de Luca que sur Janus. C’est un roman sur la pédophilie, Luca ayant été victime d’attouchements de la part de son grand-père.

Un roman sans concession qui propose une mécanique bien huilée conduisant à réfléchir sur le comportement des personnages, sur la question du dressage des hommes comme des animaux, sur ce qu’est l’éducation, sur les liens entre l’embrigadement et la liberté…

Plus cash que toi !

Plus cash que toi !
Rebecca Elliott
Traduit (anglais) par Faustina Fiore
Gallimard jeunesse, 2022

Brûler les planches ou surfer sur les réseaux ?

Par Anne-Marie Mercier

Haylah Swinton, qui s’est elle-même choisi, à l’usage de ses amies, le charmant surnom de « truie » est un peu ronde ; elle a décidé d’arrêter d’en faire un problème pour vivre gaiment malgré les difficultés et de se trouver un style bien à elle, en combinant vêtements vintage de sa grand-mère et fripes diverses empruntées à d’autres ; on assiste à de nombreuses séances d’essayages qui se terminent toutes à la grande satisfaction de la narratrice. Dans ce volume, elle a un amoureux, rien de tel aussi pour se rassurer.
Elle travaille aussi son rêve : faire du stand-up. On assiste à plusieurs essais sur une scène locale avec un petit public, pour une grande part acquis, mais surtout on la voit poster des vidéos où elle s’exprime « cash » sur différents sujets, chaque fois très drôles : sur les meilleures amies et leurs bons conseils (elle a deux amies très différentes, une intello réservée et une spécialiste en maquillage, inculte et extravertie), sur ce que c’est qu’être une fille (« les filles sont aussi crétines que les garçons ») et son désir de devenir une femme, sur les pères (le sien a été démissionnaire et absent ; il refait surface, mais les retrouvailles sont difficile), les mères (trop aimantes, trop protectrices, trop prévisibles, trop tout),  le petit ami de sa mère (gentil mais agaçant), les amoureux (même tableau). Bref, tout le monde en prend pour son grade et on a parfois l’impression que le reste du roman est là pour donner un arrière-plan aux vannes rosses qu’elle poste, sous pseudo bien sûr. Bien évidemment, le pseudo est éventé, chacun réagit à sa façon et pour chacun elle doit trouver des formules d’excuses, d’explication, etc. mais la générosité de tous l’emporte, ouf ! Enfin, dans les derniers chapitres, remarquée par une star du stand up, son avenir semble s’éclaircir encore plus.
Autant dire que c’est un roman destiné à faire du bien à ses jeunes lectrices ; tous leurs soucis possibles y sont (ou presque) mais chacun trouve une solution. C’est drôle et sans prétentions, écrit sur un ton allègre et parfaitement traduit. On y trouve des dialogues  savoureux entre la narratrice et sa mère. D’après celle-ci, « les adultes prennent des décision stupides, eux aussi. La différence, c’est que nous sommes plus doués pour faire croire qu’elles sont pondérées. En réalité nous ne sommes que de grands enfants qui ont un boulot ». On voit que la narratrice a de qui tenir… on y devine le talent de l’autrice pour donner la réplique : livre quelque peu autobiographique, peut-être ?

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