Quelle est la couleur du ciel aujourd’hui
Marilou Rytz
Editions du Pourquoi pas ?? 2024
Météo du couple
Par Michel Driol
On résumera cette nouvelle en adoptant la même stratégie énonciative que l’autrice. Tu prépares le repas, en attendant l’arrivée de Dominique, qui, comme toi, travaille dans l’édition. Tu écris des livres pour enfants, on en aura un titre, Petite brume autour des réverbères. Parfois Dominique te secoue et tes bras restent bleus des journées entières et tes poignets te font mal. Lors d’un déjeuner, tu remarques que Chiara est victime de violences conjugales. Dominique voyant que Chiara t’appelle au téléphone se retrouve sous l’emprise de la jalousie et de la colère…
Dominique, prénom épicène… Dans ce couple où l’un est battu, qui est l’homme, qui est la femme ? Qui est la victime ? Qui est le bourreau ? Marilou Ritz brouille les pistes, révélant à la fin, à la dernière page, par un accord grammatical, qui est qui.
Quelle est la couleur du ciel aujourd’hui… une question que se pose toute victime de violence conjugale, homme ou femme. Avec beaucoup de sensibilité, dans ce récit volontairement non genré, l’autrice adopte le point de vue de la victime, qui s’attache à plaire à l’autre, victime qu’on voit souvent à la cuisine, préparant à manger. Et c’est le drame si le repas n’est pas prêt à temps ! A travers ce récit qui joue avec les codes du genre, on est conduit à s’interroger sur le poids de nos représentations dans notre façon de nous représenter les deux personnages. Il y a « tu », qui fait la cuisine, écrit et dessine des livres pour la jeunesse, et Dominique, qui arrive avec des bouteilles de bon vin et exerce un métier à responsabilités. C’est la force de cette nouvelle de nous conduire à réfléchir à nos idées reçues, dans ce domaine comme dans d’autres, pour nous en affranchir.
La langue est d’une grande sobriété : phrases courtes, notations précises, centrées sur l’action, sur les paroles, sur les faits, façon aussi de mettre les lecteurs face à un constat, à des comportements sans vouloir entrer dans la psychologie des personnages. Ainsi encore le récit gagne en efficacité. On pourra interpréter de différentes manières le choix du pronom tu. Montrer que le personnage est dépossédé de son identité, de son moi, qu’il est condamné en quelque sorte à se regarder vivre sous l’emprise de l’autre. Impliquer le lecteur ou la lectrice, à la façon de Michel Butor dans La Modification. Ce choix énonciatif ne laisse pas indifférent et participe de la force dramatique du récit.
Littérature pour la jeunesse ? Littérature pour jeunes adultes ? Littérature engagée ?Littérature pour alerter sur la violence à l’intérieur du couple, et cela peut se lire dès l’adolescence pour, enfin, faire changer les comportements et espérer des ciels toujours bleus.